SLOCUM, ou la nouvelle traversée musicale de Jean-François Laguionie


C’est désormais un incontournable du Festival Travelling à Rennes : ce rendez-vous donné à la musique par le cinéma. Ou vice versa. Un rendez-vous d’amour, cela va de soi, et d’autant plus cette année, puisqu’il tombait un 14 février. Ainsi, trois auteurs – valant mieux que deux – se sont laissés emporter dans l’aventure en acceptant de lever les voiles sur les dessous de la création de Slocum, le prochain long métrage d’animation de Jean-François Laguionie, en cours de fabrication, produit par JPL Films. L’auteur, sa scénariste, Annick Le Ray, et son compositeur en titre Pascal Le Pennec, ont ainsi fait tourner les tables en musique et invoqué les fantômes déjà très expressifs d’un film qu’on appelle en animation des animatiques. Et c’était magique !

Après le succès de Louise en hiver et la sortie sur nos écrans du Voyage du prince en décembre dernier, Jean-François Laguionie travaille tranquillement – mais sans tarder – à cette étape dite préparatoire de son prochain long métrage, le septième, intitulé Slocum, et qui forme l’autre partie du diptyque initié avec Louise en hiver. Après le film de la mère en front de mer, c’est un peu celui du père qu’il prépare pour le cinéma, qui cette fois se situera en partie sur les bords de Marne, en partie en mer. On ne se refait pas ! Tranquillement, car à cette étape tout se joue en douceur et en toute liberté, comme il aime à le répéter : à ce stade de la production (la recherche de financements), « ce n’est pas encore certain que le film voie le jour. C’est peut-être pour cela que nous y trouvons autant de plaisir !», précise l’auteur. « Nous» en sommes donc à l’étape des maquettes : la maquette de l’histoire, du récit, ses premières images, ses premiers mots, ses premiers sons enregistrés à la maison… et la maquette de la musique, des musiques, l’une symphonique, l’autre jazz.

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Pascal Le Pennec © Gilles Pensart pour Travelling

 

Des musiques que Pascal Le Pennec aime à livrer déjà orchestrées, autrement dit préfigurées pour orchestre à partir de son sampler, c’est-à-dire pensées en grand, avec tous les types d’instruments, tous les pupitres. Ainsi, le réalisateur et sa scénariste complice pourront-ils placer ces musiques comme ils l’entendent, poser ces premières mélodies sur le fantôme du film, encore figé, sans mouvement, mais non pas sans vie ? Car le son, quelques dialogues, et une idée assez précise du temps que dureront les séquences participent à la créer cette vie, dans le corps et l’esprit. « Le fait d’avoir le format des séquences est quelque chose de très important pour moi. Même si tout est encore susceptible de bouger, cela me donne des indications de rythme dans la succession des plans. Je peux ainsi travailler de manière quasi définitive », commente Pascal Le Pennec au sujet du temps, du tempo, des tempi du film. Pluriel.

Car le récit est d’ores et déjà pensé en deux parties, deux temps qui alterneront au montage, et deux couleurs musicales : Jean-François Laguionie parle de deux voyages au sujet de ce film, l’un réel, l’autre immobile. Il y aura l’histoire vraie de Slocum, dont le film racontera des épisodes – grand navigateur du 19e siècle, il est le premier à avoir accompli le tour du monde à la voile et en solitaire, et dont Jean-François Laguionie dit que pour les marins, « il est vraiment Dieu le père » –, et il y aura l’histoire du père du petit François et tout ce qu’elle contient de souvenirs autobiographiques, qui construit un bateau dans le jardin du pavillon familial, sur les bords de Marne. Un film d’aventures folles et plurielles, ancrées dans des réalités pourtant bien différentes !

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Jean-François Laguionie et Annick Le Ray © Gilles Pensart pour Travelling

 

Si Jean-François Laguionie et sa scénariste portent l’histoire et sa mise en récit depuis longtemps, quand le compositeur rejoint le duo de créateurs, il ne sait à peu près rien de cette matière qu’il devra mettre en musique. C’est leur troisième collaboration et un nouveau modus operandi à chaque fois. Pour Le Tableau, le musicien était intervenu une fois le montage terminé, tout le processus de création ayant été effectué sur des musiques provisoires, signées Prokoviev en l’occurrence. Pascal Le Pennec avait alors dû composer à la manière de, sans qu’il en ait été réellement marri, Jean-François Laguionie présumant que cela l’avait « aidé sur le plan de la couleur sentimentale du récit ». Pour Louise en hiver, le voilà invité neuf mois avant le terme de l’écriture à travailler à une partie de la composition musicale du film (pour orchestre et chœur d’enfants), qui devait tendre cette fois vers l’univers de Debussy, un maître que Jean-François Laguionie et Annick le Ray avaient beaucoup écouté le temps de l’écriture cinématographique. « C’est au réalisateur d’indiquer la direction. Contrairement à d’autres compositeurs, cela ne m’embarrasse pas, ces indications sont très précieuses pour moi, elles remplacent tous les discours ! Lorsqu’un réalisateur a posé des musiques temporaires, je comprends immédiatement ce qu’il veut. La question ensuite est de savoir si l’on doit s’y tenir, ou pas. Nous avons en outre cette chance de partager un goût pour la musique française du début du 20e siècle, et cela a rendu les choses plus faciles et très agréables ! »

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Slocum, de Jean-François Laguionie, JPL Films. Dessin de travail.

 

Pour Slocum, c’est une autre histoire ! D’ailleurs, il y en a deux, d’histoires ! Et une musique pour chacune, une couleur, « celle dite de mer, confiée à l’orchestre symphonique, et celle de bords de Marne, confiée à une formation de jazz manouche », dit Pascal Le Pennec. On reconnaît là les affinités électives du réalisateur. Ce désir musical exprimé très tôt par Jean-François Laguionie ne s’accompagne cette fois d’aucun autre indice, sinon quelques conseils de lecture autour de Slocum, quelques dessins, le réalisateur ne souhaitant pas que son compositeur en sache bien davantage. « La seule chose que m’ait dite Jean-François, c’est que je devais travailler sur la météo : en mer avec Slocum et sur terre en famille, sur le chantier des bords de Marne. La météo c’est-à-dire aussi l’état d’esprit des personnages, le moral des troupes ! J’en savais pas mal sur Slocum avec mes lectures et un peu sur le reste grâce à Annick, qui alimentait discrètement de temps à autres mon imagination ! Jusqu’à ce que Jean-François me donne enfin quelques anecdotes sur l’histoire de son père, cinématographique en diable ! Je me suis alors inventé mes propres images, fait mon propre film pour lequel j’ai finalement proposé 45 minutes de musiques pré-orchestrées, avec des thèmes, des variations, en lien avec ces scènes qui n’ont jamais existé que dans mon imaginaire », raconte Pascal Le Pennec. Cette musique une fois livrée a une double fonctionnalité pour le réalisateur qui dit y puiser des repères pour l’émotion des scènes, les sentiments qui s’en dégagent et leur rythme, « le timing général du film pour être plus précis. Je suis incapable de faire un pré-montage du film si je n’ai pas de son, et de musique », ajoute le réalisateur.

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La Demoiselle et le Violoncelliste, Jean-François Laguionie, 1964. Musique Edouard Lalo "Concerto en ré pour violoncelle et orchestre"

 

L’œuvre de Jean-François Laguionie a toujours placé la musique en son cœur. Elle est l’âme de ses films et on comprend qu’au-delà de ces formes d’expérimentation dans les échanges avec le ou les compositeurs, il y cherche ce supplément de poésie et de vie qui court sous les images, et que la musique enchante et révèle. Dans le cas de Slocum, que l’auteur dit avoir envisagé comme un film proprement musical, on peut voir aussi, et avec lui, une manière de clin d’œil à son tout premier court-métrage d’animation, en 1964, La Demoiselle et le Violoncelliste : « j’ai fait ce premier film sans paroles et il y aura des dialogues dans Slocum. Mais c’est dans cette même veine d’un film musical que j’ai pensé ce film qui sera vraisemblablement le dernier, en écho au premier ».

Gaell B. Lerays

Photo en Une : Slocum, de Jean-François Laguionie, JPL Films. Dessin de travail.