Estran 7 : bilan d’étape


La nouvelle version du dispositif Estran présentée par Films en Bretagne en 2018 permet à des auteurs de mener à bien leur premier ou second projet de court métrage de fiction en bénéficiant d’un parcours de formation adapté. De jeunes producteurs bretons les accompagnent dans cette démarche. Sept mois après l’annonce des lauréats Estran 7 lors du Festival Européen du court-métrage à Brest, rencontre avec les auteurs-réalisateurs Bertrand Basset, David Brunet, Pierre-Alphonse Hamann, Théo Jourdain et Stephen Seznec, producteur à Nationale 12.

Les quatre lauréats, jusqu’alors habitués à travailler en autoproduction et dans l’urgence, n’avaient pas ou peu entendu parler d’Estran¹. Mais le nouvel appel à candidatures, moins axé sur le scénario, a intéressé des profils plus atypiques, tel celui de Pierre-Alphonse qui a postulé parce que « le concours n’était pas ouvert qu’à des gens du cinéma et laissait une certaine liberté quant à l’écriture ». Quatre binômes auteurs-producteurs se sont formés à l’issue de la sélection : Bertrand Basset pour son projet J’arrive et Matthieu Guingouain (Abordage Film), David Brunet pour son projet La Grande tâche rouge et Jules Raillard (Les films de Rita et Marcel), Pierre-Alphonse Hamann pour son projet Stelo et Caroline Versal (Tita B Productions) et Théo Jourdain pour son projet Mab An Tarz et Stephen Seznec (Nationale 12). « Comme les producteurs sont aussi émergents, précise Stephen Seznec de Nationale 12, la fabrication du film est une découverte à deux. C’est un vrai parcours d’un an et demi où on se construit ensemble. On essaie de se compléter. C’est un travail d’équipe. »

Les auteurs-réalisateurs et leurs producteurs doivent apprendre à se connaître et à se mettre d’accord sur le film qu’ils veulent faire. « Chaque cas est particulier et dépend des producteurs, de nous, de nos parcours, précise Bertrand. En tant qu’auteur, on se demande également à quel point nous rentrons aussi dans la production. Et puis le producteur n’a pas que ce projet-là à mener… Nous non plus d’ailleurs ! » Cette bienveillance s’applique également au groupe formé par les auteurs sélectionnés qui relisent entre eux leurs scénarios. Bertrand confirme cette émulation : « Avoir une première expérience de réalisateur dans un collectif est assez rare. Si on a une difficulté, on peut en parler entre nous. C’est un vrai confort. » De leur côté, les quatre producteurs n’hésitent pas à se consulter dans l’avancement de leurs dossiers. « On se parle tous ! » conclut Stephen, confirmant que la nouvelle formule d’Estran atteint déjà au moins cet objectif : favoriser le collectif et la mise en réseaux.

Formation Réalisation, Bertrand Basset et Pierre Souchar, chef opérateur image @ Emmanuel Madec
Formation Réalisation, Bertrand Basset et Pierre Souchar, chef opérateur image @ Emmanuel Madec

 

L’hiver dernier, les lauréats ont suivi une formation en deux temps. Quatre autres auteurs ayant des projets de courts- métrages de fiction, hors dispositif Estran, y ont également participé. La première session, mise en place en partenariat avec le Groupe Ouest, a eu lieu à Brest au mois de janvier. Les auteurs y ont travaillé leur scénario avec les consultants Yacine Badday et Christophe Lemoine. Théo est encore sous l’émotion : « Ça m’a mis à terre ! On écoutait les projets des uns et des autres, avant d’en faire des retours. Il n’y avait plus de limites, tout était discutable. Je perdais mon film le troisième jour, je le retrouvais le quatrième, pour le perdre de nouveau. »  Stephen, le producteur de Théo, complète : « La méthode met tout en perspective et forcément, sur des projets qui ne sont pas écrits depuis très longtemps, toutes les cartes sont en l’air en milieu de semaine. Le but est de voir lesquelles retombent. Lorsque j’ai vu Théo, à mi-parcours, il n’y avait plus le film défini à l’origine mais il y en avait plein. » Qu’on se rassure : cette étape leur a donné quelques sueurs froides mais les a aidés à mieux affirmer le film qu’ils voulaient faire ensemble.

La deuxième session, consacrée à la réalisation, s’est tenue en mars. La première partie plus théorique, à Rennes, était animée par des professionnels tels que Sonia Larue, directrice de casting et réalisatrice, Camillle Servignat, assistante réalisatrice, ou encore Pierre Souchar, chef opérateur image. À Taden, reçus par Gwenn Liguet, chef opérateur image et représentant de Transpa Group en Bretagne, les stagiaires sont passés à la pratique. Chacun a bénéficié d’une demi-journée de tournage d’une séquence de leur film. Cette expérience leur a permis d’essayer des choses, tout en bénéficiant du regard et de conseils de professionnels expérimentés. « J’ai pu me rendre compte qu’une scène que j’avais envie de faire ne marchait pas, confie Bertrand. Je ferai d’autres erreurs mais pouvoir tester ces choses-là est un vrai luxe ! » Un mois après chaque session, deux consultations à distance, autour de la finalisation du récit, complétaient l’accompagnement à l’écriture.

Séance de travail en groupe à Taden @ Emmanuel Madec
Séance de travail en groupe à Taden @ Emmanuel Madec

 

Le parcours d’accompagnement amène aussi les lauréats Estran 7 sur le terrain de la post-production et de la diffusion. Mi-juin, ils étaient au Festival du Film de l’Ouest à Betton pour assister à un séminaire sur le workflow en post-production, monté spécialement pour le dispositif mais ouvert à tous. Le matin même, Stéphane Garry, directeur technique d’AGM Factory à Rennes, leur a fait visiter le studio. Ces temps de rencontres évitent aux futurs réalisateurs « d’avoir des freins pour échanger en post-production avec un mixeur son, par exemple, confie David. Plutôt que de se dire qu’on n’y connait rien et qu’on va passer pour un amateur si on ne parle pas son langage, on part plus confiant ». Chacun selon son parcours n’a pas les mêmes lacunes mais tous soulignent l’importance d’être accompagné. « Nombreux sont les jeunes réalisateurs qui parviennent à se faire financer mais qui arrivent sur le plateau sans avoir de compétences ou de connaissances techniques », constate Stephen. Un handicap difficile à dépasser qui peut fragiliser les échanges avec les techniciens. « En tant qu’auteur-réalisateur, il n’est pas nécessaire de tout maîtriser mais il faut au moins comprendre la chaîne des enjeux et connaître son outil.»

Le tournage des films aura lieu en automne, suivi de la post-production et de retours individuels sur un premier montage d’ici la fin de l’année, l’objectif étant de montrer les films en avant-première lors du Festival Travelling en février 2020. Pour l’heure, les lauréats d’Estran 7 se lancent dans la préparation du tournage : casting, recherche de lieux et d’équipe… Le passage de l’écrit à la pratique les confronte aux impératifs du réel. «  Je veux faire le film que j’ai en tête mais je dois prendre en compte des réalités en terme de conditions techniques et de production », confirme David. Les auteurs-réalisateurs d’Estran apprennent à travailler en binôme, avec des étapes de production qui requièrent de la patience. Il faut notamment attendre la réponse d’éventuels financements complémentaires. « L’apprentissage du premier film, selon Stephen, c’est apprendre à être dans une temporalité… » D’où la nécessité d’un dispositif tel qu’Estran pour accompagner de jeunes auteurs émergents dans leurs premiers films.

Marion Geerebaert

 

¹  Le dispositif Estran 7 et son axe de formation ont été rendus possibles grâce au soutien de la Région Bretagne.