En octobre dernier, un rapport parlementaire a été publié sur la question des médias et de l’audiovisuel public. Rédigé par la députée Martine Martinel, il a suscité de nombreuses réactions, certains le qualifiant même d’explosif. Alors que se négocie le COM (contrat d’objectifs et de moyens) entre l’Etat et France Télévisions, que s’élaborent dans la douleur les mesures d’économie pour le groupe public, ainsi qu’une nouvelle loi sur l’audiovisuel public en 2013, et enfin alors que la Région Bretagne réfléchit à des alternatives possibles, nous étions curieux du contenu de ce travail, et des solutions qu’il préconise pour le service public. Entretien avec son auteur, députée toulousaine du PS.

– Qu’est-ce qui vous a le plus étonné quand vous vous êtes penchée sur ce sujet ?

– Martine Martinel : ce qui m’a surprise, c’est de voir à quel point les choses n’ont pas l’air maîtrisées, en matière d’audiovisuel public : une vraie navigation à vue. Mon rapport a été très contesté par l’équipe de Rémi Pflimlin, sur les chiffres notamment. Mais ces chiffres sont très difficiles, voire impossibles à obtenir, même par la représentation nationale ! Je crois que la création de l’entreprise unique France Télévisions a été une erreur, car le tout est une usine à gaz, où personne ne sait à qui s’adresser, qui fait quoi, qui décide de quoi. La suppression de la publicité après 20 heures a aussi été une autre erreur, qui est venue aggraver la fragilité du financement de l’audiovisuel public. Depuis quelque temps déjà, le manque de visibilité de ce financement ne rend pas la gestion de ces chaînes publiques très sereine, c’est le moins que l’on puisse dire. Aujourd’hui, des mesures d’économies sont décidées dans l’urgence, mais ces économies se traduisent par des économies sur les programmes, malheureusement. Et les efforts ne sont pas faits sur la structure elle-même. Il y a bien un plan de départs volontaires, mais il va coûter 58 millions d’euros, c’est très cher, et n’impacte guère la lourdeur structurelle. La chaîne qui va le plus en pâtir, c’est celle qui est déjà en difficulté, France 3.
Pour l’instant, je ne perçois pas la réforme de fond qui serait nécessaire : quand on sait que la « scripted reality » est maintenue sur le service public, on peut se demander où sont les missions d’éducation de l’audiovisuel public ! Bien sûr, on a le droit de regarder des bêtises à la télé, et ça m’arrive aussi, mais la télévision publique, faite avec de l’argent public, doit être d’un autre niveau, privilégier la qualité.
– Comment voyez-vous une évolution possible des chaînes publiques actuelles ?
-M.M. : il faut reconstruire un service public, avec des chaînes qui ont une identité propre. Avec de la création, de l’information indépendante, des documentaires, de bons programmes. Pour l’instant, je vois que cette identité a été perdue en cours de route. France Ô, c’est presque dégradant pour l’image de l’Outre Mer ! France 4, je n’ai pas encore compris ce que c’était. Quant à France 3, que l’on a dit à un moment « la chaîne préférée des français », elle est à la dérive. La direction actuelle aimerait que les collectivités territoriales s’engagent davantage financièrement dans les programmes régionaux. Mais en temps de crise, on se demande quelles collectivités vont pouvoir le faire vraiment, alors que les priorités sont à la solidarité nationale, et qu’il y a des besoins sociaux criants.
Quand on observe les pôles régionaux de France 3, qui découpent la France en quatre, ce partage ne correspond à rien, il n’a ni réalité géographique ni culturelle. C’est un gros gâchis, et personnellement je pense qu’il faut changer d’optique : rendre une identité régionale accrue à France 3 et éviter les doublons coûteux comme les deux journaux nationaux du soir, de France 2 et France 3. L’omniprésence des séries américaines sur le service public est également indéfendable. L’exemple d’Arte est intéressant, car cette chaîne a su évoluer vers moins d’élitisme tout en restant exigeante sur la qualité.

– Quelle solution économique préconisez-vous pour cette politique de service public ?

– M.M. : la solution serait bien sûr d’augmenter la redevance, pas de 2 euros à chaque fois comme actuellement, comme si on mendiait, mais d’une manière plus franche. Et bien sûr de l’activer pour les résidences secondaires, c’est faisable, contrairement à ce qui a été dit. C’est un impôt juste, car les plus modestes en sont exemptés. Cette redevance est un lien, un contrat fort entre le public et sa télévision. Et cette source de financement est bien plus pérenne que la dotation de l’Etat, qui donne lieu à des négociations en coulisse, et fragilise la gestion à long terme.

– Comment voyez-vous l’arrivée des dernières chaînes de la TNT ?

– M.M. : le CSA n’a tout simplement pas joué son rôle de régulateur dans cette histoire. Pourquoi ces chaînes en plus ? Il y en avait bien assez, et elles n’amènent aucun contenu neuf. C’est un cadeau gratuit à de gros groupes, comme Canal, M6 ou TF1, qui de plus pourront revendre ce qu’ils ont obtenu gratuitement du CSA avec un bénéfice, d’ici deux ans. D’autre part, on peut s’étonner des choix qui ont été faits. Ces nouvelles chaînes ont eu pour conséquence la dénumérotation des chaînes locales, ce qui va les fragiliser encore plus, au risque de les faire disparaître en fin de liste, leur faire perdre de la publicité et des spectateurs. Ces chaînes locales sont le maillon le plus fragile de la TNT. Et cela, bien qu’il y ait une demande de dimension et de contenu au niveau local. A Toulouse où je suis députée, TLT a de grosses difficultés à se maintenir. Il y a 43 chaînes locales en France, qui ont une viabilité économique fragile. Leur existence est remise en cause, faute de soutien.
– Votre constat est donc bien pessimiste !
– M.M : pessimiste ? Je dirais plutôt réaliste. Un rapport de Michel Boyon, actuel président du CSA, disait en 2006 que la création de nouvelles chaînes sur la TNT n’était pas pertinente. Les études montrent aujourd’hui que les Français apprécient cette TNT, mais ne sont pas en demande de nouvelles chaînes. Multiplier les canaux ne fait que déstabiliser les chaînes existantes et le marché de la publicité. Si le CSA fait son travail au niveau du contenu des programmes, la lutte contre la violence, la pornographie, il est laxiste sur le reste. J’espère que mes propos ne sont pas décourageants, je voudrais au contraire qu’ils soient une vraie « déclaration d’amour » à la télévision de service public, la télévision de qualité. Le service public est là pour favoriser l’accès à la culture, renforcer l’ouverture et l’estime de soi. N’oublions pas que le temps d’écoute est de plus de 3 heures par personne et par jour, dont 2 heures d’écoute active, c’est énorme. Pour réformer la télévison, il est temps de sortir de l‘entre soi des petits réseaux parisiens, où ce sont toujours les mêmes personnes qui décident. Je vous donne rendez-vous en 2013 pour la loi sur l’audiovisuel, qui j’espère sera à la hauteur des enjeux !
Propos recueillis par Brigitte Chevet

Photo: la députée Martine Martinel dans l’hémicyle.