Louise en hiver, réalisé par Jean-François Laguionie, sortira dans les salles à l’automne. C’est le premier long métrage d’animation produit en Bretagne. L’occasion pour les producteurs, Jean-Pierre Lemouland et Jean-François Bigot, qui fêtent aussi les vingt ans de JPL Films, de revenir sur ces riches années de création.

 

– Quel chemin parcouru depuis vingt ans ! Du « Cyclope de la mer » à « Louise en Hiver ».

Jean-Pierre Lemouland : Il y a entre les deux films d’étranges points communs : le cyclope et Louise sont deux personnages solitaires, et devant eux il y a la mer. Et les deux films ont été produits par Arte. Une boucle est bouclée. Le Cyclope de la mer était un premier film, celui de Philippe Jullien, dont j’étais coscénariste, et jeune producteur. A l’époque, nous avions tout à faire, tout à prouver, tout à dire. Et nous avons fait tout notre possible pour que le film se tienne. Le climat était incroyable, l’équipe jeune, très impliquée, vraiment. C’était une très belle émotion.
D’une certaine manière, nous avons retrouvé cet engouement pour Louise en Hiver, cette même sérénité, avec des gens très impliqués, une équipe d’animation remarquable, dont la plupart, bien évidemment, n’avaient jamais fait de long métrage. Il faut féliciter Camille Raulo qui a parfaitement tenu le rôle de directrice de production tout au long de ces quatre ans de travail.
Jean-François Bigot : L’équipe de « Louise en hiver » était composée de gens d’expériences et d’horizons bien différents ! Avoir réussi à impliquer, à fédérer cette équipe sur le projet, à transmettre, et à faire comprendre les subtilités de l’art de Jean-François Laguionie, tout cela a tenu de la performance. C’était aussi le travail de Camille et de Jean-Pierre. Un beau travail d’accompagnement.

 

– Comment un tel projet est-il venu à vous ?

Jean-Pierre Lemouland : J’ai rencontré Jean-François Laguionie dans les années quatre-vingts, au moment de la sortie de son premier long métrage, Gwen ou le livre de sable. À l’époque, par l’intermédiaire du réalisateur Hoël Caouissin, j’ai aussi pu approcher Paul Grimault, toute l’école française d’animation, ce sont des rencontres marquantes. Depuis une dizaine d’années, Jean-François Laguionie habite en Bretagne. Il m’a proposé ce projet, il y a quatre ans. J’ai d’abord été très honoré. Et puis, à la lecture du scénario, j’ai ressenti un plaisir immense, comme une évidence.

– En quoi l’écriture de Jean-François Laguionie est-elle si singulière ?

Jean-Pierre Lemouland : Ce qu’il raconte est toujours gonflé. Il nous embarque dans des endroits très inattendus, sans que nous ayons à bâiller un seul instant. Comme auteur et réalisateur, il atteint sans doute sa maturité à l’époque de L’Île de Black Mor. Son écriture est très littéraire, à la fois très visuelle et très sonore. Il orchestre tout avec beaucoup de sensibilité. Il faut savoir qu’il ne travaille jamais sans musique, il ne peut pas peindre sans musique, elle lui permet de trouver une sorte de rythme intérieur. Je me souviens qu’à l’origine Jean-François voulait accompagner son film de pièces de Debussy. Des harmonies réduites, une cadence très particulière, à la fois lente et intense. Quand bien même on a oublié Debussy pour composer une musique originale (1), Debussy subsiste. Le film a quelque chose de la couleur musicale d’un morceau de Debussy, sans Debussy.

 

– La production d’un long métrage doit être bien différente, toutefois, de celle d’un court métrage.

Jean-Pierre Lemouland : Réunir les financements d’un long métrage d’animation, c’est un travail de fou. Je n’ai jamais autant dépensé d’énergie. Au final, jamais un film produit en Bretagne n’a réuni autant de partenaires, qui sont plus d’une trentaine. Sept chaînes de télévision nous ont ainsi rejoints (2). Outre les très nombreux partenaires canadiens (3), en France, le CNC est présent à toutes les étapes du film depuis l’aide à l’écriture. La Procirep, MEDIA développement, l’Angoa, nous soutiennent encore. Et les partenaires bretons abondent (4), ils constituent un soutien massif et représentatif de la région. J’ai dépensé avec plaisir mon énergie à les réunir. Il fallait être à la hauteur. Évidemment, avec ce long métrage, nous changeons de dimension. Jusqu’à Louise en hiver, nous étions « producteurs audiovisuels ». Aujourd’hui, nous sommes dans le monde du cinéma. Ce sont d’autres interlocuteurs chez Arte, ou Canal +. À l’exception des fonds publics, les grands partenaires du long métrage sont différents, on n’a pas les mêmes rapports.
Jean-François Bigot : C’est un premier long métrage, mais si ces gens font confiance au projet, c’est aussi qu’ils font confiance au producteur, et à vingt ans de savoir-faire.
Jean-Pierre Lemouland : La production de ce film s’est effectuée dans une démarche cohérente, nous produisons des courts métrages et des séries animées depuis vingt ans. Nos partenaires perçoivent que nous n’essayons pas de faire ce qu’on appelle un coup.

– D’un point de vue artistique, comment avez-vous accompagné Jean-François Laguionie sur Louise en hiver ?

Jean-Pierre Lemouland : L’accompagnement artistique n’était évidemment pas du même ordre qu’avec les auteurs de courts métrages. Je n’allais pas m’accorder le droit de souligner le texte en rouge. De quel droit, quand s’agit d’une œuvre à ce point intimiste, délicate, et qui m’emportait ? Il a pu m’arriver de demander à Jean-François Laguionie de m’éclairer sur tel ou tel point du récit. Il a pu m’arriver de répondre à ses doutes, quand il en avait. C’est une aventure qui est longue. Il porte cette histoire en tant qu’écrivain depuis des années. Entre le moment où il me donne le scénario et le moment où le film sort, il faut encore quatre ans. Ce n’est pas si long pour le producteur, c’est très long pour le réalisateur. Et puis le film en lui-même est un défi monumental, il est porté par un personnage unique, qui doit tenir la route. On peut comprendre que l’artiste se pose des questions.

 

Jean-François Bigot : Maintenir le réalisateur dans un climat de confiance, dans une certaine sérénité, cela peut paraître évident, mais au quotidien et sur la durée, c’est assez complexe et subtil. Je ne suis pas certain que ce soit quelque chose de conscient, mais plus probablement le fruit d’une expérience que Jean-Pierre et Camille ont acquise avec le temps.

– Quel est votre état d’esprit, quelques mois avant la sortie de ce film ?

Jean-Pierre Lemouland : Nous n’avons pas d’inquiétude, mais un regard lucide. Le long métrage d’animation trouve principalement son succès auprès du jeune public avec des films qui se multiplient, dans un marché saturé. Or « Louise en hiver » n’est pas un film pour enfants. Mais il est beau. Il mérite d’être vu, il mérite de circuler, et on espère qu’il va faire son chemin.
Jean-François Bigot : En tout état de cause, nous sommes sereins, nous avons tout mis en place, à toutes les étapes, pour que tout se passe bien.
Jean-Pierre Lemouland : À commencer par une bonne distribution. Sans être une garantie de succès, c’est une belle machinerie qui s’enclenche. Gébéka Films distribuera « Louise en hiver », et sera en capacité de couvrir l’ensemble du territoire national. Gébéka connaît son métier, sait ce que représente un film d’animation. Il a distribué les Kirikou de Michel Ocelot, par exemple. Il possède un réseau « art et essai », capable d’appuyer la sortie de films qui ont une valeur culturelle forte. Au Canada, la distribution reviendra à Axia Films, et la distribution internationale à Films Distribution. Le film devrait donc avoir des spectateurs un peu partout dans le monde.

– Avec ce premier long métrage d’animation produit en Bretagne, on peut imaginer que votre regard de producteur sur le court métrage a changé.

Jean-Pierre Lemouland : Le paysage change. Le court métrage était souvent associé à un premier film d’auteur dans une logique régionale, au moins depuis les années 80 en Bretagne. Au Canada, l’ONF nous annonce qu’il ne veut plus produire de jeunes premiers films, mais au contraire des auteurs aux valeurs sûres. Le monde de l’animation est en train de changer dans des directions qu’il est difficile de prédire, mais qui nous obligent effectivement à nous remettre en question. Il y a quelques années, nous avons essayé d’aller chercher du sang neuf et des univers inconnus, des techniques inédites, des thèmes inédits, mais peut-être de façon maladroite ou trop récréative. Il faut sans doute travailler avec des auteurs qui ont des choses à dire, ne plus hésiter à solliciter des étrangers. Le court métrage doit avant tout préserver un espace de ce que j’appelle une poétique, autrement dit une réflexion sur la création.

 

– Vous allez fêter les dix ans de Mouchig Dall, une émission en langue bretonne, que vous produisez pour France 3 Bretagne. Quelle importance donnez-vous à ce programme ?

Jean-Pierre Lemouland : Mouchig dall est une belle émission à laquelle je tiens. La nouvelle formule a bientôt trois ans. Le public a adopté les deux nouveaux personnages : Mona et Tudu. L’émission nous permet d’inventer sans cesse. Il faut se rendre compte à quel point « Mouchig dall » est un laboratoire de découverte, de talent. Nous avons la chance de créer sans pression, avec une vraie liberté. Bien que subsistent parfois des idées reçues concernant la culture locale, l’émission nous a permis de réaliser des séries de qualité, dont certaines obtiennent des prix. Malo de Benjamin Botella a été honoré l’an dernier d’un Priziou. Une autre série ludo-éducative : Enseller Panda (Inspecteur Panda) de Gilduin Couronné et Sébastien Hivert a reçu le deuxième prix de la création audiovisuelle cette année. Mouchig Dall sera également présente pour la première fois au prochain Festival des TV celtiques en Irlande. Mona et Tudu nous représenteront avec Maël Kernalegenn, chargée de la production de ce magazine et dont il faut saluer le travail.
Jean-François Bigot : La langue bretonne est aujourd’hui portée par une nouvelle génération d’hommes et de femmes qui ont souvent appris le breton dans les écoles DIWAN. « Mouchig dall », est fabriquée par une équipe de cette nouvelle génération, complètement bretonnante, enthousiaste et créative. L’émission est à l’image de cette équipe, et résolument tournée vers l’avenir.

– JPL Films est aussi producteur de séries. Avez-vous une ligne éditoriale dans ce secteur particulier ?

Jean-François Bigot : Nous produisons des séries courtes, avec des épisodes de courte durée, ce que nous appelons du « short ». Ces séries nous permettent de soutenir des œuvres d’auteurs, comme L’Abécédaire de mon père d’Emmanuel Bellegarde, actuellement en développement, qui raconte, en 13 épisodes, la relation singulière entre un fils et son père. Parce qu’elles sont courtes, elles nous permettent aussi de produire en Bretagne. Depuis l’origine c’est un choix. Nous continuons à l’assumer.
Jean-Pierre Lemouland : Les séries courtes peuvent en réalité constituer des expériences très belles, parfois inédites, comme Les animaux d’ici, réalisé par des étudiants de l’IFFCAM coordonnés par Julien Posnic. C’est une série de courts documentaires animaliers. Ce format « mini-doc » est rare. La série animalière commence habituellement à 26 minutes. Mais curieusement, le petit format permet une ouverture, très récréative, dans le sens positif du terme. On est ici sur des territoires nouveaux.
Jean-François Bigot : Les séries courtes nous permettent également d’investir le champ de la web TV. C’est neuf. La web série animée ne se développe vraiment que depuis deux ans en France. Jusqu’à présent, on produisait des séries pour la télévision qui pouvaient s’exporter sur le web. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Cela naît d’une nouvelle réflexion sur les politiques de diffusion, auxquelles nous nous devons d’être sensibles. Les chaînes constatent que les jeunes ne regardent plus la télévision sur l’écran traditionnel. Pour séduire ce public de 15 – 35 ans, elles passent par la web TV. Nous sommes entrés dans cette logique avec Coquilles imaginée par Tom Roginski et réalisée par Benjamin Botella. La série devrait être diffusée au printemps à la fois sur France 4 et sur la Web TV de France TV, Studio 4.0.

 

– À vingt ans, JPL Films a donc le vent en poupe ?

Jean-Pierre Lemouland : L’activité ne manque pas. L’année dernière, nous avons fait travailler un équivalent temps plein de 20 employés, pour un total de 90 personnes. Nous avons conduit des projets à dimension internationale : Lupus, de Carlos Gomez Salamanca, un jeune réalisateur Colombien, Pawitt Raogo, de André-Daniel Tapsoba et Jean-Pierre Tardivel avec le Burkina Faso, une expérience intéressante en terme de production. Et puis nous avons eu le bonheur de voir distribué en salle le programme des Petites casseroles, qui a fait 90 000 entrées en France à ce jour, ce qui n’est pas rien. Je n’oublie pas Le Rêveur éveillé, de Jean-Paul Mathelier, documentaire consacré à Jean-François Laguionie. En 2016, nous développons un nouveau projet de long métrage en volume animé, Le Faune, avec Augusto Zanovello et Jean-Charles Fink, nous avançons dans la production de sept courts métrages, dont trois démarrent très bientôt : Mutti, un film d’Hugues Brière, de la 2D et une animation directe sur des murs ; Heures supplémentaires de Jean-Claude Rozec, en 2D; et Parkinson de Julien David, un auteur parisien avec qui on travaille pour la première fois. Et nous aurons évidemment la sortie de « Louise en hiver », dans une logique d’accompagnement très forte : nous préparons l’édition littéraire de « Louise en hiver » pour la sortie du film en automne, et un second ouvrage illustré consacré à la carrière de Jean François Laguionie, dont JPL Films sera co-éditeur. Enfin, nous travaillons sur une exposition Laguionie pour le festival d’Annecy.

– Certains parlent de retraite pour Jean-Pierre Lemouland. Mais vous avez une telle vitalité, une telle chaleur quand vous parlez de vos productions !

Jean-Pierre Lemouland : Nous avons de très nombreux projets enthousiasmants. Évidemment, l’arrivée de Jean-François Bigot apporte du sang neuf en terme éditorial. Nous avons lui et moi un échange culturel simple et évident, nous nous comprenons très vite, sur le plan artistique, sur la vision éditoriale, c’est quelqu’un qui pense intelligemment, avec une vision assez proche de la mienne.
Jean-François Bigot : Depuis maintenant deux ans, je prends beaucoup de plaisir à faire ce métier. Jean-Pierre est un formidable accélérateur d’apprentissage. C’est pour moi à la fois un plaisir et une responsabilité. Je suis conscient de la charge de la tâche, mais aussi de la chance de pouvoir poursuivre ce travail. La passation se fera inévitablement en fondu enchaîné…Et, vous le savez, la durée d’un fondu ne se décrète pas, elle s’apprécie en fonction des circonstances.
Jean-Pierre Lemouland : Je crois que nous avons une chance d’avoir un bel outil de production. Je souhaite le transmettre dans de bonnes conditions. Une transmission c’est important, il faut la soigner. Et j’ai très envie que chacun puisse avancer avec sérénité.

Propos recueillis par Vincent Dréano

(1) musique composée par Pascal Le Pennec.
(2) Arte Cinéma, Canal +, Ciné +, TVR, Tébéo, Tébésud, Radio Canada.
(3) La SODEC, TELEFILM Canada, le Crédit d’impôt Provincial du Québec, le Crédit d’Impôt Fédéral, le Fonds Harold Greenberg et la société de production montréalaise Unité Centrale.
(4) L’Union des chaînes locales de Bretagne, la Région Bretagne, le Département des Côtes-d’Armor, la Ville de Rennes, Rennes Métropole, la Maîtrise de Bretagne et l’Orchestre symphonique de Bretagne, le Breizh Film Fund.