Vincent Burlot, la musique se compose à fleur de peau


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Vincent Burlot © Gaell B. Lerays


La 19e édition du Mois du film documentaire accompagne novembre vers sa fin, et parmi les centaines de séances auxquelles des spectateurs tout public ont pu assister sur le territoire breton, il est un film qui emporte l’estime, le coeur, et un succès certain : Le Soldat de boue, d’Hubert Budor. Un portrait à la fois intime et historique de l’artiste Mathurin Méheut, sous l’angle inédit de sa correspondance avec sa femme et sa fille, alors qu’il est au front. Une mise en images et en sons touchée par la grâce d’orfèvres du montage, du son ou de l’animation, rassemblés par Hubert Budor pour porter le film à son unisson. Parmi eux, Vincent Burlot donne le la d’une partition originale qui marque plus évidemment son entrée dans la composition musicale pour l’image, et qui ajoute un supplément d’âme à une œuvre déjà tout en délicatesse. Un nouveau venu qui marque ainsi un pas en avant, en même temps que son retour.

Vincent Burlot n’est certes pas encore le compositeur pour l’image le plus connu du PAB et c’est plus dans le spectacle vivant qu’il faudra chercher pour l’identifier sur-le-champ. Ainsi certains se souviendront-ils de La Belle Société, ce groupe d’humour musical du label « Boucherie Productions » des années 90 dans lequel Vincent joue une douzaine d’années. D’autres auront peut-être eu l’heur de le voir dans Monsieur, un spectacle de chansons qu’il écrit avec sa compagne, Blandine Jet, et avec lequel il a tourné trois ans. Il plaît au musicien de se présenter en soutien – « j’ai toujours aimé cette fonction d’accompagnement. J’avais des passages soli dans certains spectacles, mais j’étais accompagnateur avant tout. », raconte-t-il –, une place et une mission qu’il exerce dans cette ombre qu’il dit préférer à la lumière, quand il met ses nombreux instruments et son habileté au service du chanteur pour enfants Gérard Delahaye, par exemple, ou de la compagnie de danse contemporaine quimperoise Patrick Le Doaré, pour laquelle il improvise sur scène au saxo, avec cette invitation à être « à la fois présent et savoir disparaître », se souvient-il, comme il notera bientôt que c’est souvent aussi le cas pour la musique au cinéma. Il y eut également ces vingt ans de création en famille avec la compagnie Légitime Folie et des spectacles, et des tournées aussi. Un franc succès, et une issue qui ouvre une nouvelle dimension dans ce monde qui roulait sans fin : du temps.
Ce temps libéré, Vincent l’utilise pour rattraper un retard important dans la culture qu’il a du cinéma et de sa musique, et voit jusqu’à deux films par jour ! : « J’ai dévoré un tel répertoire, et en très peu de temps ! Même si j’ai encore de nombreuses lacunes, j’ai eu cette chance de pouvoir choisir de tout découvrir d’un coup de tel ou tel cinéaste : observer la progression, les liens, le rapport au son et son évolution, tout au long d’une œuvre entière. Cela peut s’apparenter à une formation accélérée. », précise-t-il.

Aujourd’hui, c’est avec la seule compagnie d’ombres et de marionnettes briochine créée par Philippe Saumont, le Théâtre des Tarabates, qu’il continue d’enchanter les scènes du monde entier de son ombre portée.

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Vincent Burlot jouant du Charengo © Blandine Jet


À chaque nouvelle expérience ou presque, ce découvreur infatigable ajoute un instrument à sa collection, lequel ajoute une couleur à sa sonothèque qu’il pourra convoquer à loisir et pourquoi pas faire jouer par de plus spécialistes que lui quand il en aura besoin. Sa discipline quotidienne est de fer mais ne concerne que les quatre instruments de fond de son répertoire : saxo, piano, tuba et charengo (une petite guitare rapportée de Bolivie) : « je veux faire partie de ces gens qui jouent, non pas pour arriver à un excellent niveau, mais pour savoir comment composer pour un instrument. J’entretiens ma pratique instrumentale au moins quatre heures par jour. Le reste du temps je le consacre à la recherche instrumentale, la composition et les arrangements. », livre-t-il de son entraînement… Parmi ces instruments qui lui tiennent particulièrement à cœur, on peut encore ajouter la voix, que Vincent préfère dans son cas utiliser, à l’occasion, en haute-contre…

Ses talents de multi-instrumentiste et sa facilité à improviser et à écrire ont depuis longtemps entrouvert les portes du cinéma et de l’audiovisuel à ce gentleman compositeur. En 2005, il composait la bande originale de La Course au village pour Hubert Budor, déjà… Accordéon, piano, boite à musique et duo de tubas. Mais ces portes, il a attendu longtemps avant de souhaiter les ouvrir vraiment. Longtemps et ce nouveau projet d’Hubert, Le Soldat de boue. S’il a accepté d’entrer dans une aventure qu’il juge idéale à tous égards, c’est parce que « Hubert a su me raconter son film comme un conteur, que nos échanges ont été des plus riches et sensibles, et que je suis tout simplement parti dans l’histoire ! », sourit-il en se souvenant. Sans tellement d’images mais avec un récit, et qui le touche particulièrement – « les guerres m’ont toujours bouleversé », confie-t-il – Vincent dit « avoir fait du bruit » avec cette matière narrative, mis en chantier les structures anarchiques qu’elle lui inspire, qu’il enregistre, avant de véritablement travailler, ajuster, denteler. C’est sa méthode. « Piano préparé (inventé au début des années 1920 par Henry Cowell) pour l’ambiance du champ de bataille, un peu de trompette pour le côté militaire, le tuba parce que c’est l’époque des fanfares et des kiosques à musique, et un peu de piano-bar pour la France de l’arrière… », énumère Vincent. Le résultat est, on l’a dit, à l’image du film, tout en délicatesse, jouant d’accords en désaccords, frappant clair ou trafiqué les notes de la guerre et des sentiments.

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Toile de Mathurin Méheut


Après le Soldat de boue, Vincent enchaîne plusieurs collaborations, dont Dorothy la vagabonde, le court-métrage d’animation en volume d’Emmanuelle Gorgiard, une partie du collectif animé du Quatuor à cornes, produit par Vivement lundi!, encore visible sur les grands écrans, virevoltant sur des accents que Vincent a voulus d’inspiration celtique.

Avec Jeter l’ancre un seul jour, le court-métrage de Paul Marques Duarte, produit par Blue Hour Films, il concourt pour le Prix de la meilleure musique à la dernière édition du Festival du Film court de Brest. Le cinéma et lui, ce serait donc parti ?

Il semble que ce soit son souhait, et s’il ne veut pas encore s’étendre sur les rencontres qu’il a faites ces derniers mois et qui pourraient déboucher sur de nouvelles collaborations pour le cinéma, Vincent exprime clairement son désir de composer de plus en plus à l’avenir.

Et cela semble inscrit dans l’ordre du possible ! On identifie bien désormais Vincent comme un compositeur et un interprète multi-instrumentiste, et on saura bientôt son goût pour la recherche et l’expérimentation protéiforme. Sa capacité d’adaptation, ses qualités d’écriture et d’interprétation, apportent à n’en pas douter quelque chose d’une nouvelle inspiration, d’un tournoiement nouveau, à la musique de film, sans aucun formatage d’aucune sorte. Car il est libre, joueur et rieur, et ces qualités, appliquées au son qu’il crée, sont propres à faire décoller de quelques centimètres au-dessus du sol n’importe quel projet sur lequel il se sera penché, emporté dans cet ailleurs en lévitation qui participera à la plus heureuse expérience du spectateur. La musique pour l’image avec Vincent Burlot s’offre ainsi une nouvelle dimension.

Gaell B. Lerays


En Savoir Plus :

Extrait du Soldat de boue :


Où voir encore Le Soldat de boue ? :

http://www.moisdudoc.com/?rubrique90&IDSeance=1588

Vincent Burlot :

http://www.vincent-burlot.fr/

Théâtre des Tarabates :

https://www.tarabates.com/lacompagnie.html