À Mellionnec, au cœur du Centre-Bretagne, l’association Ty Films, qui organise notamment chaque année Les Rencontres du cinéma documentaire, ouvre en 2025 un pôle de formation d’envergure internationale dédié au cinéma documentaire : SKOL DOC. Cette école regroupera 4 cursus, amateur·rices, étudiant·es, professionnel·les et formation continue.
Issue d’une longue expérience de projets collaboratifs, cette école a pour but de croiser et de regrouper, en un espace unique, quatre démarches de formation à destination de différents publics : amateur·rices, professionnel·les, étudiant·es et personnes en reprises d’études.
Ce projet innovant, tant par sa localisation que par son approche pédagogique, s’appuie sur l’activité d’Éducation Artistique et Culturelle (EAC) et la pratique d’accompagnement des auteur·rices que Ty Films développe depuis près de 20 ans. Skol Doc offre à des personnes issues d’horizons diversifiés, une véritable opportunité de professionnalisation dans le domaine du cinéma documentaire.
Dans ce cadre, nous sommes allés à la rencontre de Jean-Jacques Rault, co-directeur de Ty Films, et Marie-Pomme Carteret, cheffe monteuse et membre du Conseil d’Administration, en leur posant nos 3 traditionnelles questions…
Jean-Jacques Rault, Co-directeur de Ty Films

J’ai commencé par travailler la terre, en Centre-Bretagne, salarié agricole puis paysan pendant 15 ans. En 2021, quand j’arrête ma ferme je me tourne vers le journalisme dans un premier temps. Ma rencontre avec Manuela Frésil, cinéaste, va catalyser mon désir de films. Direction Poitiers, pour un DESS réalisation de documentaire, où je réaliserai mon premier film Une nuit avec des ramasseurs de volailles. Il est primé au Festival de Douarnenez en 2005. J’imagine alors d’autres projet, comme une suite logique, une quête politique aussi. Je filme mes anciens collègues paysans dans Vague à l’âme paysanne (produit par .Mille et Une. films en 2010) ou dans Mille et une traites (produit par Z’azimut Films en 2012). Où encore un portrait d’Edgard Pisani dans C’est beau la politique, vous savez ! (Produit par Mille et Une films en 2011) puis un portrait de Joël Labbé, Au risque d’être soi, qui accepte de se dévoiler devant la caméra. Il y avait aussi un récit personnel que je me devais de faire. C’est le travail que j’ai mené avec Céline Dréan dans mon dernier film Vingt ans sans ferme. Et puis il y a eu Mellionnec et Ty Films…
Marie-Pomme Carteret, cheffe monteuse

Après des études de son à l’École Louis Lumière, je découvre la magie du montage en travaillant sur divers courts et longs-métrages de ficton. En 1990, la rencontre avec Alain Cavalier me révèle une autre approche de mon métier et m’ouvre à de nouvelles explorations narratives : c’est à travers la liberté formelle du documentaire de création que j’orienterai désormais mon travail. En 2011, ma route croise celle de Ty Films, une belle occasion de transmettre tout en continuant d’exercer mon métier.
3 QUESTIONS À JEAN-JACQUES RAULT ET MARIE-POMME CARTERET
Films en Bretagne :
L’association Ty Films, à Mellionnec, est « l’ambition d’une bande de copains et de copines désireux·ses de partager leur intérêt pour le documentaire, autour d’un événement annuel : Les Rencontres du film documentaire de Mellionnec ». Pouvez-vous vous présenter à travers votre lien particulier au documentaire et nous raconter les grandes lignes de cette histoire qui vous porte depuis 2007 ?
Jean-Jacques Rault :
Quand en 2025, je suis revenu à Mellionnec après mes études de réalisation, je savais que je voulais exercer ce métier chez moi, avec la volonté de réaliser des documentaires sur ce qui avait été ma vie d’avant : le monde paysan. Instinctivement, je sentais que ce cinéma pouvait être un moyen de développer notre territoire et de créer du lien entre les gens. C’est ce qui a fondé la création de Ty Films où, avec Gaëlle Douël, réalisatrice elle aussi, nous avons organisé avec « nos potes » des soirées mêlant film, repas et bonnes bouteilles ! Les rencontres sont nées là, de cette envie de partager les films avec les autres. L’un des autres piliers du développement de Ty Films a été mon engagement au sein de l’ARBRE. À l’époque, les auteur·rices cherchaient des lieux pour se rencontrer et travailler leurs projets. Tout naturellement, nous avons expérimenté des ateliers d’écriture, de réalisation et de montage. Mellionnec est ainsi devenu le lieu où aller pour travailler son film documentaire !
Je crois que c’est en 2011 que la bascule s’est vraiment faite. Pour les besoins de mon film C’est beau la politique, vous savez, j’avais installé un banc de montage de fortune pour accueillir la monteuse du film, Pomme Carteret. Le fait qu’une monteuse reconnue hors Bretagne accepte de venir ici, combiné à la possibilité d’installer facilement du matériel professionnel, a rendu l’accueil des auteur·rices possible !
Un ingrédient essentiel à notre réussite a été le soutien indéfectible des collectivités, particulièrement le Département des Côtes d’Armor et la Région Bretagne. Une convergence s’est créée entre notre vision d’un lieu dédié au documentaire et les politiques publiques souhaitant faire de la Bretagne une terre de cinéma.
Le terreau professionnel a été fondamental pour que puisse naître ce projet : l’ARBRE, Films en Bretagne, Douarnenez et le Groupe Ouest qui nous ont épaulés pour nos premières formations ont tous participé au développement de Ty Films. Enfin, il y a le personnage principal : Mellionnec ! Cette petite commune rurale de 420 habitants, où tout le monde se connaît, s’estime et se chamaille, comptait à la création de Ty Films 14 associations ! Certaines portaient des projets d’envergure comme l’exposition de sculptures monumentales ou le réseau Villages Culturels d’Europe, regroupant douze villages de l’Espagne à l’Italie en passant par la Grèce ou l’Estonie. C’est ce dynamisme et la volonté de l’équipe de bénévoles de l’association, tous et toutes ancré·es localement, qui a permis d’imaginer Ty Films au service des publics, des professionnel·les et d’un territoire.
Je crois qu’au fil des années, nous avons créé un espace social où peut s’inventer une autre façon d’aborder la vie, une autre façon d’être au monde. Le cinéma documentaire est devenu un outil essentiel pour faire exister cette utopie.
Marie-Pomme Carteret :
En 1988, j’ai vécu un choc : le montage de mon premier film documentaire, Le voyage d’hiver, qui retraçait une action courageuse de cinq mères dont les enfants avaient été enlevés par leurs pères. À travers ce travail, j’ai découvert l’immense potentiel narratif et la liberté formelle inépuisable de ce genre cinématographique. Je m’y suis dès lors consacrée avec passion tout au long de ma carrière.
En 2011, un autre choc : la rencontre avec le village de Mellionnec et l’association Ty Films, créée par Jean-Jacques Rault et Gaëlle Douël en 2007. J’y découvrais là une dynamique culturelle extraordinaire, portée par un joyeux mélange de professionnel·les et d’amateur·ices éclairé·es. Je comprenais aussi que dans ce village existait une possibilité de concrétiser nos rêves : les personnes qui vivaient là expérimentaient quelque chose qui ressemblait à une forme d’utopie humaine et sociale. En quelques mois, ma décision prise, j’ai quitté une vie parisienne qui commençait à me peser, je me suis installée en Centre Bretagne pour pouvoir rejoindre cette équipe audacieuse et participer à une aventure associative dont j’ignorais encore tous les usages.
Cela fait donc 14 ans aujourd’hui que je m’investis à Ty Films : membre du CA sur plusieurs années, j’y ai vécu le développement exponentiel de l’association, notamment en 2014 lors de la première signature du Contrat d’Objectif avec les collectivités territoriales. J’ai assisté à la mise en œuvre des premières résidences d’écriture, participé à la création de plusieurs formations et j’ai pris part bien entendu chaque année à la préparation des Rencontres du film documentaire de Mellionnec.
J’ai aussi vu naître les « TyGroupes », ces groupes de travail qui se constituent spontanément autour de thématiques importantes et qui sont véritablement le moteur de l’association. Enfin, je me réjouis chaque jour d’avoir fait le choix de vivre à la campagne tout en ayant la possibilité à la fois d’exercer mon métier et de m’impliquer dans une dynamique locale engagée au service du cinéma documentaire.
Films en Bretagne :
L’association est à l’initiative, depuis cette année 2025, de l’ouverture d’un pôle de formation d’envergure internationale et dédié au cinéma documentaire : Skol Doc. Pouvez-vous nous présenter la genèse et l’ambition de ce nouveau projet ? Qu’espérez-vous créer sur le territoire ?
Jean-Jacques Rault :
Skol Doc est arrivé comme toutes les actions de Ty Films, par l’expérimentation. Nous imaginons, nous essayons puis nous mettons en œuvre. C’est une démarche risquée, car la faisabilité se mesure en faisant, et bien souvent sans les moyens nécessaires.
Quand nous décidons avec le CA d’acheter ce qui est aujourd’hui la maison des auteur·rices, nous avions déjà anticipé qu’il nous faudrait bientôt un lieu pour accueillir ce que nous ne nommions pas encore « école de cinéma ».
En 2016, l’UBO nous propose de participer à la formation d’étudiant·es en licence. Nous refusons d’emblée d’aller à Brest, proposant plutôt d’accueillir ces douze jeunes à la maison des auteur·rices de Mellionnec pour un apprentissage « in vivo » du cinéma. Brest accepte notre proposition, d’autant que nous assurons cet accueil sur nos propres fonds. À l’époque, nous espérions que la qualité de notre accompagnement entraînerait un engagement financier de la faculté. Si le pari financier fut quasiment perdu, cette expérience nous a permis d’élaborer et d’expérimenter une méthode pédagogique d’apprentissage du cinéma documentaire. C’est ce travail qui a fondé le projet d’école et particulièrement le cursus « réaliser, monter, produire, se former ensemble au cinéma documentaire ».
Pour bien comprendre la genèse de ce projet, il faut revenir au fonctionnement de Ty Films. Pour chaque nouvelle action, nous constituons un « Ty Groupe » chargé de penser et d’écrire le projet. Depuis 2018, un groupe Skol Doc a commencé à travailler sur ce sujet. Regroupant des professionnel·les du cinéma et des personnes engagées dans l’association, tous et toutes ont travaillé bénévolement pour faire naître cette école. À partir de 2020, ce groupe s’est réuni tous les quinze jours, travaillant sur les plans du futur bâtiment et élaborant un programme pédagogique détaillé, tout en questionnant sans cesse notre création au regard de l’éducation populaire, de l’écologie et plus globalement de notre place dans la société.
Il a fallu attendre septembre 2023 pour que les services formation de la Région Bretagne valident notre proposition de formation, saluant le travail mené par ce groupe.
Ce projet est porté avant tout par des habitant·es du territoire, animé par la conviction qu’une école de cinéma originale peut exister au fin fond d’une campagne bretonne. Notre moteur est là : la certitude que la culture offre bien plus que de simples activités ou des retombées économiques — elle permet l’épanouissement des hommes et des femmes.
Marie-Pomme Carteret :
Je partageais un vieux rêve avec Jean-Jacques, celui d’ouvrir une école dédiée au cinéma documentaire. C’est en 2018, à la faveur d’un Appel à Manifestation d’Intérêt lancé par l’État que ce projet a pu voir le jour concrètement, en partenariat d’une part avec l’association Le Village coopératif qui souhaitait développer une offre d’hôtellerie écologique sur place et d’autre part avec l’équipe municipale de Mellionnec qui portait un projet de rénovation du centre bourg. Un « TyGroupe Skol Doc » constitué d’environ 8 bénévoles s’est créé cette même année. Ses membres ont travaillé à la fois sur les contenus et sur le bâtiment.
L’ambition de ce projet est de pouvoir rassembler dans un même espace toutes les formations développées par Ty Films et cela dans un bâtiment écologique et passif.
Skol Doc accueillera quatre domaines de formation : amateure, initiale, professionnelle, continue. À travers ces parcours conjugués dans un même lieu, nous souhaitons favoriser les rencontres et les échanges entre les professionnel·les du cinéma documentaire, les divers publics en formation, les adhérent·es de l’association, les habitant·es du Centre Bretagne, toutes générations confondues. Ces ponts qui se relient à la faveur d’un repas, d’une projection, d’un montage, du festival, sont déjà expérimentés depuis la création de l’association et sont même devenus la marque de fabrique de Ty Films. Skol Doc est un outil formidable pour dynamiser encore plus ce qui existe au niveau associatif et culturel sur le territoire du Centre-Bretagne.
*je me permets vous joindre notre « Préambule au projet associatif » qui résume bien l’état d’esprit de nos actions.
Films en Bretagne :
De manière générale, comment pouvez-vous décrire la démarche pédagogique que vous souhaitez insuffler ? Quel sera plus particulièrement votre rôle au sein de ce pôle ?
Jean-Jacques Rault :
La démarche pédagogique est au cœur de la réflexion de Ty Films. En 2013, des adhérent·es ont souhaité écrire un préambule afin de mettre noir sur blanc ce qui nous animait tous et
toutes au sein de l’association. C’est dans ce cadre que le « Ty Groupe Skol Doc » a imaginé cette école.
Nous pensons que l’écriture d’un film n’est pas l’exclusivité de l’auteur·rice. Elle se construit tout au long du projet par la confrontation, la mise en commun, avec l’ensemble des professionnel·les qui participent à faire naître son film. Proposer des cursus de formation autour de la narration va dans ce sens et permet aux différents métiers de se forger une connaissance commune de l’écriture documentaire.
Nous nous appuyons sur trois dispositifs majeurs :
- Acquérir une pratique et comprendre les enjeux concrets des métiers du documentaire (exercices pratiques, découverte des métiers du cinéma, maîtrise des outils, apprentissage technique encadré par des professionnel·les du cinéma documentaire).
- Se constituer une culture du cinéma documentaire (cours théoriques de cinéma, rencontres avec des réalisateur·rices, visionnages et échanges sur des extraits et/ou films documentaires mis en parallèle avec des films de fiction, des reportages).
- Développer un point de vue, affirmer son regard, en menant une réflexion personnelle (écrire, tourner et finaliser ses propres films, analyser une image, un film, constituer un programme et le présenter à un public).
Notre expérience nous permet d’imaginer une autre approche de l’apprentissage du cinéma. Nous croyons à la force du collectif pour permettre à chacun·e d’accéder aux connaissances et de développer ses compétences.
Le « terrain de jeu » où se déroulent nos formations n’est pas anodin. Nous concevons nos formations en immersion à Mellionnec. Cette immersion fait partie intégrante de l’apprentissage. Elle permet la mise en place d’une pédagogie « de terrain », d’une pratique qui s’invente en s’éprouvant. Il s’opère ici un brassage et des rencontres entre les stagiaires, les professionnel·les du cinéma documentaire et, plus largement, la population locale. Cet environnement favorise le rapport à l’autre, l’ouverture sur des univers cinématographiques différents, les questionnements sociétaux, politiques, poétiques…
Au final, ce que nous expérimentons avec Skol Doc n’est ni plus ni moins que de l’éducation populaire. Chaque personne est porteuse de savoirs, tous·tes étant sachant·es et apprenant·es. C’est aussi la reconnaissance « du droit au tâtonnement » dans l’exercice d’un rôle de laboratoire permanent et, enfin, c’est un attachement au développement de la qualité de vie sur les territoires.
J’ai décidé depuis plusieurs années d’arrêter mon travail au sein de Ty Films quand l’école serait ouverte. Concrètement, je vais accompagner les premiers pas en suivant particulièrement la première promotion de 2025 à 2026 et suivre la construction du bâtiment. Au quotidien, il s’agira d’accompagner les professionnel·les qui interviendront, faire le lien avec la marraine Daniela De Felice, de semaine en semaine pour apporter une cohérence dans ce cursus de 14 mois. Il y aura aussi le groupe Skol Doc à animer afin qu’il participe au maximum à la mise en forme de cette formation. Enfin, cette année à venir sera aussi marquée par la transmission à la personne qui continuera pour les promotions suivantes.
C’est important pour moi de partir à ce moment-là. Il y a quelque chose de terminé et c’est le moment où quelqu’un·e peut s’en emparer pour y apporter sa touche personnelle, voire un nouveau souffle.
Marie-Pomme Carteret :
Personnellement, j’ai beaucoup aimé contribuer à la création de la formation « Réaliser, monter, produire » et je m’imagine bien continuer à travailler au sein de TyGroupes sur l’élaboration de diverses formations dans chacun des 4 cursus, notamment sur la filière universitaire. Mais je ne me vois pas intervenir régulièrement dans un parcours pédagogique précis, sauf peut-être à l’endroit d’un accompagnement au montage sur les films de la formation longue, je suis une personne de « terrain », avec un rapport concret à la matière filmée.
En tant que professionnelle du cinéma documentaire et bénévole impliquée dans la naissance de Skol Doc, je suis attachée à transmettre ce qui nous anime aujourd’hui au sein de Ty Films : un enseignement horizontal, transversal et vivant, l’invention et l’expérimentation de nouvelles pratiques dans la production audiovisuelle, l’émergence de projets singuliers grâce au travail en collectif, l’invitation à réfféchir au monde véhiculé par les images et bien sûr, le soutien à la création documentaire qui permet à de jeunes cinéastes de développer leur regard personnel sur le monde.
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Propos recueillis par Films en Bretagne, avril 2025.
