France 3 Régions face aux auteurs de documentaires


Début octobre, les responsables des pôles et du projet régional de France 3 avaient rendez-vous avec les auteurs, dans leur maison de la Scam, pour échanger sur les documentaires produits en régions. Avec l’espoir d’un meilleur dialogue entre les diffuseurs et les auteurs, alors que les quelque 260 films produits par an par la chaîne des régions manquent encore largement de visibilité….

La réunion a permis de faire état de certains dysfonctionnements, mais aussi d’améliorations possibles. Ce fut aussi l’affirmation d’une volonté de France 3 de mettre le documentaire au coeur du projet régional, à budget constant : une bonne nouvelle dans le contexte de France Télévisions !

Ce début de dialogue entre les membres de la Scam et France 3 Régions avait pourtant commencé dans le conflit, lorsque qu’en janvier 2012, le groupe des auteurs en Régions de la Scam a lancé une pétition nationale pour protester contre la relégation à plus de minuit et demie des documentaires produits au régional. Alors que les responsables de documentaires de France Télévision proclamaient au national une politique inverse, au travers d’un manifeste pour la création…

Cette pétition, signée par plus de 1300 personnes, avait été le déclencheur d’une première rencontre en avril 2012 avec Laurent Corteel, chargé du projet régional de la chaîne. Des incohérences dans l’exposition des docs en région avaient alors été évoquées : notamment sur les horaires de diffusion, et le manque criant de visibilité des docs en télévision de rattrapage. Globalement, les auteurs ont obtenu que le créneau du samedi après-midi soit à nouveau consacré au doc régional : pas la panacée, mais tout de même mieux qu’au milieu de la nuit.
Un an et demi plus tard, autre rencontre, plus large, avec les différents directeurs des 4 grands pôles : Tiziana Cramerotti pour le Sud-Ouest, Jean-Michel Le Guennec pour le Nord-Ouest, Marie-Thérèse Montalto pour le Nord-Est, Marc Ripoll pour le Sud-Est, Jean-Emmanuel Casalta pour la Corse. Ainsi que Jérôme Poidevin, plus spécialement chargé des collections documentaires. Pour les écouter, la salle était comble, et une trentaine d’auteurs n’ayant pu faire le déplacement étaient même connectés en streaming sur le site de la Scam, pour assister à ces échanges.

La réalisatrice Isabelle Marina, qui a lancé les ateliers documentaires de la Fémis en collaboration avec France 3 Alsace, du temps où Jean-Marie Boehm était à la tête de cette antenne, a lancé l’échange en faisant état que ses projets soutenus en écriture sont de plus en plus rarement repris par les régions de France 3. Elle pose donc la question d’une politique éditoriale qui se serait « éloignée de la création documentaire ».
Les responsables ont d’abord rappelé que depuis le nouveau découpage en 4 pôles et 24 régions depuis 4 ans, la politique éditoriale se concentre autour de 3 thèmes principaux : le patrimoine ou la découverte ; l’histoire ; les faits de société. Le samedi après-midi étant plus orienté vers des docus dits « légers » : plutôt découverte et histoire. Et le vendredi soir étant davantage consacré société, plus sérieux et  »problématisant ». Un auteur faisant remarquer que beaucoup de films pouvaient rentrer dans ces diverses catégories, les cadres de France 3 répondent en incitant les auteurs présents à faire preuve de créativité et d’audace, avouant aussi fonctionner au « coup de coeur », et n’être pas astreints à des logiques éditoriales fermées.

Sur la méthode de sélection, ils ont rappelé que chaque directeur d’antenne propose des films à son directeur de pôle. La coordination régionale, qui se réunit toutes les 6 à 8 semaines environ, choisit les documentaires produits. Jean-Michel Le Guennec précise que si certaines régions, dont la Bretagne, ont connu une diminution globale des volumes de production, c’est « qu’un effort a été fait pour mieux répartir les films par région » : là où avant certaines produisaient beaucoup, et d’autres pas du tout. Ainsi sur le pôle Nord Ouest, il y a eu 50 films produits dans l’année, au lieu de 60 l’année d’avant. Et en 2013, il y en aura à nouveau 60, mais répartis entre Normandie, Pays de Loire, Bretagne, etc. Il n’y aurait pas de quota imposé par région, là encore « la logique du coup de coeur et du lien au territoire » guide les choix des diffuseurs.
L’exemple de la Corse, avec ses deux antennes, France 3 Corse et Via Stella, chaîne de plein exercice, diffusant 21 heures par jour, ses 8 cases documentaires, ouvertes sur tout le territoire méditerranéen, fait vraiment rêver. Dommage que Jérôme Casalta n’ait eu qu’un temps très court pour développer son champ d’expérience…

Des investissements globaux stables

Laurent Corteel souligne la pérennisation de l’investissement annuel global, soit 10 millions d’euros consacrés au documentaire en région, dont 20% en cash, au minimum 8 000 euros par 52 minutes. L’apport de la chaîne se faisant à hauteur de 35 à 40 000 euros en industrie. Ce qui correspond selon lui à 260 à 300 films. Un budget stable pour l’année 2014 à venir. Et la chaîne n’a pas d’opposition de principe sur des coproductions avec des chaînes thématiques, du style Histoire, Cinéma, etc.
La diffusion de ces docs est plus importante qu’avant : en plus de la traditionnelle case du samedi après midi à 15h20, et celle, mensuelle, le vendredi soir (un vendredi par mois à 23h50), la case quotidienne et nationale « des histoires et des vies », à 8h30 du lundi au vendredi matin, reprend les docus diffusés le samedi. « Nous comptons 650 000 spectateurs devant les docs le samedi après-midi, toutes antennes confondues », a rappelé Jean-Michel Le Guennec. Marie-Thérèse Montalto a décrit de quelle manière les documentaires pouvaient circuler dans les différentes régions, selon les sujets. Elle reconnaît cependant que les auteurs et producteurs pouvaient être mieux tenus au courant de cette multidiffusion, et s’engage à le faire.
Jérôme Poidevin souhaite, lui, développer les collections documentaires, comme celle initiée sur la guerre 14-18 : 6 films ont été faits avec 3 sociétés de production différentes. Il a également rappelé l’existence de la collection Etranges affaires : les dessous des grandes affaires de l’histoire récente, avec un ancrage en région. Premier exemple de cette série : le documentaire Les vedettes de Cherbourg, coproduit par Antoine Martin Production en Normandie et Vivement lundi ! en Bretagne.
A la question de la production possible de webdoc en région, avec une interface internet, il a été répondu que le problème de budget était dificile à résoudre, et qu’il fallait de toute manière adosser ces projets au développement d’un 52 mn. « Le webdoc rentre dans le budget des 10 millions, mais est bien plus compliqué à financer, car il faut un apport cash du diffuseur de 25% du coup global. C’est un genre nouveau que nous voulons développer, mais il n’y a pas encore au sein de France 3 d’économie intrinsèque à ce genre, comme sur Arte par exemple », admet Jérôme Poidevin.

Des temps de réponse trop longs

Les auteurs présents ont fait état de délais de réponses trop importants de la part des DRA (délégué régional d’antenne) : en Pays de Loire, un auteur témoigne de son désarroi après avoir attendu en vain un an et demi une réponse à sa proposition de film. Jean-Michel Le Guennec a précisé qu’effectivement cela n’était pas normal, et que les auteurs et producteurs étaient en droit d’espérer une réponse claire dans des délais raisonnables, soit deux mois, ou six mois grand maximum pour les cas difficiles à trancher. Anne Georget, présidente de la commission télévision de la Scam, cite l’exemple de France 2 qui publie réguièrement, à la demande des auteurs, la liste des projets engagés sur leur site : une bonne manière pour eux de vérifier que leur idée n’est pas déjà dans les tuyaux. Les responsables présents semblent favorables à une telle idée, et vont se pencher sur sa faisabilité. Est également annoncée la volonté de mieux travailler à la promotion des films en aval : avant-premières, communication presse, relais par les réseaux sociaux. Pour ce qui est de la télévision de rattrapage, où un long chemin reste à parcourir, les responsables reconnaissent se heurter à des lenteurs, liées au national, mais assurent que tout cela est bien « en cours d’amélioration ».

Des auteurs s’inquiètent de voir la Case de l’Oncle Doc disparaître un jour, alors que cette émission réexpose au national une quarantaine de films régionaux par an, leur donnant par là plus de moyens financiers, et une visiblité bienvenue sur la presse nationale. Le départ en retraite d’ici quelque temps de son responsable, Alexandre Cazères, pourrait-il présager de la disparition de la Case ? La question fait sourire, et la réponse est claire et nette : « Une émission ne s’arrête pas à cause d’un départ en retraite ».

Au final, cette première réunion a été jugée positive par les participants. A la Scam, un groupe de suivi technique observera de près l’avancée des propositions les plus concrètes. Et l’invitation tient pour tous les ans. Bien sûr, le noyau dur du sujet n’a pas été abordé dans toute sa complexité : le changement de logiciel du fonctionnement de la chaîne des régions n’est pas à l’ordre du jour. Toujours peu d’autonomie des antennes régionales, jamais aucun prime time ni aucune lattitude de décrochage. Mais les docs en région, longtemps peu revendiqués par la chaîne dans sa globalité, sous-financés par rapport aux films produits au national, sous-exposés, semblent là pouvoir espérer un peu plus de lumière.

Brigitte Chevet, membre du groupe auteurs en régions de la Scam