Rencontre avec Bertrand Rault, délégué régional aux antennes de proximité de Bretagne depuis janvier. Journaliste de 43 ans, collaborateur de France 3 depuis 1991, il nous décrypte ses fonctions au sein du nouvel organigramme de France Télévision. Il commente la grille de rentrée de France 3 Bretagne et livre quelques indices sur ses attentes en matière de documentaires. Il explique enfin son souhait de mettre sur pied des états généraux de l’audiovisuel en Bretagne.

Vous avez fait toute votre carrière à France 3, travaillant au sein des rédactions de Rennes, Nantes, Limoges, Amiens, Lille. Toute une carrière dans le service public, sauf entre 2004 et 2006 où vous démissionnez pour diriger Nantes 7, la télévision locale du groupe Ouest France. Pourquoi cette parenthèse ?

Je voulais découvrir le privé. Ce fût très excitant et… épuisant ! On travaillait énormément, avec une équipe très dynamique et peu de moyens. J’ai appris d’autres façons de faire. Ça m’a ouvert les yeux sur les aspects économiques, sur la réalité des producteurs indépendants. J’ai vu aussi comment France 3 était perçu à l’extérieur. L’expérience fût très enrichissante.

Depuis janvier, l’organisation de France Télévision a changé. Quelle est la différence entre la nouvelle fonction de délégué régional aux antennes de proximités et l’ancienne appellation de directeur des programmes ?
Avant, le champ d’intervention géographique était plus large : le directeur des programmes avait en charge la Bretagne et les Pays de Loire. Les programmes et l’information étaient séparés. Maintenant, je m’occupe uniquement de la Bretagne, mais je chapote les programmes et l’information. Les deux secteurs ne sont plus cloisonnés.

Pour la production de documentaires, comment fonctionnez-vous au sein du Pôle Nord-Ouest ?
Tous les deux mois environ, un comité éditorial réunit les six responsables (Bretagne, Basse et Haute Normandie, Centre, Pays de Loire et Ile de France). Chacun arrive avec une pré-sélection de projets à co-produire. On en discute, on croise les idées, on choisit. Ça permet d’éviter les doublons, de créer des synergies. On peut faire évoluer un projet pour qu’une autre région s’y associe. Avant, une région ne savait pas ce que celle d’à côté produisait. Ensemble, nous mettons environ 45 documentaires par an en production.

Si on divise par cinq, cela fait neuf films de 52 minutes par région ?
Que les producteurs bretons se rassurent ! La Bretagne reste la première région du Pôle Nord-Ouest, en termes de co-productions. Même si l’idée de France 3 est d’aller vers un ré-équilibrage entre les différentes régions, il n’y a pas de quota fixe. En 2011, je pense que la Bretagne continuera à produire plus que la moyenne, une bonne douzaine de 52 minutes. Sans compter que « Littoral » est reconduit (9 x 26’ en 2010) ainsi que les magazines en langues bretonnes (5 x 26’ en 2010).

Quelle est votre ligne éditoriale pour les documentaires ?
Je n’ai pas de dogme. J’ai d’abord envie d’être surpris, ému, remué, amusé, qu’on me raconte une bonne histoire. Il n’y a pas de thèmes inabordables, dès lors que l’histoire se déroule en Bretagne. Un autre critère est la valeur patrimoniale du film. J’aimerais que nos films constituent une mémoire. Que dans 40 ans, un étudiant puissent les revoir et se dire que ça lui raconte la société bretonne de 2010. Enfin, je suis sensible à la construction, à la narration. Un téléspectateur aujourd’hui, il faut savoir le capter. Ayons toujours à l’esprit que l’on fait des films pour un public large et familial, et ce n’est pas péjoratif : je ne suis pas de ceux qui méprisent la télé ou qui ne la regardent pas. Mais on fait la télé pour le téléspectateur, pas pour se regarder le nombril !

Des exemples de films bientôt à l’antenne ?
On va diffuser Les ouvriers se cachent pour mourir, un documentaire de Patrice Gérard sur la condition ouvrière à l’heure de la mondialisation. Un sujet difficile mais traité avec beaucoup d’humanité, des personnages formidables qui nous permettent de comprendre notre époque.
Nous avons également en cours un film sur le déménagement de la prison de Rennes.
Sur l’aspect patrimonial, j’aimerais aussi produire des portraits de grandes personnalités de la région, un peu comme dans la série « Empreintes ».

Des nouveautés dans la grille de rentrée ?
À partir d’octobre, nous allons démarrer la diffusion d’une série de fiction historique en breton. En 10 x 13’, Istoriou Breizh revisite l’histoire de la Bretagne. C’est réalisé par Luc David, le réalisateur de Un gars, une fille.
Notre magazine politique La voix est libre passe de 26’ à 52’. En plus du décryptage de l’actualité régionale et nationale, une nouvelle rubrique « Made in Breizh » met en lumière et souligne les initiatives positives en Bretagne. Pour le reste, les cases « Littoral » et « Docs », le samedi après-midi, ne bougent pas.

Du côté du web ?
Plusieurs choses. Nous diffuserons notre premier web-doc au moment des Transmusicales, début décembre. L’auteur a suivi pendant un an l’aventure d’un groupe rock rennais : les Popopopops.
Dans le prolongement de l’émission « Littoral », nous allons ouvrir un portail dédié aux gens de mer, au moment du départ de la Route du Rhum. Notre ambition est de créer un espace communautaire qui fédère les amoureux de la mer. La Bretagne est un terrain idéal pour cela.
Une réflexion est aussi en cours sur un portail dédié au breton. Mais est-ce le portail de la langue ou de la culture bretonne ? Doit-on viser uniquement le public des locuteurs bretons ou la diaspora bretonne dans le monde ? Pour le moment, nous n’avons pas tranché.

Les chaînes locales ont signé un contrat d’objectifs et de moyens avec la région, qu’en pensez vous ?
C’est très bien pour elles, et je regrette que France 3 Bretagne n’en fasse pas partie. Je trouverais légitime qu’on y entre car nous sommes un acteur majeur de l’audiovisuel régional. Nous avons entamé des discussions avec la Région dans ce sens.

Êtes-vous en concurrence avec les TV locales ?
Je ne nous vois pas comme des concurrents mais comme les différentes fenêtres d’un même service public.
La télé est en pleine mutation. Dans quelques années, la plupart de nos programmes ne seront plus regardés sur le support « premium » mais sur Internet ou sur des supports nomades. Il faut réfléchir à l’avenir du service public tous ensemble et faire bouger les lignes. On peut très bien imaginer des passerelles entre France 3 et les TV locales, de nouveaux accords de co-productions, de rediffusion, de modulations de formats.
Voilà pourquoi je souhaite qu’on organise des états généraux de l’audiovisuel en région. Que tous les acteurs régionaux (politiques, diffuseurs, professionnels, cinémathèques…) puissent se mettre autour d’une même table pour préparer l’avenir de notre secteur d’activité.
Je rêve d’une sorte de CÉLIB* de l’audiovisuel breton !

* Le CÉLIB est le Comité d’étude et de liaisons des intérêts bretons créé en 1950 par un groupe de personnalités dont René Pleven, Joseph Halléguen et Joseph Martray pour promouvoir le développement économique et l’identité de la Bretagne.

Propos recueillis par Philippe Baron