Le cinéma pour la liberté d’expression


En lice pour les Césars, catégorie Meilleur Film Documentaire, le film de la réalisatrice malouine Stéphanie Valloatto « Caricaturistes – Fantassins de la démocratie » est un hommage à ces hommes et ces femmes à la fois journalistes, artistes, humoristes et combattants… Un film-engagement pour la liberté d’expression, pour celle des peuples et pour le droit à la démocratie… Rencontre !

– Quel est votre parcours en tant que cinéaste ?

J’ai fait des études de droit et de sciences politiques à l’Université d’Assas et je me suis inscrite en thèse sur le désarmement et la non-prolifération. C’est un thème qui me paraissait très important. Mais j’ai vite compris que ces informations allaient rester dans les tiroirs car trop proches de ce que l’on appelle le secret Défense. Je voulais toucher les gens, leur faire passer des messages et éveiller les consciences. C’est là que le déclic a eu lieu.

A ce moment là, j’ai aussi rencontré mon époux, Cyrille Blanc. Ensemble, nous avons acheté du matériel et écrit notre premier documentaire : Robin des mers sorti en 2004 sur le combat de Jean-Marc Barrey pour la défense des droits des marins.

Je n’ai pas fait d’école de cinéma ou de formation en audiovisuel. J’ai tout appris sur le terrain. Faire des films avec des messages forts, parler de parcours de vie exemplaires, c’est ce que je veux faire passer. Quand on a envie de faire quelque chose, il faut aller au bout !

– C’est une histoire de rencontres ?

Tout à fait. Au Festival Etonnants Voyageurs, j’ai découvert le conteur et écrivain Lucien Gourong et son travail sur l’oralité par exemple. Le film Lucien Gourong, le passeur de mémoire est né de cette rencontre, avec comme message : « Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. »

Chaque projet est un challenge, une découverte de soi, et un enjeu de transmission.

Ce sont les parcours d’Hommes qui me passionnent comme celui de Philippe Labro raconté en 2011 dans mon film Philippe Labro, entre ombre et lumière réalisé pour la collection Empreintes de France 5. Chaque film est une aventure incroyable faite de rencontres humaines passionnantes.

C’est comme si j’avais des antennes, je capte des fréquences et une histoire. C’est l’autre qui m’intéresse. Je flashe sur une vie, je m’y attache et j’y travaille pour faire un film. Les portraits ouvrent des perspectives. Communiquer avec l’autre, instaurer un dialogue, échanger, c’est ce qui est important dans ma vie et qui représente un combat.

– Faire des films, c’est un engagement vis-à-vis de la société ?

Oui. J’utilise la caméra. Les caricaturistes eux utilisent un crayon pour parler de ce qui les touchent dans la société. Nous sommes des « warnings » comme l’explique le dessinateur américain Danziger dans le film. Nous portons un regard sur la société pour tenter de la comprendre. En tant que réalisatrice, je veux sentir le pouls du monde et en rendre compte grâce à la caméra.

– C’est ce désir qui vous a animé pour réaliser Caricaturistes, fantassins de la démocratie ?

Ce documentaire est lui aussi une histoire de rencontre. Radu Mihaileanu a vu mon film sur Philippe Labro et a été touché par la proximité que j’avais su créer avec le personnage. Il m’a présenté son projet sur les caricaturistes et son ami de longue date, Plantu. A travers les caricaturistes, j’ai découvert des héros de notre société qui nous montrent l’état du monde. J’ai tout de suite accepté de co-écrire et de réaliser le film. Nous avons commencé le travail d’écriture et de casting et choisi des dessinateurs de chaque continent car nous voulions établir un état des lieux de la démocratie et de la liberté d’expression dans le monde.

– Quel a été le processus d’élaboration du film ?

Avec Cyrille Blanc, nous avons rencontré et interviewé des caricaturistes en France : Glez, Boligan, Kichka, Willis from Tunis aux Rencontres Internationales de Caen puis Zlatkovsky, le Russe, au Festival de Saint-Just Le Martel. A New York, nous avons rencontré Danziger. Pour les autres, ça n’a pas toujours été simple, pour des raisons de sécurité notamment, donc les échanges se sont faits par e-mails et par Skype, comme avec la Chine et le Venezuela. Cela nous a pris quelques mois. Puis avec les témoignages recueillis, la recherche d’archives et l’analyse de dessins, nous avons écrit un scénario avec Radu Mihaileanu dans lequel Plantu serait notre fil conducteur, nous amènerait à la rencontre de ses collègues et les passerelles entre les 12 caricaturistes seraient établies par des thèmes (politique, droit des femmes, religion…).

– Pourquoi avoir proposé ce film au cinéma et non à la télévision ?

Les réponses de la télévision n’ont pas été positives. Il fallait convaincre de l’importance de faire un film sur les caricaturistes. Ça a été un long chemin. Avant le 7 janvier, la liberté d’expression et le combat de ces dessinateurs ne semblaient pas être une priorité. Orange Studio, France 3 cinéma et Canal Plus nous ont suivis. Il s’agissait de faire un film de qualité cinéma : le souffle des images, le son 5.1 et la bande originale d’Armand Amar. Et les caricaturistes ont la force de personnages de fiction et de roman ! Pendant 4 mois, dans 12 pays, nous les avons filmés en totale immersion et « caméra-mobile ». Pour comprendre les enjeux, leur combat, l’importance de leur rôle, le danger parfois, il était indispensable d’être très proches d’eux, collés à leur quotidien.

– Il y a aussi l’enjeu de l’impact d’un tel film ?

Parfaitement. En 2014, notre film Caricaturistes, fantassins de la démocratie a été sélectionné au Festival de Cannes, le deuxième événement le plus regardé après les Jeux Olympiques ! L’idée était de faire venir les douze dessinateurs à Cannes. Se tenir les mains, monter les marches ensemble et dévoiler les dessins sur la liberté d’expression. C’est un moment inoubliable. L’image de cette liberté a voyagé partout dans le monde. Être dans le regard de l’autre, dans l’échange, c’est ce que nous avons affirmé ce jour-là et que l’on continue de défendre en diffusant le film.

– On peut dire qu’il y a un avant et un après 7 janvier ?

Bien entendu. Dans le film, Plantu parle de « barbarie » mais pour évoquer la situation des dessinateurs dans des régimes politiques tels que ceux de la Syrie. Avec le 7 janvier, nous sommes entrés dans des actes barbares, en France. Cet attentat symbolise l’assassinat de la liberté d’expression. À ce moment-là, il nous a paru indispensable de projeter le film pour inviter chacun à parler, à échanger. Il fallait engager le débat pour faire naître la solidarité. En faisant le film, nous voulions éveiller les consciences sur le rôle des caricaturistes car un dessin vous ouvre immédiatement les yeux sur une réalité avec humour. Depuis 2006, « Cartooning for Peace » (Dessins pour la paix), à l’initiative de Plantu, consiste à mêler les perceptions, les croyances, les cultures mais aussi apporter solidarité, soutien, assistance à celles et ceux qui dessinent dans des pays d’intolérance. L’enjeu aujourd’hui se situe dans la transmission. Il faut faire découvrir des sujets, faire passer des messages, éveiller des consciences et dialoguer coûte que coûte.

Clara-Luce Pueyo

CARICATURISTES – FANTASSINS DE LA DEMOCRATIE

Un film de Stéphanie Valloatto, co-écrit par Radu Mihaileanu et Stéphanie Valloatto. 
Produit par Oï Oï Oï Productions et Cinextra Productions. 
Co-produit par Orange Studio, France 3 Cinéma, Panache Productions, La Cie Cinématographique, B-Movie. 
Avec la participation de Canal+, France Televisions, Ocs, Be Tv.

Avec les caricaturistes 
Plantu, Nadia Khiari (Willis From Tunis), Michel Kichka, Baha Boukhari, 
Rayma Suprani, Jeff Danziger, Slim, Angel Boligan, Mikhail Zlatkovsky, Damien Glez, Lassane Zohoré, Pi San.



Stéphanie Valloatto et Cyrille Blanc vivent à Saint-Malo où Marie-Josée Audiard, monteuse des films de Stéphanie Valloatto depuis quinze ans, les a rejoints le temps du montage.

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Nous n’oublions pas la très prestigieuse nomination du film d’Eric Montchaud « La petite casserole d’Anatole » produit par la société rennaise JPL Films au César du Meilleur film d’animation.

La petite casserole d’Anatole compte déjà 18 récompenses, 70 sélections internationales, 6 ventes TV. Le film sera distribué en salles dès septembre 2015 par Les films du Préau.

Écoutez l’interview de Jean Pierre Lemouland, producteur pour JPL Films par Danièle Heymann pour l’Académie des Césars :

https://vimeo.com/119945680

La Cérémonie de remise des César 2015 se tiendra le Vendredi 20 Février.