Blandine Jet, un ange à sa table


DSC_0504
Blandine Jet © Gaell B. Lerays

Qui peut, à brûle-pourpoint, citer le nom d’un scénariste ? Pourtant chacun sait que le cinéma s’écrit. Avec l’avènement des séries et leurs pools d’auteurs, la création de plus en plus de résidences d’écriture portées par la conscience que la qualité de l’écriture renforce toutes les étapes à venir dans la production d’un film et le film lui-même, ces artisans de l’ombre ont droit eux aussi, et de plus en plus, à leur part de lumière. Blandine Jet est de ceux-là : une plume de cristal dont le ramage transforme toutes les histoires en récits captivants. Toute jeune dans le métier, son talent ne fait de doute pour personne : elle est déjà partout, et ici et maintenant pour le raconter…

Une histoire de famille

Il était une fois Iffendic, en Ille-et-Vilaine, où Blandine naît et grandit dans une famille d’instituteurs élargie à toute la communauté des parents du village, et leurs enfants. Une joyeuse troupe. Outre des séances de dictées « en série » attendues avec impatience par une génération d’écoliers dans la classe de son père – avec un climax à chaque fin de séance… – Blandine, sa sœur Hélène et son grand frère ont droit chaque jour à une histoire du soir, qu’il invente et à laquelle il ne déroge jamais. Une tradition familiale et un plaisir de s’en laisser raconter que Blandine prolonge alors dans ses propres lectures avant, très tôt, de jouer avec les mots et d’en faire des poèmes : « à huit ans, j’ai eu envie d’écrire, et c’est venu avec la poésie. Je n’arrêtais pas. C’était ma forme à moi », se souvient Blandine. Elle gagne un premier prix à 17 ans, celui de l’Écrivain Junior, décerné par L’Académie des Écrivains de l’Ouest. La prose vient plus tard avec le désir d’arrêter le temps des études pour celui, pressant, d’écrire un roman. Ses parents l’inviteront plutôt à profiter des grandes vacances pour écrire, reléguant l’écriture, dans son esprit, au monde des loisirs.

Plus tard, c’est à Rennes qu’elle et sa sœur participent à la scénarisation de spectacles mettant en scène les enfants de l’école que son père dirige désormais, tandis que le compagnon de Blandine, Vincent Burlot, compose la musique. Très vite, ils sont mordus et pendant quatre ans, ils continuent.

Un plaisir fou

peti monde 2
"Petit monde" par la CIE Légitime Folie

Blandine, Hélène et Vincent prennent un plaisir fou dans l’aventure ; ils ont l’idée, soufflée par une écolière dépitée à l’idée de devoir quitter leur navire en entrant au collège, de s’organiser en compagnie. « À mon retour d’une année d’études de philosophie et de littérature en Allemagne, Vincent et moi avons eu très envie de créer quelque chose ensemble qui allie écriture, musique et danse.  Quelque chose de sérieux, avec les enfants. Un projet un peu fou », raconte Blandine. Bientôt, c’est une bande d’enfants de tous âges qui se presse chez eux pour répéter, avec l’envie de tout donner. La compagnie Légitime Folie naît bientôt de cette fabuleuse énergie créative. C’est parti pour vingt-deux ans de spectacles musicaux que Blandine écrit et met en scène, chorégraphiés par Hélène, mis en musique par Vincent. Quand Anna, leur fille, a 7 ans, elle réclame de les rejoindre sur le plateau et ne le quitte plus jusqu’à la fin. 

Écrire vraiment

Après 20 ans, un succès grandissant et une vingtaine de créations, l’usure du temps passé à ne pas le compter et la frustration de ne jamais avoir assez celui d’écrire, c’est la fin de la compagnie. « Au tout début, le désir pour moi c’était de créer un espace où je pourrais écrire des histoires… et finalement l’écriture prenait la place qui restait, soit trop peu de place », confie Blandine. Ce sera le cinéma qui très vite l’occupera toute. Elle poursuit : « J’ai découvert très tard qu’on pouvait écrire pour le cinéma sans être réalisateur, qu’il y avait des scénaristes… Je cherchais une solution pour écrire et c’est le seul métier où l’on peut gagner sa vie en écrivant des histoires. Et puis j’aime cette façon de me tenir à côté, de rester dans l’ombre. »

Dès 2008, le graphiste Yann Le Gall (issu de l’École des Gobelins) l’avait invitée à écrire la bible d’une série animée et musicale à destination du jeune public, intitulée Le Cirque des étoiles – une aventure interrompue, reportée. « C’est la première idée d’une écriture pour le cinéma », précise-t-elle. En 2015, Blandine obtient le sésame qui ouvrira la voie à une succession de nouvelles expériences, de nouvelles rencontres, une période qui va encore bon train et la voit enchaîner les succès. « J’ai eu de la chance car j’ai tout de suite trouvé la formation qui me faisait rêver au Centre Européen de Formation à la Production de Films, à Paris ! »

Blandine passe deux fois deux mois et demi à analyser et à apprendre à écrire pour les écrans, d’abord pour le long métrage puis pour la série, tout en travaillant sur un premier projet de long intitulé Le Garçon qui pleurait, et un autre projet de série, pour adultes cette fois-ci, et en prises de vue réelles, Ceux qui vont sur la mer (tous les deux en cours d’écriture). Elle intègre ensuite un collectif, Séquence 7, afin de se constituer un réseau, participe à un workshop au cours duquel elle écrit Papa perché, un premier scénario de court-métrage.

C’est le moment que choisit Thomas Guentch, producteur aux Films de l’Heure bleue, pour proposer à Blandine d’écrire le scénario d’un court-métrage avec son poulain, le jeune réalisateur Paul Marques Duarte : c’est Jeter l’ancre un seul jour(1). Le tournage commence ce 13 mars.

NINA_BULLE_NB_filtre
"Le bruit des anges" © Seb Guérout

Ces collaborations ne lui font pas oublier ses désirs personnels d’écriture, nombreux. En 2016, elle emporte deux résidences à la Scénaristerie, à Paris, où elle commence à imaginer Le Bruit des Anges, un scénario de long métrage qui lui vaut d’être retenue pour la très convoitée Sélection Annuelle du Groupe Ouest 2017, puis pour La Sélection – Talents 2018, un rendez-vous co-organisé par le Groupe Ouest, en partenariat avec la Fondation GAN pour le Cinéma, et réunissant dix jeunes auteurs ayant bénéficié d’un accompagnement à l’écriture dans l’année, lesquels sont invités à présenter leurs projets à un parterre de professionnels, dans les meilleures conditions.

Du monde à (sa) table

Blandine 2 © Brigitte Bouillot
Blandine lors d'une session de travail au Groupe Ouest © Brigitte Bouillot

« J’aime énormément le travail en collectif. Ce parcours de résidences en workshops, c’est pour moi la clé. Ça sert l’humilité, permet de remettre les choses en place tout le temps. J’aime aussi travailler sur les projets des autres, ils ont fini par me tenir autant à cœur que les miens. On avance tous ensemble ! », s’enthousiasme-t-elle. « Le plus formateur pour moi, ça a été le Groupe Ouest, où l’on nous donne les moyens de lâcher tout ce qui pourrait nous encombrer. On se sent accueilli avec une bienveillance infinie, et porté. J’y ai acquis un savoir-faire, mais également une maturité professionnelle, ce qui me fait dire aujourd’hui que j’ai vraiment appris là-bas à pratiquer l’écriture comme un métier, avec méthode et efficacité. »

Cette gourmandise pour le collectif et les résidences, Blandine aura l’heur d’y goûter à nouveau dès demain ! Elle a en effet été choisie pour participer avec le réalisateur Stefan Le Lay à la deuxième sélection de LIM, à nouveau avec le Groupe Ouest : « le projet s’appelle Survie, un huis clos à trois personnes sur un voilier, en pleine mer. Stefan souhaite que je l’aide à développer la psychologie des personnages », précise-t-elle. 

Elle attend également de commencer l’adaptation pour le cinéma d’une pièce qui l’a emballée, Sur mes yeux, du dramaturge Elie Guillou, ainsi que l’écriture d’un court-métrage avec le jeune réalisateur suisse Basile Vuillemin(2) : une histoire de chalutier, en Bretagne…

Si Blandine n’aime rien tant que d’avoir plusieurs projets en cours – ce qui lui permet de donner une respiration aux uns quand elle s’occupe d’un autre – elle n’a  pas le temps d’être sur tous les fronts. Ainsi va la ronde de ses désirs : des personnages naissent – c’est ce qu’elle avoue préférer au cinéma, les drames et les films de personnages –  s’installent à sa table ; d’autres attendent leur heure au jardin qu’elle n’oublie pas de cultiver, en allant tout (re)voir au cinéma – « y compris le pire, comprendre aussi ce qui ne marche pas » –, et en puisant en elle toujours les mêmes histoires, qu’elle nous raconte autrement, sous la dictée de son destin.

Gaell B. Lerays

(1) Le projet convainc de nombreux partenaires : Prix du meilleur projet de film au Festival Côté Court 2016 / Préachat France 2 / Soutien de la Région Bretagne / Scénario lauréat de la Bourse d’Écriture Cinéma Beaumarchais – SACD / Contribution financière du CNC

(2) Le projet vient de remporter une bourse d’écriture aux Journées de Soleure, en Suisse.