Thierry Bourcy, un flibustier du scénario à l’Abordage de la production !


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Thierry Bourcy © Gaell B. Lerays


Une nouvelle saison du dispositif de création accompagnée ESTRAN, coordonné par Films en Bretagne, vient d’être lancée en novembre dernier ; le nom des quatre fois deux lauréats de cette 7e édition a donc été annoncé. Parmi eux se trouve le représentant d’une société de production audiovisuelle née en 2007, et qui, jusqu’à très récemment, est demeurée des plus discrète. Il s’agit d’Abordage Films, une société sise à Pluvigner, représentée par le jeune producteur émergent Matthieu Guingouain (en binôme avec l’auteur Bertrand Basset pour son scénario J’arrive!), et dont le gérant est connu pour ses multiples talents : Thierry Bourcy. Laissant quelques coups de coeur accélérer le rythme de ses productions ou cherchant au contraire à atteindre un rythme de croisière, Thierry nous parle d’une corde pas si nouvelle à son archet, mais que la vie lui offre, depuis quelques années, de développer.

S’il n’est de retour au pays que depuis peu – la Bretagne, le Morbihan –, Thierry Bourcy est cependant bien identifié par nombres d’acteurs de la filière audiovisuelle régionale, dans laquelle il investit sans compter son temps et son énergie, et à de nombreux endroits depuis qu’il a quitté Paris. Ainsi Thierry s’est-il inscrit depuis quatre ans comme un acteur volontaire de cette filière, dans des associations et autres dispositifs locaux, tels l’ARBRE, ses Ateliers en partenariat avec Alrt (Pays-de-la-Loire), ses Échanges de regards, Films en Bretagne, ses tutorats, ESTRAN, des comités de lecture tel le FACCA, deux ans de cours et d’ateliers à l’ESRA, etc. De multiples activités à travers lesquelles il exerce autant qu’il transmet ce dont la vie l’a très tôt doté, et qu’il a passé sa vie à développer : l’écriture et l’imaginaire, les formes à donner, les histoires à inventer, la façon de les raconter. Ainsi Thierry peut-il se targuer, au vu des tranches de vie qu’il a additionnées depuis une enfance solitaire et une trajectoire riche en expériences et en digressions, d’être à la fois scénariste, régisseur, réalisateur, parolier, romancier, et… dorénavant, sans ambages réellement, producteur.

C’est l’écriture qui chez Thierry préside à tout, et c’est par là qu’il commence très tôt à imaginer des mondes, créer des personnages, et les mettre en scène : « dès l’âge de 6 ans, j’écrivais des petits poèmes et des westerns », dit-il. Un genre que son père affectionne particulièrement et que le jeune garçon explore autant au cinéma qu’à la télévision en noir et blanc, avec le film de 17 heures, avant le Cinéma de minuit et la Dernière Séance. Le cinéma, en plus de la bande-dessinée, est aussitôt au centre de ses préoccupations, y compris dans l’action puisqu’il se saisit vite d’une caméra Super 8, avant de tourner bien plus tard en 16mm. Il raconte comment il met en place des mondes et écrit, sans le savoir encore, ses premiers scénarios, dans Mes Starlux, un des premiers courts-métrages qu’il écrit et réalise en 1995, produit alors par Ultramarine. Mais c’est bien plus tôt, et par un bienheureux hasard, que Thierry connaît cette épiphanie qui lui fait décider de tout quitter pour exercer ce métier auquel il n’est alors presque pas possible de se former autrement que sur le tas : celui de scénariste, autrement dit de l’écriture pour la télévision et le cinéma. C’est en effet chez une grande créatrice de costumes pour le cinéma, amie de ses parents, Monique Dunan alias La Dudu – dont il fait le personnage principal de son film homonyme en 2001, un 52′ produit par Pois-Chiche Films – qu’il fait la connaissance de Bernard Revon, scénariste de François Truffaut, auquel il livre à sa demande ses écrits multiformes et ses souvenirs d’internat dans un collège religieux… Une amitié naît entre le jeune homme et ce professionnel aguerri qui devient un mentor et fait dire à Thierry : « c’est en voyant cet homme génial opérer, que j’ai su que c’est ce métier-là, que je ne connaissais pas jusqu’alors, que je voulais faire dans la vie : la manière dont il faisait le tri, mettant de côté l’ordinaire et le banal pour extraire l’or de l’existence, ce qu’il y a de charmant, d’émouvant et d’étonnant, et qui seul constitue la matière pour de bonnes scènes ! », s’extasie-t-il encore.

Une nouvelle page s’ouvre dans sa vie et c’est à Paris que l’histoire se poursuit. D’abord régisseur avant d’être second assistant puis auteur et réalisateur, Thierry avance et saisit avec gourmandise chaque opportunité de faire sa place ; il prend plaisir à découvrir des métiers et des gens. L’enfant solitaire n’envisage plus le travail sans l’idée et la pratique de la collaboration : « pour moi, un scénario ne s’écrit pas seul, mais avec un coscénariste ou un réalisateur. » Il connaît un certain succès dans l’exercice, devient connu et est employé pour des séries à la télévision. Il est aussi bientôt reconnu comme un réalisateur que ses pairs de l’ACID encouragent à continuer après un premier essai, un court-métrage inspiré d’une nouvelle de Borges, La Rose de Paracelse, en 1985, produit par les Films du Plain-Chant. Parmi ses amis et collaborateurs, on peut noter la présence de Pierre Fabre et de Pascale Breton, deux acolytes en écriture, pour un temps.

Le téléfilm qu’il coécrit pour Jean-Louis Lorenzi qui deviendra son ami, La Tranchée des espoirs, (2003), lui ouvre un monde, celui de la Grande Guerre et les portes de l’édition à partir de 2005, avec l’écriture de polars qui sont aujourd’hui réédités chez Folio et qui valent à Thierry, à un moment où sa carrière commence à patiner à Paris, de changer, provisoirement, d’activité, et de devenir romancier. Il fréquente les salons du livre, donne des ateliers… et rentre en Bretagne : d’abord Rennes, puis Pluvigner.

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Fog, de Mads Yt Schniberg


« Depuis que je suis installé en Bretagne, il ne m’arrive que des belles choses »

Thierry Bourcy rentre en Bretagne, accepte de donner des cours d’écriture de scénario deux années durant à l’ESRA, poursuit ce travail de transmission à travers le tutorat mis en place par Films en Bretagne et destiné à accompagner l’écriture de dossiers de films documentaires ayant bénéficié de l’aide à l’écriture de la Région, continue d’écrire, de tourner, de rencontrer, notamment les jeunes et les moins jeunes acteurs de la scène audiovisuelle locale avec lesquels il collabore à plusieurs niveaux, notamment ceux qui fréquentent l’Atelier d’Aran (Antoine Tracou et Simon Coss, Yannick Orveillon, dont les films sont produits par Abordage Films, et Matthieu Guingouain, que revoici!). Il ne cesse jamais d’écrire des scénarii : pour d’autres ainsi que pour lui-même. Ses tiroirs sont sans doute pleins de projets qu’il story-board depuis toujours, courts et longs. Par exemple ce Da Viken, adapté d’un roman intitulé Bonsoir Marie-Josèphe, de Jean David, et pour lequel Thierry a déjà approché Feodor Atkine et Miu Miu. Son « serpent de mer », je le cite. Par exemple, Un été de porcelaine, adapté de la célèbre nouvelle de Ivan Tourgueniev, Premier Amour (1860), transposé dans le monde d’aujourd’hui pour un projet de long-métrage pour lequel il a reçu l’aide à l’écriture de la Région Bretagne, qu’il a coécrit avec le jeune romancier Nicolas Mathieu, dont le récent Prix Goncourt décerné à son deuxième roman – Leurs Enfants après eux, publié chez Actes Sud –, semble avoir permis d’accélérer la mise sur les rails de la production. À suivre… Thierry a décidé de consacrer 2019 – à partir de mars – à ce long métrage qui lui tient particulièrement à cœur et qu’il tient à réaliser ! En attendant ce temps privilégié qu’il compte bien s’octroyer, il a derrière et devant lui d’autres projets liés à cette maison de production qu’il a fondée en 2007 avec son ami Claude Berne, pour la réalisation du long métrage Hôtel du Paradis (2011). Depuis, la société a permis à de jeunes talents de l’utiliser comme un outil, qui ont ainsi produit leurs courts-métrages (c’est le cas du remarqué Les Mohicans, de Yannick Orveillon, en 2015, et de ses autres courts à suivre). Thierry s’est aussi engagé dans la production du premier film d’un ancien étudiant dont il avait déjà repéré le talent singulier, Mads Schniberg, avec ce Fog, projeté au Festival de Douarnenez 2018, avec deux autres films en breton, et plus récemment au cinéma Ti Hanok, à Auray. Fog est un court-métrage des plus prometteur, d’inspiration russo-orientale (pour ne pas citer Tarkovski) et dans lequel ce jeune auteur-réalisateur installe un univers de cinéma étrange et inspiré, enveloppant comme ce brouillard annonciateur du titre, enserré dans un format carré et contraint dans un décor onirique en huis-clos. Un très bel objet… déposé entre les mains de Déborah Gillet désormais, nouvellement distributrice au sein de l’entreprise rennaise qu’elle a créée : DeFFI. Nous y reviendrons dans un futur papier.

Autre court-métrage produit par Abordage Films, et qui vient d’être choisi par le Ministère de l’intérieur pour le lancement de la campagne contre les violences sexuelles et sexistes : Battantes, de Malika Hadjal.

Enfin, Thierry vient de s’offrir un délicat plaisir de 7’22 », le tournage en 6 heures cet été d’une charmante comédie douce-amère sur la mort et la vie, Ce petit coin de ciel bleu. Le court-métrage est coproduit par l’Atelier d’Aran. Et le voici : 

https://vimeo.com/297587468

MDP : LOCOAL

« Ça se passe bien en ce moment pour Abordage Films », commente Thierry. Apparemment, pour lui, et finalement, pour nous aussi…

Gaell B. Lerays


En savoir plus :

Fog, de Mads Yt Schniberg, a été financé grâce au soutien des télévisions locales bretonnes, du FAR, d’une campagne de financement participatif ainsi que d’une aide de la délégation générale aux langues de France.

Thierry Bourcy : http://www.thierrybourcy.fr/

DeFFI : https://www.filmenfestivals.com/

ESTRAN 7 : https://filmsenbretagne.org/estran-7