Slocum et moi est le 7ème long-métrage de Jean-François Laguionie, figure incontournable du cinéma d’animation.
Lui qui a reçu un Cristal d’honneur au Festival international du film d’animation d’Annecy en 2019, et dont les oeuvres résonnent mondialement, il nous livre ici un film qui restera dans l’histoire… la sienne et celle de l’art qu’on affectionne tant : le Cinéma.
Après des projections remarquées à Cannes et Annecy, le film, produit par JPL Films, sort en salle le 29 janvier. Pour accompagner cette sortie – et la sienne ! – Franck Vialle, directeur de Films en Bretagne durant 5 ans, a souhaité prendre la plume et nous livrer ces derniers messages.
RETOUR D'ÉCRAN : "MESSAGES PERSONNELS" par Franck Vialle
J’ai hésité longtemps avant de titrer ce retour d’écran… J’avais d’abord pensé à « Lettre à la jeunesse » ou à « Le cœur a ses chansons », puis je me suis remis volontiers à cet emprunt à Françoise Hardy tant Slocum et moi a la couleur de ces chansons qui restent dans la tête, faites d’une poésie simple, d’une petite musique qui continue de murmurer toute la vie, souvent au-delà du sens premier, parce qu’elles sont capables de donner leur couleur à nos émotions autant que nos émotions sont capables de s’y réfléchir dans une conversation secrète.
J’ai découvert ce film dans le contexte particulier de sa première Annecy (j’y reviendrai), j’en avais suivi de près la gestation avec l’impatience de celui qui attendait la suite de Louise en Hiver, je ne savais pas encore ce qui m’attendait pour les mois à venir, ni ce qui attendait la France (j’y reviendrai aussi)… Mais je savais dès la fin du film qu’il y avait là un manuel de sagesse et de tendresse… Autant dire, pour ce dernier papier, une belle occasion d’adresser quelques messages personnels pour vous recommander de tout cœur de découvrir ce film en salles le 29 janvier 2025…
Message personnel en préambule… à Jean-François Bigot et Camille Raulo, les producteurs
Nous sommes arrivés, Lubna et moi-même, à Annecy un rien fatigués… et il y avait la durée du trajet depuis la Bretagne, et il y avait la pluie qui semblait s’installer durablement sur Annecy… Une journée « grisée » pour ainsi dire, pas forcément le soir pour assister à une première, avec son lot d’interventions avant le film, ses photocalls, etc. On y est allés quand même, avant tout pour grandir les rangs de l’animation bretonne autour de ce film, témoigner de notre amitié aux équipes et aux producteurs tant nous avions suivi la longue gestation du film, ses incertitudes de financement, l’acharné combat des producteurs et du réalisateur… nous avions aussi entraperçu quelque chose de la peur aussi qui ne se raconte jamais une fois que le film est là… Mais ça vaut le coup de raconter ce genre de chose, parce que les films, au-delà des histoires qu’ils racontent, au-delà de leur succès (ou de leur difficulté à trouver leur place), sont d’abord des aventures humaines, les rêves de vrais gens qui prennent forme (ou pas), des coopérations qui se nouent, des liens qui se tissent dans la vraie vie, des énergies qui s’agglomèrent… Et ce n’est certainement pas aux producteurs de Slocum et Moi qu’on apprendra ça, eux qui ont produit Louise en Hiver, mais aussi Nayola de José-Miguel Ribeiro, Plus douce est la nuit de Fabienne Wagenaar ou encore (autre manuel de tendresse !) Une Guitare à la mer de Sophie Roze pour ne citer que ces exemples d’exigences esthétiques, poétiques et – oserais-je – politique.
Pour revenir au contexte particulier de cette séance, en arrivant dans la salle, plusieurs choses arrivent dans le même temps… Il y a les mines réjouies et fières de celles et ceux qui ont travaillé sur le film (et qui pour la plupart étaient là pour ce film, mais également d’autres en sélection cette année, parce que ce fut un bien beau cru !). Il y a les visages que l’on reconnait d’une grande « famille » de l’animation bretonne, là, à Annecy – et on se sent en faire un peu partie, comme pièces rapportées (on n’a pas fait grand-chose, sinon y croire fort et essayer d’irradier cette conviction !). Il y a le sourire ami de Valérie Montmartin qui vient d’avoir une bonne nouvelle pour le prochain film qu’elle coproduit avec les JPL (ce fameux Séraphine dont le tournage démarre alors que j’écris ces lignes). Il y a la salle pleine, les présentations, les photos officielles et souvenirs pour nous… Il y avait déjà votre arrivée sur le tapis rouge de Cannes qui en soit était une fête ! Alors merci à vous pour ce moment, parmi d’autres moments de partage importants, durant lesquels on est sûr de participer à quelque chose d’important, durant lesquels les pièces de vastes puzzles s’assemblent et redonnent, jour après jour, du sens à ce que l’on fait. Des moments durant lesquels on a aussi le sentiment d’être « importants » (et durant lesquels mettre une cravate devient soudain un signe de reconnaissance et d’amitié profonde).
Présentation du film SLOCUM ET MOI dans le cadre Festival International du film d’animation d’Annecy
Message personnel… à Jean-François Laguionie, le réalisateur
Quand le noir se fait, démarre le film… Il prend son temps pour imposer son rythme et sa grammaire, parce que ce n’est pas si simple de raconter simplement une histoire vraie. Il prend ces quelques dix minutes pour poser les choses dans toute leur complexité et nous préparer au décollage, parce que c’est littéralement d’un « décollage » qu’il s’agit lorsque la musique accompagne la première scène de navigation en mer. C’est comme si Pascal Le Pennec, le compositeur, et l’Orchestre de Bretagne grondaient si fort sous les sièges de la salle, que nous sommes transportés dans le flot : effet « whaouh » comme on dit aujourd’hui – pour ma part, c’est à ce moment très précis que je suis près désormais à recevoir et garder en moi un grand film, qui raconte une histoire vraie et toute personnelle, peut-être ; mais il raconte également quelque chose d’un grand NOUS et de beaucoup de petits MOI, entre ce que nous faisons ensemble, ce que nous croyons, ce que nous pouvons espérer. Le jargon de la culture appelle ça le COMMUN et peine souvent à le traduire… Slocum et moi est à ce titre une bien belle traduction du COMMUN, passé, présent, à venir.
Dans cette histoire, nous sommes au tournant des années 50, à Nogent-sur-Marne… Autant dire quelque chose d’un peu suranné, les images d’un autre temps, ce vers quoi peut parfois nous ramener toutes et tous la nostalgie (je me faisais la remarque récemment en revoyant un autre film qui n’a pour le coup rien à voir avec celui-là – un film allemand du milieu des années 90 proposé en ce moment sur la plateforme d’Arte – Leben ist eine Baustelle, montre ce Berlin d’après 89 qui a aujourd’hui complètement disparu, il y est aussi question de chantier et surtout, il rembobine un bout de vie… On prend tout à coup conscience de la traversée des époques dans laquelle on est, bon gré, mal gré, embarqués). Or, ce n’est pas de nostalgie dont il est question, mais bel et bien d’un exercice d’admiration, un hommage vibrant à un père aimant, à une mère aimante. Tout n’a pas dû être simple (sinon il n’y aurait pas le film dont je me refuse à poser le contexte pour le laisser à découvrir). Mais, et c’est là sans faire offense à l’auteur, eu égard à l’âge du capitaine aujourd’hui, c’est tout simplement beau. Il y a une précieuse sérénité qui rayonne de chaque plan (dans les scènes légères comme celle plus chargées), un cœur d’enfant, une tendresse brute… Il y a aussi une drôle de leçon de vie que je traduis un peu à ma façon : s’aimer c’est faire un bateau ensemble… Peu importe la chimère de l’aventure, c’est de croire et faire ensemble qui importe.
En ces temps où « le jeunisme », la course à l’efficacité, etc. habitent jusque dans les interstices de nos vies, ce film remet un peu les choses en place. OUI ! La poésie nous est vitale… et dans le pragmatisme ambient, dans ce monde à toute vitesse, dans cette recherche de l’efficacité à tout prix, nous l’avons peut-être collectivement oublié… Et je ne parle pas là d’une poésie de l’intime, d’une poésie qui serait, à l’occasion, le miroir de notre âme et de nos émotions… NON, je parle d’une poésie comme bien commun. Parce que la poésie, c’est du temps. C’est le temps du regard autour, vers l’arrière, vers l’avant. C’est la beauté d’une langue ici traduite en images. C’est la grandeur d’une sérénité qui a du mûrir et à propos de laquelle il était vital pour l’auteur d’en faire un film, comme une lettre au jeune poète qui dormirait en chacun de nous.
Donc merci, cher Jean-François Laguionie pour ce temps laissé au temps et pour l’image de cette « aventureuse paix »… C’est cette image de cinéma, avec quelques autres, qui m’a tenu debout ces derniers mois dans une période de vie difficile. C’est sans doute un peu grâce à vous que la RE-envie d’écrire et de réaliser me revient après une pause de quelques 15 années. C’est surtout grâce à vous qu’on peut imaginer que malgré tout ce qui aura pu brûler au dehors, ça reste bien brûlant au-dedans. Plus trivialement, nous avons désormais la preuve qu’on peut avancer en âge sans pour autant devenir un vieux (con), tant que cynisme et amertume n’ont pas de prise. Au regard de votre cinématographie, j’imagine que c’est le combat d’une vie.
Message collectif aux spectateurices de cinéma qui immanquablement iront voir le film
Vous y retrouverez tout ce que vous avez aimé dans Louise en Hiver et notamment, bien que l’animation soit toujours sommée de choisir clairement son camp entre le film pour enfant ou le film pour adulte, un film pour toutes et tous. On pourrait mais dire une film « À toutes et tous ».
Très concrètement, vous serez emporté·es par le rêve d’aventure du jeune François et le récit de Slocum, mais également par les émotions intimes que décrivent chacune des situations, avec les parents, avec la jeune Joëlle (qui mériterait à elle-seule quelques pages). Vous serez emporté·es par une bande son sublime et par une simplicité de trait dans le dessin, une pureté qui laisse la place à toutes les nuances d’intentions.
Bref, vous retrouverez un Laguionie au meilleur de sa forme, lui qui rejoint désormais les grands maîtres qui malgré leur grand âge conjuguaient sagesse de la maturité et fougue intacte… presque quelque chose d’effronté (si on s’en réfère à Godard ou De Oliveira !)
Message personnel aux spectateurices de cinéma qui hésitent peut-être
En parlant de film « À toutes et tous » avec Slocum et moi cela sous-entend une dimension patrimoniale du cinéma… Le genre de film que, quand tu le vois, tu sais déjà que c’est un classique ! MAIS, au-delà de ces grands mots, il pourrait également s’agir de ne pas sous-estimer le côté « populaire » de l’ouvrage… Slocum et moi est l’œuvre de quelqu’un qui se sera échiné à décrire quelque chose de complexe le plus simplement possible, pour que cela puisse être reçu le plus simplement possible. Je parlais en préambule de chansons… Oui, le film a la capacité de transmission des chansons populaires où ce qui est dit peut résonner de plein de façon différentes, à l’image de celles de François Hardy, d’Alain Souchon, de Zaho de Sagazan ou d’Orelsan.
À l’image de ces chansons, c’est un merveilleux film à aller voir tout seul (introspection garantie), comme c’est un merveilleux film à aller voir à plusieurs (débat garanti sur beaucoup de subtilités pas forcément « attendues » sur la place des femmes dans le film, ou cette fameuse théorie du rêve en chantier…), comme c’est un merveilleux film à aller voir en famille (discussions garanties pour plusieurs repas, pas forcément à l’initiative des enfants d’ailleurs !).
En tout état de cause, et si on regarde autour de nous, l’époque nous donne un bien triste spectacle de débâcle où, paradoxalement la nostalgie est souvent convoquée, idéalisée, revendiquée… Philippe Sollers avait un jour parler de « France moisie » où chacun n’a d’opinion de rien mais un avis sur tout… Ce film est peut-être un remède à cette connerie ! Les choses vraies restent vraies, le contexte change, Jean-François Laguionie et sa co-autrice ont fait le pari de cette cohérence.
Aparté à peine codé aux amies et amis de Films en Bretagne
Rappelez-vous bien de ce que raconte ce film : faire un bateau ensemble… Peu importe la chimère de l’aventure, c’est de croire et faire ensemble qui importe.
En ce qui me concerne, j’ai pris une sacré avarie ces six derniers mois… Je n’ai pas tout à fait fini d’écoper. Je remonterai sur la hune bientôt, je l’espère, pour scruter l’horizon… À vous y retrouver.
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Franck Vialle, janvier 2025.
Sur le réalisateur : Jean-François Laguionie
BIOGRAPHIE
Né en 1939 à Besançon, il se passionne dès l’enfance pour le dessin. Après des études aux Arts Appliqués, il rencontre Paul Grimault qui l’initie à l’animation et dont il va partager l’atelier pendant près de dix ans. Là, il va concevoir ses pre- miers courts métrages. Le succès en festivals est à chaque fois au rendez-vous, jusqu’à la Palme d’Or du Court Métrage au Festival de Cannes pour La Traversée de l’Atlantique à la rame. En 1979, il se lance dans la grande aventure du long métrage avec Gwen, le livre de sable accompagné une petite équipe installée dans une ancienne filature, La Fabrique. Le studio se tourne ensuite vers la production de collections de films TV et de courts métrages. Associé à d’autres studios européens, il travaille sur plusieurs séries en gardant la fabrication en Europe. En 1999, il réalise Le Château des singes, un film beaucoup plus ambitieux et grand public que le précédent. Il collabore ensuite avec Blue Spirit Productions et JPL films pour ses longs métrages suivants.
FILMOGRAPHIE
1985 : Gwen et le livre de Sable – Prix au Festival d’Annecy et primé à Los Angeles • 1995 : Le Château des singes – Prix au festival du Caire et celui de Kecskemet, Prix « découverte » aux rencontres d’Hollywood • 2003 : L’Île de Black Mor • 2011 : Le Tableau – Nommé aux César 2012, Prix à Anifilm République Tchéque, Animafest Croatie (mention spéciale du jury) • 2016 : Louise en hiver – Grand prix du long métrage d’animation au Festival d’Ottawa • 2017 : Le Voyage du prince coréalisé avec Xavier Picard • 2024 : Slocum et moi
SUR LE FILM : SLOCUM ET MOI
Slocum et Moi de Jean-François Laguionie
Entre ses rêves d’aventures et un regard tendre sur ses parents, le jeune François passe de l’enfance à l’âge adulte.
Début des années 50, sur les bords de Marne, François un jeune garçon de 11 ans découvre avec intérêt que ses parents entament, dans le petit jardin familial, la construction d’un bateau, réplique du voilier du célèbre marin Joshua Slocum. Au long des années, dans une France d’après-guerre, le jeune François va voguer de l’adolescence à l’âge adulte. Au fil de la construction du bateau, tout en portant un regard tendre et poétique sur sa mère et son père, le jeune garçon entamera sa propre aventure, celle qui le mènera sur le chemin de ses passions, la mer et le dessin.
1 heure 16 • France / Luxembourg • 2024
Réalisation et création graphique : Jean-François Laguionie • Scénario : Anik Le Ray et Jean-François Laguionie • Avec les voix de Elias Hauter, Grégory Gadebois, Coraly Zahonero (de la Comédie Française), André Marcon, Mathilde Lamusse • Musique originale de Pascal Le Pennec interprétée par l’Orchestre National de Bretagne • Producteurs : Jean-François Bigot, Camille Raulo, Stephan Roelants • Une production JPL Films / Mélusine • Partenaires : Film Fund Luxembourg, Rennes Métropole, Tébéo, Tébésud, TVR, France 3 Bretagne, Centre National de la Cinématographie et de l’image animée, Région Bretagne, Région des Pays de la Loire, Procirep / Angoa, SACEM – Copie privée, Pupps Motion Studio, Studio 352, L’incroyable Studio • Distribution France : Gébéka Films • Ventes internationales : Urban Sales