[Images de Justice] : DES FILMS QUI RACONTENT CHOIX DE VIE, ENGAGEMENTS ET COMBATS…


 

Né en 2003 au Parlement de Bretagne, le festival Images de Justice propose tous les deux ans une compétition de films documentaires internationaux, soumis au verdict d’un jury mixte du monde du cinéma et de la justice. Après avoir fêté les 20 ans de l’évènement en 2023, Images de Justice revient cette année dans une édition intermédiaire, sans compétition, mais avec de très belles propositions et la vocation d’interroger la justice par le biais du cinéma documentaire…

Projections, rencontres… Trois jours et 5 temps… C’est du 14 au 16 mai à Rennes !

 

 


Mardi 14 mai : La Jeunesse dans tous ces états !

mardi 14 mai, 14h30 | Askoria
Gratuit, ouvert au public – en présence de Céline Dréan, réalisatrice
Cinthia Thibaut et Maëva Realland, éducatrices spécialisées (association ESSOR) et Florian Dazinieras, référent ASE de Saint-Malo

PUNKS de Maasja Ooms
Pays-Bas | 2019 | 92 min | Cerutti Films

La justice donne à de jeunes criminels hollandais, le choix entre la détention, ou un départ vers une ferme complètement isolée en France. Cette dernière chance est l’occasion pour eux d’apprendre à vivre ensemble selon des règles précises, mais aussi réfléchir à leurs actes pour tenter d’échapper à leur colère intérieure. 

A LIRE… un retour sur le film…
Le pire et le meilleur du genre humain. C’est ce que donne à voir, malheureusement à une heure tardive, Punks, un documentaire bouleversant, qui fait partager quelques mois de la vie de cinq jeunes Néerlandais – pas punks du tout. Ils ont tous accepté, comme alternative à la mise en centre de détention, de séjourner dans une ferme des Vosges, sous la seule surveillance de Petra Knol, une éducatrice hors norme. « Je ne voulais pas faire un film sur ce que les garçons avaient fait, explique la réalisatrice Maasja Ooms en préambule, mais sur ce qu’ils étaient au fond d’eux-mêmes. (…) Sur tout ce que les adultes ne perçoivent pas d’ordinaire. » Une telle occasion ne se refuse pas – même en néerlandais sous-titré. Le pire, Mike, adolescent aux cheveux courts, l’entend de la bouche d’une assistante sociale néerlandaise : « Personne ne sait quoi faire de toi. Ta mère dit que tu as une case en moins. » Puis c’est au tour de Mitchel, le regard d’une tristesse absolue, lorsque son père, Chris, refuse, devant témoins, qu’il vive avec lui « à la maison », parce que « à 57 ans », il veut enfin « penser un peu à [lui] ». La scène glace le sang.
Dialogues en tête à tête… Changement de décor sur fond de rap français. Dans les combles d’une vieille ferme, Mitchel manie la perceuse, jusqu’à ce que Petra l’appelle, avec Mike, à rejoindre Jeroen et Jahlano, ex-dealer de 15 ans, pour une mise au point domestique : chacun doit débarrasser la table, ranger… « Quant au grille-pain », il est confisqué deux mois. Dehors, tous fument, beaucoup. Petra dialogue régulièrement avec chacun d’eux en tête à tête, pour faire le point, éclaircir les enfumages. Stricte sur les règles, elle s’adoucit pour annoncer à Jahlano qu’il ne pourra plus vivre avec sa mère. Le gamin accuse le coup.
Les pères de Mike et Mitchel viennent, rarement. Petra enregistre les conversations père-fils. Elle intervient peu mais à bon escient : « Il y a un passif entre vous, voulez-vous en parler ? » Jusqu’au moment où elle mettra Chris face à ses manquements. De poules à nourrir en apartés parfois vulgaires, le parcours de chacun se précise. Entre-temps, une fille, Sanne, rejoint la petite bande, ce qui ne va pas aller sans créer d’embrouilles.
Exemplaire leçon d’humanité : Bien sûr, le téléspectateur s’interroge sur l’organisation de tels séjours, sur le parcours de Petra Knol, qui livre une exemplaire leçon d’humanité. Mais ce n’est pas le sujet. On ne peut qu’admirer la faculté de cette quinquagénaire, cheveux courts et gris, à gagner la confiance des gamins et à les cadrer. Tout ne finit pas toujours bien. Mike serre contre lui un chaton noir et blanc. Il va rentrer chez lui. Un petit nouveau, Dylano, arrive.
Mitchel occupe une place particulière dans le film. C’est en rappant qu’il finira par exprimer le « putain de coup au cœur » qu’il s’est pris. Décembre aux confins des Vosges, la neige tombe, le chien blanc court en tous sens, les boules de neige volent, Mitchel referme sa valise sur le portrait de sa mère. On pourrait croire à un conte de Noël.

Catherine Pacary, sur LeMonde.fr (publié le 14 décembre 2020)


mardi 14 mai, 20h15 | Diapason
Gratuit, ouvert au public – en présence de Colin Lévèque, chef opérateur, Thomas Chapon, coordinateur du CASNAV
et Miguel Sierra psychologue et psychanalyste

ÉCLAIREUSES de Lydie Wisshaupt-Claudel
Belgique | 2022 | 90 min | Les Productions du Verger

Marie et Juliette ont quitté l’enseignement pour ouvrir au cœur de Bruxelles une école alternative où elles accueillent des enfants issus de l’exil. La réalisatrice filme avec dou- ceur et sobriété, le dévouement de ces deux pédagogues qui s’interrogent sans relâche sur la meilleure façon d’accueillir les traumatismes silencieux de leurs petits élèves. Dans l’espoir qu’ils puissent reprendre confiance et réapprendre à vivre selon des règles communes.

A LIRE… plusieurs retours sur le film…
Il ne suffit pas de poser ses valises dans un pays où la scolarité est obligatoire pour accéder à l’école. Comment est-ce possible ? Les fondatrices de la petite école ébauchent des éléments de réponse mais se gardent bien d’émettre le moindre jugement. Leur initiative se situe ailleurs, entièrement dédiée au présent des enfants accueillis. Lydie Wisshaupt-Claudel a passé de longs mois en repérage dans l’espace chaleureux d’une ancienne boutique transformée. Sa caméra nous balade d’un atelier manuel à une réunion pédagogique, d’un temps de lecture à une séance de débriefing avec la douceur de celle qui veut capter au plus près la magie de la transmission et qui sait bien aussi que cette magie n’existe pas sans la ténacité de celles qui l’animent. Les sourires de Yasser, Ahmad, Kelly, Marie, Juliette et les autres, comme les ombres qui traversent parfois les visages, ne trompent pas sur l’importance fondamentale d’un tel projet… ni sur les difficultés rencontrées pour le faire vivre.

Pauline David, Programmatrice, directrice du festival En ville ! – Bruxelles (pour Tënk)

Plongée dans un dispositif unique, une structure artisanale qui accueille des enfants jamais scolarisés, « Éclaireuses » est un documentaire indispensable qui bouscule toutes les idées préconçues sur l’apprentissage et ouvre la voie pour repenser le système scolaire en profondeur.
À Bruxelles, Marie et Juliette, deux enseignantes douées d’une détermination hors-du-commun, ont fondé une structure inédite, La Petite École, qui accueille des enfants de 6 à 15 ans n’ayant jamais été scolarisés. Souvent, ils et elles ont connu la guerre et l’exil, comme ces petits Syriens qui sont la majorité des « élèves » de cette classe très spéciale. Pendant des années, la documentariste Lydie Wisshaupt s’est immergée dans cet espace exigu (une grande pièce, une plus petite, une cuisine et une étroite cour intérieure) donnant sur une route pleine de voitures – au bord du danger, raccord avec la façon dont ces enfants ont appris à vivre.
Chaque jour, inlassablement, avec des micro-moyens, Marie et Juliette pensent et repensent la pédagogie, l’approche, les jeux, les mots à adopter avec eux. En tout premier lieu, elles ne leur apprennent pas à lire et à compter, encore moins le français, mais à maîtriser le temps, à structurer et découper leur journée en différentes activités. À ne plus flotter mais s’ancrer dans le présent. Car pour ces enfants déracinés, violentés et traumatisés, le poids du passé est écrasant. Rien ne leur a été donné pour se penser comme des êtres à part entière et encore moins pour se projeter dans le futur. La grande révolution, au sens propre, des deux enseignantes, c’est que ce sont elles qui s’adaptent aux besoins des enfants et non l’inverse. Ainsi dans la superbe scène d’ouverture qui montre un petit céder à ses pulsions de destruction : il commence à frapper, casser tout ce qui l’entoure, ne disposant pas encore d’autre moyen pour traduire ses émotions.
Aucune punition ne lui est infligée, au contraire. Marie l’emmène dans la cour et lui fait clouer des planches, laissant ses propres doigts sous la menace du marteau – à l’exact limite entre danger et confiance –, prouvant au final qu’avec cette méthode, tous s’en sortent intacts, peut-être même un peu réparés. À force de réfléchir en-dehors des cases, aussi au sein de groupes de réflexion avec des chercheurs en éducation, Juliette et Marie ont forgé à la sueur de leur front des nouveaux outils et approches bien plus adaptés aux enfants que le système scolaire rigide auquel leur Petite École les prépare pourtant. Et contre lequel certains butent ensuite ou dont ils décrochent, soudain bêtement évalués sur une liste de compétences fixes, des tests qui leur infligent une nouvelle humiliation souvent insurmontable. Le travail amorcé par le duo d’enseignantes est titanesque ; et se pose comme la pierre angulaire qui permettrait de faire enfin évoluer, enfin, l’école dans son ensemble.

Timé Zoppé sur Trois Couleurs.fr — publié le 11 avril 2022


Mercredi 15 mai : Activisme et procès politique

En 2008 les inculpés de Tarnac sont mis en accusation pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Ils seront finalement tous relaxés dix ans plus tard. Et si cette « affaire Tarnac» pouvait être rapprochée de la tentative gouvernementale de dissolution des Soulèvements de la terre ? L’accusation d’appartenir à une « ultra gauche, mouvance anarcho-autonome », comme avait été qualifié le groupuscule de Tarnac, par la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie, n’est-elle pas la copie conforme de ce qu’on a pu reprocher aux militants écologistes, dont « les appels à l’insurrection sont un inquiétant virage radical des activistes écologistes » ? Le procès de ces « écoterroristes » ainsi baptisés par Gérald Darmanin, n’est-il pas un signe de la criminalisation croissante de l’activisme politique ?

Images de Justice propose deux temps de rencontre pour comprendre le lien entre deux affaires aussi politiques et médiatiques l’une que l’autre.

mercredi 15 mai, 18h |Librairie Comment Dire
Gratuit, ouvert au public – rencontre avec Pierre Douillard Lefevre

Après avoir travaillé sur les armes et la militarisation de la police, Pierre Douillard Lefevre vient présenter son nouveau livre Dissoudre, publié aux éditions Grevis.

« Nous avons vu l’État s’attaquer au mouvement écologiste après avoir démantelé des associations anti-racistes musulmanes et contestataires. Nous avons vu les manifestations interdites et l’antiterrorisme maintenir l’ordre. Nous avons vu un Ministre menacer la plus ancienne organisation de défense des Droits de l’Homme. L’objectif de ce régime n’est pas de susciter l’adhésion mais la soumission, pas de provoquer l’action mais l’apathie. Dissoudre tout ce qui fait commun. Alors que l’horizon se rétrécit, cet essai propose une histoire des procédures de dissolutions et la manière dont elles incarnent désormais la gouvernementalité contemporaine. Surtout, il se demande comment faire face. »

Cet essai propose une histoire des procédures de dissolution, et la manière dont elles incarnent désormais une réponse gouvernementale qui cherche avant tout à neutraliser, dissoudre tout ce qui fait commun et permet l’action collective.

mercredi 15 mai, 20h15 |Cinéma Arvor
projection + discussion avec Manon Gilbert, personnage du film
et Aïnoha Pascual, avocate pour Les Soulèvements de la terre

RELAX d’Audrey Ginestet
France | 2022 | 92 min | Deuxième Ligne Films

Cela fait dix ans que Manon est inculpée dans «l’affaire Tarnac », accusée avec huit autres personnes d’avoir participé à une entreprise terroriste pour des sabotages sur des lignes TGV. À l’approche du procès, la réalisatrice rejoint le groupe de femmes qui aide Manon à préparer sa défense.
Comment aborde-t-on alors le travail de la défense dans ce type d’affaire ? Le procès politique induit-il une défense similaire pour des cas par ailleurs très différents? L’avocat peut-il se spécialiser dans ce type de procès? La médiatisation est-elle un élément qui peut favoriser l’issue de ce type d’affaire ? Une discussion avec Manon Gilbert, personnage du film et Aïnoha Pascual, avocate pour Les Soulèvements de la terre.

A LIRE… un entretien avec Audrey Ginestet…
Quand avez-vous décidé de consacrer un film à l’ « Affaire de Tarnac » ?
Quand j’ai vu la manière dont elle était traitée immédiatement après son déclenchement, j’ai été choquée par l’emballement médiatique qui, parfois jusqu’à la diffamation, faisaient de mes connaissances des terroristes et de mauvaises caricatures de révolutionnaires. J’ai tout de suite pensé que j’étais au bon endroit, à la bonne distance pour raconter de l’intérieur ce qu’ils vivaient et qui n’avait à peu près rien de commun avec ce qui était exhibé.

J’ai compris qu’un des principaux champs de bataille de cette histoire concernait les mots. Les mots qui les accusent, « groupe à vocation terroriste, association de malfaiteurs, sabotage, manifestations violentes… » il y avait également les mots qu’ils sont accusés d’avoir écrits (L’insurrection qui vient, signé du comité invisible, éd. La Fabrique), les mots avec lesquels ils et elles vont être capables de reformuler la situation, de se défendre et aussi les mots qu’ils ne disent pas.

En quoi étiez-vous « au bon endroit » et à la « bonne distance » ? Dans le film, vous mentionnez votre lien personnel avec Manon, qui est donc la soeur de votre compagnon, mais c’est la seule information concernant votre relation avec l’ensemble de l’affaire et ses protagonistes.
Le bon endroit vient de mon lien avec Manon. Nous nous faisons confiance l’une l’autre et je dirai que c’est sur cette confiance que le film repose.  J’ai cherché le bon endroit compte tenu de la gravité de ce qu’ils traversaient. Certains des inculpés risquaient jusqu’à 10 ans de prison. Eux et leur entourage ont été suivis, mis sur écoute par la police pendant de nombreuses années. Je ne voulais pas que ma caméra puisse être ressentie comme intrusive, indiscrète ou qu’elle apporte une quelconque gêne dans ce moment délicat qu’était la préparation au procès.  J’avais par ailleurs décidé d’emblée d’écarter du film la question de leur culpabilité – question qui occupait la police, la justice et les médias – et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu formuler le verdict dans le titre du film.

Durant les 10 ans qu’ont duré l’instruction, les inculpés ont fait en sorte de contrôler leurs apparitions afin d’apparaître aussi peu que possible dans les médias et uniquement pour les besoins de la défense. Bien que mon lien intime avec certains d’entre eux apparaisse dans le film, j’ai cherché à me tenir à la distance qui respectait leur attitude propre, leurs choix vis à vis de la représentation de l’affaire.

Pouvez-vous préciser ce que vous cherchiez à faire avec un film dans la situation créée par les arrestations et les mises en examen ?
Les arrestations puis les mises en détention provisoire qui ont suivi ont fait un tel bruit que lorsque les mis en examens ont été libérés, nombreux sont ceux qui ont pensé que l’affaire était terminée. Alors que tout cela ne faisait que commencer. On a tendance à penser que la peine c’est le verdict, la prison etc… dans ce cas précis et sûrement ailleurs, c’est aussi et surtout l’instruction, menée exclusivement à charge et les 10 ans qu’aura duré l’affaire.

Mais pour revenir au processus qui précède le tournage, je me suis intéressée de près à la défense collective qu’ont mené les inculpés (ils étaient 9 au départ) dès qu’ils ont pu sortir de prison en 2009. Ils ont entrepris de communiquer aux media les failles de l’enquête, ce qui s’est révélé payant car, très vite, la presse a changé de discours à leur endroit. En 2017, ils réussissent à faire tomber définitivement les charges terroristes qui pèsent sur eux, et apprennent qu’un procès va bientôt avoir lieu. Manon m’informe alors que des répétitions sont prévues avec son avocat. Je décide de filmer cela. Finalement ces répétitions n’ont pas lieu et je me rends à Tarnac pour filmer le groupe de défense autour de Manon, puis je propose à Manon, Benjamin et Yidlune, d’organiser une répétition filmée (qui aura lieu deux semaines avant le procès). À l’image, je souhaitais quelque chose de sobre car il fallait éviter le plus possible que cela fasse « vrai tribunal. » Dans ce dispositif, je souhaitais qu’ils puissent tester et éprouver chacun(e) à sa manière, mais ensemble, leur défense politique – défense qui bien sûr comportait des risques.

Une des singularités du film est de ne pas suivre la dramaturgie classique pour évoquer ce genre de situation, avec, face à la manipulation politico-policière relayée par les médias officiels, une mobilisation des soutiens, le travail des avocats, etc.
Je voulais éviter de simplifier l’affaire pour les besoins du récit. C’est aussi pour cela qu’il y a des registres d’images différents : j’ai tenté de rendre apparent le fait qu’il y a des zones d’ombres, des choses dont le film ne se préoccupe pas. Sans pour autant perdre le spectateur, je souhaitais lui faire sentir que cette affaire le dépasse, tout comme elle me dépasse et dépasse également les protagonistes du film.

J’aimerai que vous parliez plus précisément de ce dispositif central dans le déroulement du film, les répétitions, le «pré-enactment » des audiences à venir.
Je m’interroge encore aujourd’hui sur le statut de ces séquences particulières dont le sens et la fonction ont bougé avec le montage. Je ne pense pas que j’aurais filmé les audiences si j’avais pu le faire (il faut rappeler qu’en France les audiences, à de rares exceptions près, ne peuvent être filmées) car c’étaient les préparations qui m’intéressaient, pas le show. Aussi, je pressentais que le tribunal ne serait pas le lieu du procès politique tant attendu. La juge a soigneusement évité de s’aventurer sur ce terrain pour s’en tenir prétendument aux faits. Avec le temps, j’ai découvert que les séquences de répétitions que j’avais filmées étaient le lieu d’une toute autre parole : vraie, sincère, avec des émotions spontanées, qui est l’antithèse de ce qui s’est passé au tribunal.

J’espère que le film permet aux convictions politiques de devenir sensibles, audibles, de prendre chair. 

Tout ce travail effectué par les inculpé(e)s sur les documents judiciaires, sur les mots, sur les attitudes à avoir, est très éloigné de ce qu’on considère comme le fonctionnement normal de la justice, en particulier du côté de la défense.
C’est également ce que m’ont dit des avocats en voyant le film : il montre l’appropriation du dossier d’instruction par les accusés eux-mêmes. Pour avoir suivi de près tous les rebondissements de cette affaire, je peux dire que la relaxe provient de cette appropriation – légalement réservée aux professionnels de la défense – par les inculpés.

Pourquoi Manon est-elle devenue le personnage central ?
Pour plusieurs raisons. J’ai vite découvert en la filmant, qu’il se passait quelque chose entre ma caméra et elle, comme une vibration, un courant qui passe et qui peut toucher les spectateurs. 

Durant les 10 ans de l’affaire, Manon n’a fait aucune apparition médiatique, elle est restée en deuxième ligne, mais le moment du procès l’oblige à s’exposer et à redéfinir sa défense. C’est ce qui m’intéressait. Aussi, Manon tenait à ce que soient gardées des traces de ce combat afin que cela puisse servir à d’autres qui sont engagés dans des luttes semblables. C’est la raison pour laquelle elle a consentie à être filmée et a trouvé le courage de se montrer dans des moments de grande vulnérabilité. 

Quelle est la première séquence que vous ayez tournée ?
Elle n’est pas dans le film. Mais c’est cette séquence qui a fait naître le dispositif central du « faux procès ». La première fois que je filme Manon, c’est lors d’une réunion de préparation de sa défense à Tarnac où elle fait sa première tentative de déclaration, improvisée, à l’oral, devant son groupe de soutien. Nous avions bricolé un petit dispositif avec un pied de micro, moi derrière une caméra, et deux amies qui faisaient les juges, qui convoquaient l’accusée, tentaient de lui poser des questions, etc. J’ai senti que ma caméra pouvait aider, qu’elle provoquait une certaine écoute, une attention chez toutes les personnes présentes dans la pièce. Elle nous donnait le pouvoir de nous projeter avec tout le solennel et le sérieux nécessaires pour répéter les futures audiences.

À ce moment-là, Manon décide de préparer une déclaration qu’elle lira au procès et établit qu’elle ne répondra pas aux questions des juges – ce qui ne me rassure pas du tout. Ma caméra, c’est aussi une caméra grigri, une caméra de protection, c’est de cette façon que je prends part à la réflexion collective autour de l’écriture du texte qu’elle lira lors de son procès. Manon est une femme pragmatique qui n’a pas pour habitude de verbaliser ce qu’elle vit. La déclaration qu’elle choisit de faire est à la fois un système de protection vis à vis des juges et une prise de risque. C’est entre autres parce qu’elle est prise dans cette tension, au beau milieu d’une affaire dans laquelle les mots font tout, dressent un portrait, constituent un préjudice, que Manon fait un bon personnage.

Mais le film est loin de ne montrer que cela, il donne accès à de nombreuses situations de la vie quotidienne à Tarnac.
C’était une manière de répondre à une accusation très forte – même si elle ne figurait pas en tant que telle dans les chefs d’inculpation – relative à la façon dont les personnes incriminées ont choisi de conduire leur vie. Il me semblait important non pas de chercher à les innocenter mais de montrer sur quelles vies, quels mondes, quels paysages l’accusation avait été portée. Manon n’a rien d’une figure stéréotypée de révolutionnaire ou d’intellectuelle, elle est toute entière dans la vie qu’elle a choisie : avec les enfants du village, avec ses amis, avec les réfugiés qu’elle accueille, à l’épicerie, à la ferme, ou sur scène comme musicienne… 

En somme son engagement politique est profond et incarné dans toutes les choses qu’elle fait, c’est ce qui la rend cinégénique.

Cette reformulation du sens des actes et des réflexions depuis des pratiques quotidiennes est au fond le véritable enjeu du film ?
Oui, ce n’est pas un film dossier sur le procès ni sur Tarnac en général, et ce n’est pas non plus la belle et triste histoire de Manon. Cette situation et ces personnes permettent d’approcher d’une manière que j’espère non simplificatrice ce que cela signifie de chercher à construire une existence en dehors des impératifs dominants, de chercher des pratiques quotidiennes qui ouvrent sur d’autres possibles. Mais cela prend un sens et une tension particuliers dans le contexte de la construction de la réponse à une attaque frontale et brutale des forces policières, politiques et médiatiques et en ne disposant pas du soutien de défenseurs sur lesquels on aurait cru pouvoir compter. 
J’espère que Relaxe incite à réfléchir aux choix de vie de tout un chacun et à leurs conséquences.

Le film tel qu’il existe résulte d’un long processus ?
Oui, j’ai beaucoup réfléchi avant, mené des entretiens avec les inculpés, beaucoup lu. Lorsque le tournage a commencé, j’avais un cahier avec un très grand nombre d’éléments qu’il me semblait importants de voir figurer dans le film. Encore fallait-il qu’il se produise quelque chose qui, en termes de rapports humains, d’émotions, de significations suggérées, advienne effectivement.

Et, de manière un peu miraculeuse, ce que j’avais espéré pouvoir capter à un moment ou à un autre se trouvait dans les rushes. Par exemple la scène du petit-déjeuner où il est question de la solitude de Manon, je l’avais souhaitée, mais je n’ai rien fabriqué. Cette préparation m’a permis d’anticiper d’où je devrais filmer et surtout de déterminer ce qui dans cette vaste affaire ne m’intéressait pas. Le montage a été assez long car il s’agissait de trouver le juste dosage des éléments très différents qui composent le film. […]

Propos recueillis par Jean-Michel Frodon pour le GNCR


JEUDI 16 MAI : Film et Faux procès

Jeudi 16 mai, 20h15 | Parlement de Bretagne
projection + faux procès avec Maître Descamps-Guézou, avocat au barreau de Rennes à la défense,
Mme Sarah Mazo, élève avocate et 
Maître Catherine Glon, Bâtonnière du Barreau de Rennes.

L’avocat est-il un bonimenteur trop cher payé pour nous vendre ses salades? Un mal nécessaire au bon rendu de la justice? Celui qui défend l’indéfendable sans état d’âme ? Ou au contraire un héros, seul à défendre les intérêts du justiciable, quelle que soit sa position sociale, ses richesses, sa culpabilité ou son innocence ?

C’est bien le rôle de l’avocat qui sera ici mis en cause, pour une fois !
Au cœur de ce procès fictif, un film tout d’abord résonne avec la place particulière de l’avocat dans le procès d’assises. Le documentaire sera suivi par les plaidoiries de trois orateurs chevronnés :

  • à l’accusation Maître Descamps-Guézou, avocat au barreau de Rennes
  • à la défense Mme Sarah Mazo, élève avocate
  • et pour la clôture des débats : Maître Catherine Glon, Bâtonnière du Barreau de Rennes.

 

L’AVOCAT DU DIABLE d’Olivier Meyrou
France | 2009 | 68 min | Hold-Up Films

Dix semaines d’audience, 400 journalistes accrédités, des débats retransmis par vidéo-projection, le procès Fourniret, au printemps 2008, a été ultra-médiatisé. Pourtant, il y avait des protagonistes que personne ne voulait écouter : les avocats commis d’office de Fourniret et de sa compagne Monique Olivier. L’accélération médiatique rend impossible, au cœur de l’émotion d’un procès, de parler de ceux qui défendent l’indéfendable.

A LIRE… retours sur le film…
Dans la pénombre, en très gros plan, l’avocat tient son visage à pleines mains. À ses mots intimes se mêlent par bribes ceux des bourreaux. À ces pensées, presque des soliloques, s’ajoute une musique entêtante qui prend doucement sa place. Nous se saurons rien du procès, nous ne rencontrerons pas les fameux meurtriers. Nous sommes dans la bouche, dans la tête, dans les doigts rongés de l’avocat. Coincés, plans serrés, contraints à ressentir ce « je » solitaire et l’ampleur de sa tâche : défendre l’indéfendable. Pour plaider il doit rester absolument du côté de l’humain. Mais l’intimité avec les crimes détaillés, son rôle ingrat dans le procès, sa position morale intenable, tout cela peu à peu obscurcit, pollue, enfle. Et la musique alors envahit l’espace, recouvre la parole, et devient, obsédante, le visage tourmenté du procès, celui du criminel et de ses meurtres, sûrement aussi celui de la conscience torturée de l’avocat.

Marianne Bressy, Directrice artistique d’Images de Justice – Réalisatrice

« Défendre, c’est l’impératif absolu. » La formule est de Me Paul Lombard, un avocat qui, au cours de sa longue carrière, en a pesé le poids. Défendre l’indéfendable, c’est l’honneur, la raison d’être d’un avocat.
Du 27 mars au 28 mai 2008, Michel Fourniret et Monique Olivier ont comparu devant la cour d’assises des Ardennes à Charleville-Mézières. Pendant ces neuf semaines, Olivier Meyrou, réalisateur, s’est accroché aux basques des avocats de ce « couple diabolique ». Son documentaire, L’Avocat du diable,suit les pas de Pierre Blocquaux, de Jean-Paul Delgènes et de son fils, Richard Delgènes, tous trois commis d’office, du barreau de Charleville.
« Le scénario est tragiquement simple. C’est l’histoire de l’enlèvement de gamines dans le but de vérifier une quête de la virginité. Michel Fourniret est à la chasse avec sa chienne, en l’occurrence Monique, pour ramasser le gibier ou le faire sortir du bois », dit le premier qui a hérité du dossier Fourniret. Celui-ci a reconnu l’enlèvement et le meurtre de sept jeunes filles. Il ne veut pas être défendu. « On sera là parce qu’on est obligé d’y être », assure Me Blocquaux, défenseur d’un client qui « n’espère rien » et qui tire de cette position « une espèce de force qui est inattaquable ».
FOURNIRET APPARTIENT À NOTRE HUMANITÉ… A l’heure de la plaidoirie, Me Blocquaux, 60 ans, avocat par conscience, ne se dérobe pourtant pas. Il rappelle au jury et à la cour que, en dépit de « l’horreur (…), c’est un homme qu’on juge ». Fourniret appartient à notre humanité, avait-il souligné, et c’est cela qui a justifié ce procès qui n’en aurait pas été un s’il n’y avait pas eu d’avocat. Pour monstrueux que soient ces actes, Fourniret n’en est pas moins un homme. Et c’est là tout l’intérêt de ce procès hors-norme, dont personne ne pouvait douter de l’issue, et c’est là que la mission des avocats prenait tout son sens. On aurait aimé que le film d’Olivier Meyrou s’attache davantage au pas de Me Blocquaux, car si « avocat du diable » il y avait au printemps 2008 à Charleville, c’était bien ce président de club de basket, ancien bâtonnier de ce barreau sur qui l’affaire Fourniret était tombée, deux années auparavant.
Le réalisateur s’est surtout intéressé aux défenseurs de Monique Olivier. Peut-être parce que son cas semblait moins désespéré et que leur cliente souhaitait être défendue. Tout en montrant la difficulté de la tâche – la pression de l’opinion publique notamment – sa caméra se focalise sur Richard Delgènes, le fils, qui soumet sa plaidoirie aux critiques de ses confrères. Le réalisateur saisit l’angoisse de l’avocat au moment de se confronter à ceux qui vont juger son client et décider de sa vie.

Yves Bordenave, sur LeMonde.fr (publié Publié le 20 juin 2009)


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