Mois du doc en Bretagne : une coordination au cordeau !


Avec près de 400 séances sur 215 communes, le Mois du Film Documentaire envahi les écrans en Bretagne plus que dans toute autre région de France.
Léa Pradon (Cinécran), Elen Rubin & Mathilde Boureau (Daoulagad Breizh), Agnès Frémont & Émilie Morin (Comptoir du doc) et Maxime Moriceau (Ty Films), sont les coordinatrices et coordinateurs de cet événement fédérateur sur les 4 départements bretons. Ils nous expliquent comment s’articule leur travail et nous révèlent leurs coups de coeurs 2022.

Carte MDD22

Le MDD et la Bretagne, c’est une grande histoire… Le nombre de films, de séances, de réalisateur·trices présent·es et de lieux accueillant le MDD sont importants. En votre qualité de programmateur·trice, pouvez-vous expliquer brièvement comment vous construisez « la conversation » entre les films, les lieux et les habitants avec lesquels vous travaillez ?

Léa Pradon – Cinécran (56)
Tout d’abord il est important de souligner que la programmation des films se prépare main dans la main avec l’équipe de Cinécran et le comité de programmation composé d’adhérent·es de l’association et de médiathécaires. C’est un moment collectif, d’échanges, de débats, de questionnements, de partage d’émotions. Ce qu’il se passe au sein du comité de programmation est révélateur. Ce qui se parle, s’interroge, se ressent oriente le choix des films sélectionnés.
Le Morbihan est un territoire pluriel, le Mois du doc voyage dans les villes, dans les villages, dans les campagnes, au bord de la mer, sur les îles, auprès de publics très divers. Nous gardons cette conscience lors de nos rendez-vous de programmation afin de proposer et de défendre des films de qualité offrant une certaine diversité de tons, de sujets, de points de vue, de formes. C’est alors au tour des structures partenaires de s’emparer de la proposition et de concocter leur propre programmation qu’elles destinent à leur public qu’elles connaissent bien mieux que nous. Elles ont donc une place et un rôle essentiel dans ce parcours de programmation. Parfois certaines tentent l’expérience d’aller vers un film qui leur semblerait moins “évident” à projeter dans leur lieu, et c’est très chouette aussi !

Agnès Frémont (programmatrice) et Emilie Morin (chargée de la coordination) – Comptoir du doc (35)
La région Bretagne est un grand territoire et a un lien très fort avec le Mois du Doc. Cet évènement itinérant a du sens, celui d’amener du cinéma et de la réflexion dans de nombreux endroits, et les plus isolés, en ruralité. Les choses se disent et la rencontre se fait.
Plus de 400 séances sur 215 communes sur la région témoignent de la fidélité des structures-partenaires à cet évènement (essentiellement des médiathèques et bibliothèques bénévoles où le mois du Doc a commencé). 70 séances sur le département Ille-et-Vilaine.
C’est passionnant de transmettre la richesse du cinéma documentaire à tous les niveaux, en commençant par les adhérent·es de l’association que l’on convie pour la sélection des films, aux 41 structures-partenaires qui participent au Mois du Doc (médiathèques, cinémas associatifs, ciné-clubs, établissements scolaires) et enfin au public.
Concernant la programmation, je suis attentive aux premiers films des réalisateurs·trices car le Mois du Film Documentaire présuppose que le film passera plusieurs fois. C’est une grande opportunité de partager leurs œuvres à un public. Je propose également des films qui peuvent avoir une visibilité en festivals de documentaire mais qui ne sont pas forcément accessibles ou qui ne sortent pas au cinéma ici en Bretagne ou seulement en avant-première.  Nous proposons chaque année à Comptoir du doc une douzaine de longs métrages documentaires récents et un film de patrimoine qui a compté dans l’histoire du cinéma documentaire. Cette année : Week-end à Sochaux de Bruno Muel et du groupe Medvedkine de Sochaux qui date de 1972.
Ensuite, les structures-partenaires font appel à leurs usagers au niveau local. Grâce aux films qu’ils ont choisi comme coups de cœurs, ils arrivent à donner envie au public à venir assister aux projections.    

Elen Rubin et Mathilde Boureau – Daoulagad Breizh (29)
C’est un travail qui s’inscrit dans la durée. Notre réseau de partenaires du Mois du doc s’est construit au fil des années, par relations et par bouche à oreille essentiellement. Ce sont parfois des partenaires avec qui nous travaillons sur d’autres projets le reste de l’année. Dans notre sélection de films, nous veillons à proposer une diversité de sujets et de formes, pour que tout le monde s’y retrouve. Les journées de visionnement, au mois de juin, sont des temps d’échanges essentiels pour l’accompagnement des films. Nos partenaires viennent nombreux, en équipe souvent, bénévoles et salariés réunis, pour visionner les films et débattre. Nous défendons nos choix et nos partenaires partagent leurs coups de coeur, leur frustration ou déception parfois, et font part de leurs questionnements. Nous animons ces échanges et sommes ravies quand la discussion se fait spontanément entre les partenaires et qu’ils n’ont plus besoin de nous ! Leurs différents avis se répondent. Les plus expérimentés répondent aux questionnements des nouveaux participants. La question du public est au coeur des échanges. Nous les accompagnons pour qu’ils osent programmer leur film coup de coeur. Nous tentons de soutenir les films qui leur semblent plus difficiles à programmer. En septembre, au moment du calage du programme, les échanges se font par téléphone et il y a parfois plusieurs aller-retours, pour que toute l’équipe de programmation valide le choix définitif. Nous tenons compte de la cohérence des tournées. Nous faisons en sorte qu’un même film ne passe par dans deux lieux trop proches pour inviter les publics à aller de ville en ville voir des films différents tout au long du mois de novembre. La journée de formation proposée en octobre permet de prolonger ces échanges autour de l’accompagnement des films et de creuser davantage l’analyse filmique. On est dans le concret, à la veille du Mois du doc. Jusqu’au jour J nous sommes là pour répondre aux besoins sur l’accompagnement, la communication, la technique, l’accueil des invité·es et faire en sorte que la rencontre autour des films se passe au mieux. D’année en année, une relation de confiance et de fidélité s’instaure entre nous et nos partenaires, et entre nos partenaires et leurs publics.

Maxime Moriceau – Ty Films (22)
En tant que programmateur, nous veillons toute l’année à suivre les programmations des salles et des festivals documentaires. Nous sommes aussi en lien avec des maisons de production qui nous font parvenir des films dès que ceux-ci sont prêts ou dès qu’ils entrent en phase de post production. Notre attention est guidée par la qualité du travail des cinéastes, par le soin qu’ils et elles apportent au traitement de leur sujet et à leurs personnages. Nous apprécions également des formes diverses, qu’il s’agisse d’un journal filmé ou d’un film en cinéma direct, nous veillons à ce que les publics fassent différentes expériences. En tant que coordination, notre travail est de faire le lien avec les partenaires de notre territoire. Qu’il s’agisse d’une médiathèque, d’un cinéma ou d’une association, ces personnes ont une connaissance de leurs publics et de ses attentes. Ensemble, nous imaginons une programmation qui puisse à la fois les surprendre et les combler. Chaque année est un nouveau pari !

Nous allons de notre côté évoquer un certain nombre de films de la programmation… Vous concernant, pouvez-vous nous parler d’un de vos coups de cœur de cette année ?

Léa Pradon – Cinécran
Bibliothèque publique de Clément Abbey a été choisi comme film coup de cœur de cette édition 2022, ce qui implique une tournée régionale, au-delà du Morbihan. Ce film est d’une incroyable richesse. Il sublime tout ce qu’il existe de beau, de subtil, d’unique et de transcendant en nous, êtres humains. Clément Abbey nous offre des portraits lumineux d’usagers de la BPI à Paris, et nous invite à entrer dans leur univers. C’est touchant, surprenant, vivant, musical, émouvant ! Pour l’anecdote, les étudiant·es de l’Université Bretagne Sud de Vannes se sont prêté·es à l’exercice en prévision de la projection qu’ils proposeront dans le cadre du Mois du doc et sont allé·es à la rencontre d’usagers de la bibliothèque de Kercado à Vannes pour échanger avec eux. C’est super quand le film ouvre à ce genre d’expérience. La majorité des structures qui accueillent des projections dans le cadre du Mois du doc sont des médiathèques, il y a donc en plus un ancrage fort dans le contexte du Mois du doc. Mais nous sommes plus globalement très heureux de cette programmation 2022 et de toute la diversité du genre documentaire révélée à travers les 14 films défendus, des tranchées ukrainiennes aux salines de Guérande, du restaurant routier de la nationale 10 aux bidonvilles de Caracas…

Agnès Frémont et Emilie Morin – Comptoir du doc
J’aime tous les films ! Difficile de choisir ! Au niveau départemental, il y a le film Soy libre de Laure Portier, son premier long métrage sur la relation avec son jeune frère qui tente coûte que coûte de garder sa liberté. Un très beau film sur la tension affective qui existe entre un frère et une sœur, et le film est un prétexte à tenir ce lien si fort. 4 séances sont proposées et le film est en sélection également sur les Côtes d’Armor.
Un autre film coup de cœur qui fait l’objet d’une tournée de 5 projections en Ille-et-Vilaine est Silent voice réalisé par Reka Valerik qui nous fera l’honneur de sa venue. C’est un film puissant, tourné au plus près du corps d’un jeune tchétchène, ancienne star du MMA dans son pays qu’il a dû fuir à cause de son homosexualité. Le réalisateur suit les premiers moments d’exil de ce jeune homme, plongé dans un traumatisme mutique.
C’est un film qui sera accessible gratuitement sur KUB ensuite

Elen Rubin et Mathilde Boureau – Daoulagad Breizh
L’appel à films réalisé dans le cadre du Mois du doc permet de visionner un joli panorama du documentaire en Bretagne (et ailleurs!). Nos critères dans le Finistère reposent sur une production bretonne ou un·e réalisateur·trice résidant en Bretagne.
Cette année, un film a particulièrement retenu notre attention de par sa proposition esthétique et le traitement de son sujet. Il s’agit de Barataria de Julie Nguyen Van Qui.
Barataria, c’est le lieu que Don Quichotte décrit comme « la seule île entourée de terre ». C’est avec ce sentiment et cet imaginaire que Julie nous emmène au cœur d’un projet urbain érigé au milieu de nulle part, une ville aux promesses utopiques qui s’écroulent avec la crise immobilière.
Une ville filmée comme personnage, à l’intérieur de laquelle des humains vivent, rêvent leur propres utopies ou leurs désillusions. Avec habileté, on plonge dans le quotidien de quelques-uns de ses habitants où l’ennui vient redéfinir un étrange espace-temps, jeu habile de décalages, de contrastes, de composition, de montage qui nous interrogent sur notre manière d’habiter un lieu renfermé sur lui-même. Un huis clos qui parlera sans doute à plus d’un.e breton.ne éloigné.e des centres urbains. 

Maxime Moriceau – Ty Films
À Ty Films, nous avons été très touché par le travail de Zoé Chantre (Le Poireau perpétuel) qui réalise depuis bientôt 10 ans des films très personnels où elle nous partage ses questionnements de vie et sa sensibilité artistique. C’est un cinéma qui expérimente, qui est en recherche formelle permanente, guidé par un propos sincère et universel. C’est le deuxième film de Zoé qui, après avoir commencé par écrire une fiction, s’est tournée vers la forme documentaire, plus malléable au bricolage et au temps long qu’elle souhaitait y consacrer. Le film sera diffusé en Ille et Vilaine, en Morbihan et en Côtes d’Armor durant tout le mois de novembre.

Alors que l’on parle beaucoup ces temps-ci du rapport des spectateur·trices au grand écran, pouvez-vous nous parler de cela, de cette expérience collective du regard autour du documentaire, dans un cadre qui n’est pas à proprement parler celui du marché ?

Léa Pradon – Cinécran
Nous entendons beaucoup parler aujourd’hui de la désertion des cinémas, de la main mise des plateformes, du désamour des spectateur·trices pour le grand-écran. Nous entendons trop peu parler de toutes ces initiatives locales qui existent et qui invitent le spectateur à vivre un moment de cinéma, aux côtés d’inconnus, voisins d’une séance. De ceux qui se battent et s’efforcent de provoquer les rencontres autour d’œuvres de qualité et de ceux qui répondent présents à l’invitation. Ce qui est certain, c’est que nous avons raison de persévérer, de continuer à proposer ces temps de rencontre, partout, pour toutes et tous. Le cinéma est vecteur de lien social, nous devons nous emparer de ces possibilités pour offrir au public une expérience collective de qualité, intelligente, pertinente, ouverte, vivante. Inviter des réalisateurs et réalisatrices, des monteur·ses, des producteur·trices, des intervenant·es à venir jusqu’aux publics et non l‘inverse, c’est aussi ouvrir le champ des possibles, c’est faire vivre les oeuvres partout où des yeux et des oreilles attentif·ves sont prêt·es à recevoir la proposition et à répondre présent·es. Nous sommes des êtres sociaux et curieux, cette démarche ne peut être que positive.

Agnès Frémont et Emilie Morin – Comptoir du doc
Oui, le public qui vient voir les séances n’est un public forcément initié à ce genre cinématographique. Il garde cette curiosité et cette découverte et cela est apprécié par les invités. Le temps d’échange après les films est très important. Toutes les séances sont gratuites sauf dans les cinémas qui proposent un tarif préférentiel. Nous espérons que le public sera au rendez-vous! 

Elen Rubin et Mathilde Boureau – Daoulagad Breizh
Le Mois du doc, déployé dans des lieux très variés (médiathèques, bibliothèques, salles de cinéma, bars, salles municipales, centres culturels etc.) offre un spectre de diffusion inespéré pour les films. On va au plus près des spectateur·trices en travaillant avec des gens de terrain, proches de leur public, et on les encourage à diffuser des films qu’ils n’auraient peut-être pas eu l’opportunité de découvrir autrement. En cela, le Mois du doc semble être l’événement idéal pour proposer aussi des documentaires plus créatifs (le documentaire de création remet au centre l’imaginaire et la réflexivité de chaque spectateur).
Il y a aussi tout un dispositif d’accompagnement des séances. Le Mois du doc crée du lien entre spectateur·trices et auteur·es. La rencontre, l’échange, le débat sont au cœur des projections  Ainsi le collectif permet d’échanger sur les regards et l’expérience de chacun. Les discussions se prolongent souvent autour d’un pot. Cette convivialité, qui fait aussi partie intégrante du Mois du doc, favorise les échanges autour des films.
Plus largement, l’expérience collective réinterroge notre manière de regarder des films. Dans un flux d’images constantes, les projections du Mois du Doc revalorisent la posture active et consciente du spectateur : se déplacer à la médiathèque, bibliothèque, association du coin pour consacrer 2h (environ) de son temps au visionnement d’un film et à une rencontre (pas de films avant, pas de films après, et se laisser traverser par ce que l’on voit. On redonne au spectateur sa place active de réflexion de sens et d’émotions.

Maxime Moriceau – Ty Films
Le Mois du Doc est un événement qui célèbre le cinéma documentaire dans toute sa richesse et son ouverture sur le monde. Mais c’est aussi un moment ou les spectateurs et les spectatrices peuvent prendre la parole pour s’adresser directement aux artisan·es de ces films pour s’interroger et réfléchir ensemble à la façon dont sont conçues ces œuvres. C’est un vrai moment de partage où le public peut, d’une certaine façon, entrevoir les contraintes du genre mais aussi les exigences de ces cinéastes. La curiosité dépasse alors celle que l’on éprouve naturellement envers les protagonistes de ces films. Elle se tourne vers les différentes façons de faire du cinéma documentaire et c’est aussi comme cela que les regards s’affinent. Ces échanges sont une bonne part de l’ADN du Mois du Doc et nous sommes convaincus qu’ils participent au succès de l’événement.


Toute la programmation du Mois du Film Documentaire :

Cinécran > Morbihan

Comptoir du Doc > Ille-et-Vilaine

Daoulagad Breizh > Finistère

Ty Films > Côtes d’Armor

www.moisdudoc.com

📝 Retrouvez les Chroniques de Films en Bretagne MDD 2022 > ICI