« RE AR MENEZ » : un en-dehors de cette norme que l’on nous assène


A propos du film (par Stéphanie Coquillon)

 

« Témoigner qu’il existe un en-dehors de cette norme que l’on nous assène comme la seule réalité possible »
Dounia Wolteche-Bovet 

Le Mois du Doc a ce talent de (re)mettre un coup de projecteur sur ce qui se passe parfois tout proche, d’enrichir notre connaissance de ce qui a lieu près de nous et de le mettre en perspective pour nous permettre de mieux habiter le monde. Après Les Herbes folles en 2019 (prix Perspective du Moulin d’Andé – CECI aux Écrans documentaires d’Arcueil), la réalisatrice Dounia Wolteche-Bovet filme en 2022 sur la colline du Menez Du, dans les Monts d’Arrée, des hommes et des femmes qui se mobilisent contre l’implantation d’une antenne-relais à proximité de leurs fermes bio. « RE AR MENEZ »: dans la musique de ces mots, on retrouve l’âpreté du paysage, la douce opiniâtreté de ses habitants, le temps qui se déploie, la poésie aussi. La lutte, la langue et le paysage semblent intimement liés. Une plongée dans une lutte donc, une rencontre avec des habitants vent debout pour protéger leur Menez Du de la course frénétique du monde, pour protéger leur paysage. Une incursion dans une société où les liens se forgent et s’expriment en breton et où l’écologie est aussi culturelle et linguistique.

Des femmes et des hommes. Des adultes, anciens et jeunes. Serrés comme des fétus de paille, défendant leur bois contre les gendarmes. Ça résiste.  Ça pousse, d’abord subrepticement puis jusqu’au déséquilibre… et puis c’est parti, ça interpelle, ça bouscule, ça crie. Ça s’arrête. Et ça sonne.

La réalisatrice Dounia Wolteche-Bovet nous partage la lutte d’habitants de Saint-Cadou, dans le Finistère, contre l’installation d’une antenne 4G. On peut parler d’une mini-zad, et dès les premières minutes du film les mots devenus fourre-tout de territoire, de lieu partagé, de convivialité, ces mots urbains, politiques ou médiatiques qui se sont imposés à nous pour tenter de ré-imaginer l’écologie et le lien social, ces mots se heurtent à une réalité qui les rend un peu ridicules : il s’agit de personnes, il fait froid, il pleut, on fait ses courses, on danse, on rit, on parle, on vit. Ce n’est pas l’image d’un paradis perdu qui est à défendre, mais une voisine que les ondes rendent malade, des enfants qui aident à la traite des vaches, un hangar à la fois place de marché et salle de fest-noz, des militants qui prévoient la prochaine action contre l’antenne dans une caravane posée comme un étendard de lutte au carrefour du bois. Ce bois, un paysage qu’on veut « laisser tel qu’il est ». C’est un lieu où l’on vit sa vie au rythme de la traite, où l’on touche le temps, où le confort est celui de connaître ses aînés, de pouvoir compter sur ses voisins et d’être droit dans ses bottes.

Ce qui se joue, plus encore que la lutte en elle-même, c’est une histoire humaine, un écosystème porté par des personnes qui ne vivent pas “sur” un morceau de terre, mais à l’intérieur, avec elle, peut-être pour elle. Une structure sociale dont les liens, la consommation, les jeux des enfants, les manifestations, sont organiques, musicaux, joyeux ou révoltés, directs, et en breton.

On parle breton, et ce n’est pas anodin : poétiques, des images en super 8 chevauchent la poésie de la langue bretonne, langue des éléments : le bois, le vent, la pluie, les vieux talus. La poésie se niche dans la mousse verte du bois, et le breton s’inscrit dans son paysage, nous parle de terreau, de filiation entre les lieux et les gens, entre les générations. L’écologie culturelle et linguistique nourrit la lutte pour l’environnement, elle en est le miroir. Le refus de l’antenne est aussi le refus de l’uniformisation, une bataille pour un droit culturel fragile, et le breton préservé, transmis, langue d’échange entre les générations, apparaît peut-être comme un espoir.

“Conscients aujourd’hui, sauvés demain”, annonce une pancarte de lutte clouée dans le bois. Re ar Menez, portrait des habitants de la colline, est en filigrane de cette lutte un portrait d’enfants : menés par Kaoura, une des grandes de la troupe, ils sautent à la tyrolienne entre les arbres, vivent des aventures dans cette nature parfois difficile qu’ils connaissent bien. Enfants sans tablettes ni portables, jouant en bande, ils « n’ont pas besoin de 4 G pour se connecter », aiment avoir les mains mouillées par la boue et la pluie, connaissent les végétaux, les animaux et leurs empreintes, s’imprègnent de la lutte des adultes en vivant leurs propres échappées. Le film nous transmet ce qu’il y a de précieux dans cette enfance-là, en équilibre sur un talus, une enfance dont on ne saurait prédire si elle survivra ou si elle est vouée à perdre son énergie vitale dans celles des nouveaux réseaux…

Ar c’hleuz – gant
Anjela DUVAL (1963)

« Ur gridienn a red
Dre va c’hein spernennet
Sonnañ ‘ra war va fenn
Va blevad drez luziet
Sonet eo va eur diwezhañ
Echu eo va reuz er bed-mañ
An douar a stroñs. Ar gwez a gren
Met petra ‘welan ? N’eo ket an Ankoù !
Met un diaoul bras gant skilfoù
O tont d’am drailhañ, d’am dispenn
Ar bulldozer ruz gant e bal ramzel
D’am sebeliañ er fozell. »

« -A ! ra chomo merket dir da skilfoù
Gant gwad glan va gwrizioù ;
Evel dorn ur bourev
Gant gwad ar merzher !
Endra nijo skañv va ene
En dumenn va foultrenn :
Koumoulenn douget gant an aezhenn
Uhel-uhel dreist ar roz,
War-zu… ur Baradoz :
Paradoz ar c’hleuzioù kozh… »

 

 

 

Le talus
d’Anjela Duval (1963)

Un frisson court
Dans mon dos plein d’épines
Sur ma tête ma chevelure
De ronces se raidit
Ma dernière heure a sonné
Fini mon malheur en ce monde
Le sol bouge. Les arbres tremblent
Mais que vois-je ? Ce n’est pas la Mort !
C’est un grand diable armé de griffes
Qui s’en vient me hacher, me dépecer
Le bulldozer rouge à l’énorme pelle
Vient m’ensevelir dans la fosse.

Ah, que l’acier de tes griffes
Trempe dans le sang pur de mes racines ;
Ainsi que les mains du bourreau
Dans celui du martyr !
Tandis que mon âme flottera légère
Dans le duvet de ma poussière
Nuage porté par le souffle
Très haut par-dessus les collines,
Vers un Paradis,
Le Paradis des vieux talus

Traduction Paol Keineg

 


Le film

 

Sur la colline du Menez Du, dans les Monts d’Arrée, des hommes et des femmes se mobilisent contre l’implantation d’une antenne-relais à proximité de leurs fermes bio. De manière ludique, les enfants viennent par leurs gestes et leurs regards questionner ceux des adultes… À travers cette lutte contre, c’est surtout la lutte pour un mode de vie singulier qui prend corps.
2022 • documentaire • 52 minutes

Écriture et Réalisation : Dounia Wolteche-Bovet • Image : Guillaume Kozakiewiez, Dounia Wolteche-Bovet, Nedjma Berder, Emmanuel Roy, Céline Lixon • Son : Chloé Dubset, Jean Mari Ollivier, Klet Beyer, François Langlais, Étienne Foyer, Matthias Germain, Edgar Imbault • Montage : Julien Cadilhac • Mixage : Tudi Le Nédic • Étalonnage : Didier Gohel • Sound design : Tony Hayère• Production : Tita Productions (Laurence Ansquer / Fred Prémel) avec la participation de France 3 Bretagne, TVR, TébéO / TébéSud et les soutien du CNC, de la Région Bretagne, de la Procirep et de l’Angoa-Agicoa 


La réalisatrice

 

Dounia Bovet-Wolteche est née en Algérie en 1980.

Arrivée en France en 1994, elle suit des études de cinéma en Belgique à l’Insas Bruxelles. Elle vit actuellement en Bretagne dans les Monts d’Arrée avec ses trois enfants. En 2000, elle réalise le court métrage Tant qu’on est là. Son moyen métrage Les Racines du brouillard est notamment présenté au FID Marseille et aux États généraux du film documentaire de Lussas en 2009. Elle réalise en 2019 Les Herbes folles qui remporte le prix Perspective du Moulin d’Andé – CECI aux Écrans documentaires d’Arcueil.

En 2023, les États généraux du film documentaire de Lussas confient à Dounia Wolteche-Bovet et Safia Benhaim la sélection Expériences du regard.

Filmographie : Tant qu’on est là (2000 • 10 minutes) • Murs (2001, 22 min) • Les Racines du brouillard (2009, 53 min) • Les Herbes folles (2019 • 76 min)  • Re Ar Menez (2022, 52 min)