Olivier Mellano : « La musique doit procéder de l’émotion créée par l’image »


En pleine promotion de son nouvel album, le musicien Olivier Mellano a pris le temps de présenter un autre aspect de son travail : la composition de musiques de films. La master class qu’il a donnée pendant le festival de cinéma rennais Travelling nous a donné envie de continuer à explorer avec lui les relations fécondes entre la musique et l’image.

– Comment avez-vous commencé à composer de la musique de film ?

– Olivier Mellano : j’ai d’abord principalement travaillé sur des ciné-concerts, ce qui a été un bon terrain d’expérimentation. J’ai commencé avec un film-culte, L’Aurore de Murnau, pour une commande de la Fondation Cartier en 2004. Puis, j’ai enchaîné avec un thriller, Duel de Steven Spielberg, et une comédie noire, Buffet froid de Bertrand Blier. Ce furent trois expériences très différentes. Pour Duel, j’ai pris le parti de supprimer toute la bande-son originale du film et de ne garder que l’image. Sur Buffet froid, l’exercice consistait à accompagner la dynamique et la musicalité des dialogues. Le ciné-concert permet d’aborder librement une œuvre, sans avoir de comptes à rendre au réalisateur mais seulement à son film. Pour un musicien, c’est un moyen de faire entendre son travail et de toucher un public différent tout en faisant découvrir des films sous un nouvel éclairage.

– Comment organisez-vous votre travail de composition sur un ciné-concert ?

– O.M. : je décompose le travail en trois phases. Je passe la première semaine en immersion totale dans le film sur lequel je vais improviser en le visionnant jusqu’à dix fois par jour, sans me poser de questions. Au bout d’un moment, l’addition de la musique et de l’image produit quelque chose qui les dépasse l’une et l’autre, qui est plus que la somme des deux objets réunis. À l’issue de cette première semaine, les thèmes se sont dégagés. Durant la deuxième semaine, je travaille sur l’architecture et la dynamique globale du film et le mouvement général qu’elles insufflent à la musique. La troisième semaine, je peaufine les transitions, travaille l’interprétation et la mémorisation de l’ensemble.

– C’est intéressant cette façon de lâcher prise pour créer…

– O.M. : je ne vois pas comment on peut faire autrement. En ce qui me concerne, le moment de la création passe par l’absence de contrôle, je dois zapper l’intellect, me rendre ouvert et disponible pour laisser advenir les choses. Pour moi, l’inspiration est à prendre au tout premier degré, à savoir : inspirer le monde, le filtrer avec sa sensibilité et en restituer quelque chose par la musique ou toute autre forme d’art. Le travail sur le ciné-concert, c’est vraiment ça. C’est d’abord ce lâcher prise face à l’image durant lequel on se laisse submerger par les émotions procurées par le film. Et sans réfléchir, jouer par-dessus pour qu’à un moment quelque chose advienne.
David Lynch a une image qui me semble très juste. Il dit : « Les idées sont comme les poissons. Si l’on veut attraper un petit poisson, on peut rester près de la surface de l’eau. Mais si l’on veut attraper un gros poisson, alors il faut descendre plus en profondeur (…). Plus notre conscience s’élargit, plus nous nous enfonçons vers cette source, et plus le poisson que nous pourrons attraper sera gros. » C’est la partie la plus forte, la plus riche et la plus agréable du travail. C’est magique. Ça tombe. Tu cueilles. Après, c’est le travail. On dompte la matière recueillie. Et c’est là que le savoir-faire doit intervenir.

– Vous venez d’évoquer David Lynch. Quel est votre rapport au cinéma et à la cinéphilie ?

– O.M. : ma cinéphilie s’est précisée quand je suis arrivé à Rennes pour mes études en 1990. Je me souviens des cycles donnés au Grand Huit qui permettaient de découvrir l’œuvre l’intégrale de réalisateurs. Plonger dans l’intégralité d’une œuvre éclaire vraiment le travail d’un cinéaste. En se plongeant dans un univers, on en perçoit les évolutions et les constantes. J’ai toujours gardé cette approche. Quand je m’intéresse à un cinéaste, j’essaie de voir tous ses films.
J’ai été très vite touché par les univers de Lynch, de Tarkovski, de Cassavetes, de Monteiro, de Fellini… J’aime des cinémas très différents, mais qui ont en commun le fait d’être toujours marqués par une patte forte. Le cinéma me touche vraiment quand il porte la marque d’un réalisateur. Je suis à l’affût de nouveaux styles. En France, les films de Philippe Grandrieux, Bruno Dumont, Gaspar Noé, Leos Carax, Eugène Green ou Lucile Hadzihalilovic me touchent beaucoup. Par ailleurs, je trouve le cinéma hexagonal, dans son ensemble, ronronnant et très conventionnel.

– Et parmi les cinéastes que vous citez, certains ont eu des collaborations très fortes avec des compositeurs.

– O.M. : oui, et je trouve dommage que ce compagnonnage ne soit pas plus fréquent car il a produit des œuvres et des esthétiques très fortes. Comment imaginer Hitchcock sans Hermann, Fellini sans Rota, Lynch sans Baladamenti, Cronenberg sans Shore, Leone sans Morricone… Il y a une vraie identité musicale dans ces films-là. Ce genre de parti pris me manque. Tout est un peu trop lisse aujourd’hui, il ne faut pas que cela déborde trop. La façon d’assumer la musique au cinéma aujourd’hui me déçoit assez régulièrement. Elle est devenue le parent pauvre. Je me garderais de généraliser, mais j’ai l’impression que la musique a souvent un rôle décoratif ou fonctionnel alors qu’elle devrait être pensée de l’intérieur de l’œuvre au même titre que les dialogues, le scénario ou la mise en scène plutôt que d’être plaquée par dessus après le montage comme on a l’impression que c’est fréquemment le cas. Il me semble que certains réalisateurs manquent de vision à cet égard et ont peur de la musique du fait qu’ils n’ont pas cette vision. Il faudrait souvent mieux qu’il n’y ait pas de musique.

– À votre avis, à quoi cela est-il dû ?

– O.M. : peut-être que les réalisateurs ont moins de culture musicale qu’avant. Ils picorent beaucoup, comme tout le monde. En raison de la surabondance, on va moins au fond des choses. Du coup, la curiosité reste superficielle. C’est lié à notre société. Qui prend encore le temps d’écouter avec attention un disque du début à la fin sans rien faire d’autre ? Presque plus personne ne fait ça ! Alors que cela peut être aussi merveilleux qu’un film ou un livre auxquels on accorde plus facilement ce privilège de l’attention complète. On n’écoute moins la musique pour ce qu’elle est, hormis au concert. Pour nous, musiciens, c’est très frustrant de savoir que très peu de gens écouteront notre travail comme on voudrait qu’il soit écouté. Aujourd’hui les musiciens sont de plus en plus au service des autres arts, le théâtre ou le cinéma, un peu au détriment de la musique pure.

– Quelle est votre expérience du travail avec les réalisateurs ?

– O.M. : il y a deux cas de figures : soit le réalisateur sait ce qu’il veut, soit il ne sait pas. Bien sûr, c’est plus facile dans le premier cas, ce qui ne signifie pas que le musicien va être brimé, au contraire. Il saura alors dans quel cadre il peut évoluer. Alors que si le réalisateur lui demande de lui proposer quelque chose, à l’issue du montage, le compositeur peut croire qu’il a une grande marge de manœuvre et qu’il va vraiment pouvoir s’exprimer. Mais cela peut parfois déboucher sur des déceptions des deux côtés car si la direction prise ne convient finalement pas au réalisateur, il est plus difficile d’en faire le deuil. Le réalisateur peut avoir peur que son film soit phagocyté par la musique et le musicien doit faire des concessions. Il est beaucoup plus simple de travailler avec des gens qui ont un parti pris et qui vous le font partager.

– À quel moment de la fabrication du film intervenez-vous ?

– O.M. : dans plus de 50% des cas, j’interviens au début. Et c’est la bonne façon de procéder. On décide des bases de l’instrumentation, des endroits où la musique peut intervenir. C’est de cette manière que j’ai travaillé avec Bruno Collet sur son film d’animation Le jour de gloire qui se passe dans les tranchées de la Première Guerre mondiale.

 

La musique a été pensée en amont et nous nous sommes assez vite mis d’accord sur ce que nous allions faire. J’ai pu passer voir les décors et assister à une partie du tournage. Au début, j’avais proposé de faire appel à un quatuor à cordes. Mais Bruno a eu envie de guitare électrique, ce qui était, à mon avis une bonne idée, parce que cet instrument fait le lien avec les matières solides du film, avec toute cette boue, toute cette glaise. Les timbales ont été utilisées pour le côté martial des bombardements. Et à la fin, la musique permet une sorte de transfiguration, de basculement avec le surgissement de cette voix qui chante alors que tous les sons et les bruitages ont disparu. Il fallait trouver un texte pour cette voix. J’ai proposé d’utiliser des noms de soldats disparus pendant la guerre 14-18. C’était une matière très agréable à sculpter car il y avait des noms de poilus de toutes les nationalités. La musique apporte un éclairage émotionnel. Elle est capable de poétiser entièrement une scène. Il y a une forme de transcendance. Je cherche l’élévation. Il se peut que les réalisateurs fassent appel à moi pour cet aspect des choses.

– Comme dans le film de Katell Quillévéré, « Un poison violent » où vous intervenez à un moment bien particulier.

– O.M. : oui, Katell Quillévéré m’avait proposé de travailler sur les scènes de musique diégétique, c’est-à-dire celles incluses dans l’action et que les personnages peuvent entendre. J’étais plus particulièrement chargé de composer des pièces d’orgue pour des scènes d’église. Dans une des scènes, on assiste à un basculement, la musique est de moins en moins crédible en tant que musique d’église, elle devient oppressante et rejoint l’angoisse et le trouble intérieur de la jeune fille à l’écran.

 

– Dans votre approche, la musique de film naît donc directement de l’image ?

– O.M. : mon approche consiste à servir l’image et son sens. C’est de cela que va procéder la musique. Si ce lien n’existe pas, l’image devient support de la musique et la musique devient une illustration, plaquée sur les images, ça ne marche pas. Plutôt ne pas mettre de musique. La musique doit procéder totalement de l’émotion créée par l’image.

– Et il arrive parfois que ce soit la musique qui crée l’image…

– O.M. : oui. Il y a deux ans, j’ai composé une pièce symphonique pour l’orchestre de Bretagne et j’ai proposé à la réalisatrice lituanienne Alanté Kavaïté de réaliser un film à partir de cette musique. Nous avons co-écrit ensemble le scénario. Le film s’appelle How we tried a new combination of light. C’est un moyen-métrage de 40 minutes, un objet étrange, assez onirique. Il a été produit avec les seules aides de la Région Bretagne et des chaînes de télévisions locales de Bretagne. Il a obtenu le prix du public à L’Étrange festival à Paris, il a été montré au festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand et aussi à Vilnius.

Comme la musique est de moins en moins écoutée sur disque et de plus en plus en ligne associée à des images, je me dis que nous allons de plus en plus avoir besoin des réalisateurs pour partager notre travail. Il y a d’autres types de collaborations à trouver, d’autres formes à inventer au-delà du clip !

Propos recueillis par Nathalie Marcault

Photo de Une : Olivier Mellano © Richard Dumas
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Films en Bretagne, en partenariat avec Clair Obscur/Festival Travelling, a créé en 2012, le groupe de travail « Musique et Cinéma » pour rapprocher les acteurs de ces deux secteurs phares en Bretagne et favoriser les collaborations.
Plusieurs rendez-vous ont déjà eu lieu et font désormais partie des axes suivis par FeB pour appuyer et développer la création audiovisuelle et cinématographique sur le territoire.
Nous prévoyons une réunion du groupe de travail (ouvert à tous) : le 26 mai de 14h à 16h30 dans les locaux de Clair Obscur. Un lien sera prochainement mis en ligne sur le site de FeB pour s’inscrire. Il s’agira de définir les actions prioritaires à mettre en place pour développer le lien et les projets musique et cinéma.
Dernière nouveauté : pour améliorer la visibilité des talents et projets des compositeurs pour l’image, Films en Bretagne a réalisé un catalogue qui les présente. Enfin, les auteurs-compositeurs de musiques pour le cinéma et l’audiovisuel peuvent désormais devenir membres de FeB via le collège des techniciens, des artistes interprètes et collaborateurs de création.