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PHOTOGRAMME "MA MAISON" DE LISA DIAZ © A PERTE DE VUE

Le festival Eye Myth Film de Toronto vient de sélectionner Ma Maison de Lisa Diaz, quatrième court-métrage produit par la société A Perte de Vue. L’occasion pour nous d’évoquer le développement des fictions dans cette maison de production fondée par Colette Quesson en 2011.

– Films en Bretagne : Vous êtes partie en mars et avril au Maroc pour suivre le tournage de Nomades, deuxième long-métrage d’Olivier Coussemacq. Qu’y avez-vous ressenti   ?

Le tournage s’est déroulé à Tanger et à Tinghir, dans le Moyen Atlas. Tanger est une ville incroyablement lumineuse. Il y a une énergie et une envie de vivre très frappante au Maroc, que j’ai ressentie au contact des jeunes comédiens de l’équipe. Cette envie de vivre est d’ailleurs au cœur du film, à la fois pour le personnage principal de l’adolescent, joué par Jamil Idrissi, comme pour celui de sa mère, qui veut le retenir au Maroc. Nous avons eu la chance de travailler avec une grande comédienne marocaine, Jalila Talemsi, qui a été remarquable d’investissement et de justesse.

Entre Tanger et Tinghir, il y a une journée de route traversant l’Atlas, ce qui représente un déplacement contraignant au milieu d’un tournage. Avec Nicolas Brevière, mon coproducteur, on a souvent demandé à Olivier Coussemacq s’il avait vraiment besoin d’aller si loin. Mais quand j’ai traversé le pays, j’ai compris à quel point ce décor était fort et atypique. Le cinéma c’est toujours des couleurs, des décors, des lumières, des ciels…

– Quels étaient les enjeux particuliers de cette production ?

Nous étions dans une économie légère, avec une durée du tournage réduite. Olivier Coussemacq s’est beaucoup investi sur la préparation de tournage, en passant des semaines de préparation jusqu’à avoir une connaissance intime des lieux. Son découpage était extrêmement précis, ce qui a été très bénéfique au tournage. Le Maroc est un pays qui accueille beaucoup de tournages, des films indépendants aux superproductions. Il y a d’excellentes équipes de techniciens sur place, qui ont été très accueillants et curieux de la rigueur d’Olivier Coussemacq.

– Qui sont vos partenaires sur ce film   ?

En France, Nicolas Brevière de Local Films, avec lequel je partage la production déléguée du film et avec lequel j’avais déjà coproduit Nevermore, le court-métrage de Paul Manaté. Nous avons travaillé en coproduction avec Awman Productions au Maroc. Nicolas Brevière avait initié le projet dès 2010 suite à la production du premier long-métrage d’Olivier Coussemacq, L’Enfance du mal.   

Nous avons obtenu l’aide à la réalisation de la Région Bretagne, et cela a été déterminant pour la faisabilité du film. Nous avons bénéficié de l’Avances sur recettes du Centre du Cinéma Marocain, ce qui n’est pas fréquent pour un réalisateur français. Olivier est installé dans les Côtes-d’Armor et toute la post-production du film se fait en Bretagne. Le montage image est en cours à Douarnenez avec Julien Cadilhac, dont c’est le premier long-métrage. Je suis ravie de lui avoir confié le film. C’est un talentueux chef monteur.

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PHOTOGRAMME "QUAND LA NUIT NOIRE" DE FRANÇOIS LUNEL © ROSE PRODUCTIONS / A PERTE DE VUE / PROMENADES FILMS

– Vous accompagnez également Quand la nuit noire, troisième long-métrage de François Lunel. Où en est ce film ?

Quand la nuit noire raconte l’histoire d’une femme dans le siège de Sarajevo. Par le biais d’une histoire intime, le film parle de réconciliation, et des stigmates laissés par cette guerre des Balkans. Pour moi, il y a une vraie nécessité à produire ce film. En 1992, François Lunel, étudiant en cinéma de 20 ans, a rejoint Sarajevo assiégée et y a entrepris la réalisation d’un film de fiction, Jours tranquilles à Sarajevo, hymne à la résistance culturelle bosniaque. Son lien à la Bosnie est resté très fort. En 2016, il a tourné Quand la nuit noire avec Rose Productions en Bosnie et avec l’aide de Promenades Films en France. Il cherchait un coproducteur français et un interlocuteur artistique qui l’accompagne sur les enjeux du montage, et il est venu me voir. Ce film résonne particulièrement pour moi : lorsque je travaillais au Festival Premiers Plans d’Angers, j’ai organisé une édition du festival à Sarajevo, juste après les accords de Dayton en 1996.

Nous venons de terminer une version très aboutie du montage image et recherchons des partenaires et des financements français et européens pour la postproduction du film.

– Où en est le projet de film Été 81 de Lisa Diaz ?

Lisa Diaz sort ravie de la seconde session d’écriture au sein du Boost Camp (1), accueillie par le Groupe Ouest. C’est une équipe d’auteures, encadrées par deux formidables scénaristes, Anne-Louise Trividic et Séverine Vermersch. Je crois qu’il y a une complicité assez forte dans ce groupe féminin, qui joue dans la dynamique de travail.

C’est très agréable de travailler avec Lisa Diaz. Elle correspond à la définition que je  fais parfois de l’auteur(e), c’est-à-dire quelqu’un qui est en éveil sur des solutions de ré-écriture, qui connaît son cap et à la fois se remet en question. Développer un projet avec un réalisateur dont on a déjà produit un court est très intéressant. Avec Lisa, nous avons déjà traversé des situations où l’écriture s’est heurtée à des problèmes très concrets de réalisation, d’empêchements divers. C’est naturel pour nous d’aborder les enjeux de réalisation et c’est le sel de la relation auteur-producteur. Lisa est invitée en Roumanie au mois d’août, avec la réalisatrice Valérie Mréjen, pour réaliser un court-métrage avec une équipe franco-roumaine.

– Qu’en est-il de Carburant, le projet de premier long-métrage d’Amaury Brumauld, dont vous aviez produit le court-métrage La Passagère en 2014 ?

Nous travaillons une nouvelle version de continuité dialoguée. Amaury Brumauld écrit en collaboration avec Fabienne Vette, comédienne et metteur en scèneAvec cette particularité qu’a Amaury de souvent dessiner une séquence pour mieux l’écrire ensuite. Son imaginaire travaille avec son trait de crayon. Il arrive aussi que nous rediscutions d’une séquence et qu’Amaury trouve des solutions en passant par le dessin, qui impulse un axe, un regard, une ambiance.

– Comment envisagez-vous votre place dans ce processus d’écriture ?

Dans le travail quotidien, les auteurs peuvent avoir tendance à perdre de vue certaines idées essentielles qui étaient à l’origine de leur projet. Je suis très attentive aux  premiers mots que dit un auteur lorsqu’il me parle de son projet.

La narration, l’évolution des personnages nous emmènent au-delà, et nourrissent aussi le projet, mais parfois, j’essaye de revenir aux sources du projet pour questionner l’auteur(e) sur le cœur du film. Le plus important est de renvoyer des balles sur les versions de travail, de rester au service du film, et de sa singularité.

– Vous produisez également un court-métrage d’animation de Jean-Claude Rozec, Têtard.

Au sein de Ciclic, nous avions initié avec Denis Walgenwitz et Eric Réginaud une résidence d’animation (2) où j’ai suivi des tournages de courts-métrages en animation dite traditionnelle. Dès la création d’A Perte de Vue, j’ai toujours dit que j’avais envie de produire des courts -métrages d’animation sans jamais faire la rencontre d’un auteur ou d’un projet qui m’embarquait. Avec Inès Lumeau, assistante de production, nous avons eu un coup de cœur pour Têtard, autant sur le scénario que sur le pari de faire un film en aquarelle. C’est l’histoire d’une grande sœur qui raconte à son petit frère qu’il n’est pas son vrai petit frère… Le travail graphique à l’aquarelle est un bel enjeu artistique et technique qui me semble très juste par rapport au sujet, à l’idée d’une vérité qui se dissout. Nous avons un préachat d’Arte, la coproduction de TVR, TébéO et TébéSud, et le soutien de la région Bretagne. Le tournage commencera l’hiver prochain.

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TÊTARD, produit par À Perte de Vue, avec la participation d’ARTE France / avec la participation de Tébéo, Tébésud, TVR, les chaînes locales de Bretagne soutenues par la Région Bretagne / avec la participation du Centre national du cinéma et de l’image animée (aide avant réalisation à la production) / avec le soutien de la Région Bretagne en partenariat avec le CNC / Musique originale composée et enregistrée avec le soutien de la SACEM en association avec la Région Bretagne et Rennes Métropole. © A PERTE DE VUE

– Comment travaillez-vous avec Jean-Claude Rozec ?

Il y a eu une phase où Jean-Claude Rozec cherchait à l’aquarelle son univers de couleurs, des solutions pour le trait aussi : avec la dilution, il fallait trouver un juste milieu entre le lâcher prise que suppose cette technique et le trait qui permet de comprendre un mouvement et de raconter une histoire. C’est passionnant de travailler dès cette étape sur une matière plastique, où il est question de couleurs et de formes, donc de cinéma.

– Comment se porte plus généralement A Perte de Vue aujourd’hui ?

Nous continuons à produire des documentaires de création. Nous aurons terminé deux films de Caroline Rubens cette année, L’ombre de Venceslao qui a été tourné à l’Opéra de Rennes durant la création mondiale de cette pièce d’opéra, et Le secret des balançoires, qui est en montage, avec une musique originale de Gaël Desbois. Nous produisons aussi un long-métrage documentaire d’Isabelle Rèbre intitulé Pollock & Pollock avec la musique originale d’Olivier Mellano. C’est l’histoire étonnante de deux frères peintres américains, Jackson et Charles Pollock, l’un ayant vécu l’hypermédiatisation et l’autre ayant probablement choisi de travailler dans l’ombre.  Sylvia et Francesca Pollock, la femme et la fille de Charles, nous ont ouvert un accès privilégié aux archives familiales, dont une correspondance publiée en partie chez Grasset, qui nourrira le film. Ce film se fait grâce à la coproduction de Bip TV, télévision publique locale de la Région Centre, qui s’est engagée depuis longtemps et avec enthousiasme grâce au soutien de Ciclic, et avec le soutien de la Région Bretagne dès le développement. Nous finirons le tournage à New York à l’automne.

– Quel regard portez-vous sur votre métier de productrice ?

Avant de créer ma société en 2011, j’ai toujours admiré les producteurs et aimé leur position particulière sur les films. Je me souviens de beaucoup d’échanges avec des producteurs marquants.

C’est un métier tout à la fois ingrat et enthousiasmant. Et rien ne se fait vraiment sans prise de risque et sans conviction pour un projet. Sur certains projets, le producteur se confronte d’abord à beaucoup de portes fermées et c’est à force d’énergie et d’échanges que les projets maturent et trouvent leur faisabilité. Finalement, c’est frappant à quel point le travail du producteur reste mystérieux pour beaucoup de gens, y compris les professionnels du secteur. La charge administrative est de plus en plus chronophage, mais j’ai la chance de collaborer régulièrement depuis quatre ans avec Inès Lumeau, qui est très efficace.

J’ai été en charge d’un fonds d’aide, et ce qui me frappe, à l’heure des dépôts de projets en ligne, c’est une certaine tendance au formatage par des inscriptions standardisées. Nous nous retrouvons souvent, à partir d’une intention longuement mûrie avec un auteur, à devoir remplir des cases normées en nombres de signes pour exprimer le cœur d’un projet. Les structures de financement sont confrontées à la gestion du quantitatif, et cherchent l’efficacité, c’est dans l’air du temps. C’est aussi indispensable de savoir accrocher sur un projet en quelques lignes, mais je ne crois pas qu’il y ait forcément de la valeur ajoutée sur la qualité des films soutenus ainsi. Cela n’est pas anodin… Nous avons la chance que la Région Bretagne ne pose pas de contraintes sur le format des dossiers.

Le grand bonheur de produire est d’être au contact d’auteurs avec lesquels je sais pouvoir échanger, et que j’ai fondamentalement envie d’accompagner. Parce qu’ils me surprennent et qu’ils ont une énergie incroyable sur leur projet, qui donne envie de se battre. J’aime aussi la réinvention permanente dont nous devons faire preuve face aux obstacles. Dans mon travail, j’essaye toujours de mettre les films au centre, pour que toute une équipe se mette au service du meilleur film possible.

Propos recueillis par David Cenciai

(1) Le Boost Camp est une nouvelle résidence de développement d’écriture en trois sessions. Il a été initié par Diana Elbaum, productrice d’Entre Chien et Loup à Bruxelles, avec la volonté de soutenir quatre films de femmes belges. Lors de la prise de contact avec le Groupe Ouest, Antoine Le Bos a proposé que le processus s’élargisse à quatre réalisatrices françaises.

(2) Ciclic est l’agence régionale du Centre-Val de Loire pour le livre, l’image et la culture numérique. En 2000, Ciclic a mis en place une résidence de cinéma d’animation, installée à Vendôme depuis 2015. Les artistes viennent y développer et réaliser leurs projets dans des locaux entièrement équipés.