Le Mois du Doc a commencé aux quatre coins de la Bretagne… grâce à Cinécran (56), Comptoir du Doc (35), Daoulagad Breizh (29) et Ty Films (22).
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Pour toute l’équipe de Films en Bretagne, c’est l’occasion de parler de quelques uns des films programmés… quelques uns des films que nous aimons fort… et de les partager avec vous.
Retrouvez cette page actualisée au fil des jours par nos différentes plumes…
chroniques du mois du doc #6
Les autres chemins
(Par Lubna Beautemps, chargée de l’accompagnement des professionnel·les de Films en Bretagne • novembre 2022)
Pour accompagner le Mois du doc, on nous a demandé, à l’équipe de Films en Bretagne, d’écrire sur des documentaires bretons diffusés sur le territoire. Mon choix s’est porté sur Les autres chemins d’Emmanuelle Lacosse. Ce film m’a particulièrement émue, je l’ai trouvé humble, doux et juste, en même temps qu’il a touché ma sensibilité cinéphile.
Les autres chemins est un film de boxe. La boxe et le cinéma ont une longue histoire touffue, avec de grands noms qui se sont plongés dans cet univers : Eastwood, Scorcese, Mann, Wise, Wiseman… Côté acteur·trice, Stalone, De Niro, Chaplin, Hilary Swank, etc. De très nombreux films ont vu le jour et constituent, certains le disent, un genre à part entière, tout comme les films de karaté.
Les autres chemins s’inscrit dans cette lignée, la scène d’ouverture nous projetant sur le ring, dans le combat, à l’image des films cultes comme Raging Bull de Scorsese ou Million Dollar Baby d’Eastwood qui débutent ainsi, nous plongeant directement dans une atmosphère, une ambiance.
Les films de boxe sont souvent les métaphores d’un combat plus intime et/ou plus politique.
Ici, le combat est celui de Francki dont le film s’attache à suivre la trajectoire. Francki vit dans une communauté de voyageurs yéniche – “les gens du voyage” – à Maurepas à Rennes. Il travaille dans le bâtiment, fait de la mécanique, il est ancien boxeur et entraineur à Maurepas et père célibataire qui élève seul sa fille unique.
Francki – et sa communauté – vivent à la marge de notre société, pris entre deux mondes et deux cultures, la leur, celle des gens du voyage, des nomades et la nôtre, les sédentaires avec des règles strictes et un cadre dont il est difficile de sortir alors même qu’on n’y a pas ou peu sa place.
L’adversaire est donc cette société qui devient de plus en plus écrasante, enfermante, absurde dans ce qu’elle induit (l’enfermement, la soumission, l’obéissance, le renoncement à ses rêves…) et avec laquelle Francki essaye de composer, lui qui a grandi dans une certaine liberté dont il aime se rappeler.
Le combat est d’abord intime, Francki essayant de combiner ses aspirations personnelles, ses projets, avec ses devoirs de père. Ses envies de voyage et de nomadisme entrent en conflit avec la nécessité de scolariser sa fille pour qu’elle puisse s’en sortir dans cette société. Le dilemme est important : suivre ses désirs ou se conformer au cadre dans l’espoir d’une vie meilleure pour sa fille.
Le combat est aussi politique, le film offrant une réflexion sur la manière de vivre ensemble, sur le cadre et sur la marge. Plusieurs moments de dialogue ponctuent le film, entre Francki et l’assistante sociale, ou entre lui et son père. Des échanges autour de l’école (l’école de la vie n’est-elle pas tout autant importante et riche que l’école républicaine ?), de ce qu’on transmet comme héritage, de se conformer ou non à la règle, autour aussi et surtout de la liberté.
Pour filmer et incarner cela, la caméra est souvent à l’épaule, comme pour mieux accompagner ses personnages en mouvement : ils bougent, s’entraînent, combattent, bricolent… Les plans sont parfois très proches, resserrés, pour créer une proximité, pour capter une intimité dans un moment charnière, mais la caméra ne les enferme jamais. Parfois, souvent même, Francki et tous les autres sortent du plan, y reviennent, repartent, ou ne sont pas filmés en entier, eux qui ne pourront jamais être totalement dans le cadre. Il n’y a pas de voix off, Emmanuelle Lacosse n’intervient jamais dans le documentaire, elle porte un regard pudique, respectueux.
Il y aurait encore tant à dire sur ce film riche et complexe dans sa structure qui nous propose des vrais moments de poésie et de philosophie et qui nous emporte sur d’autres chemins…
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LES AUTRES CHEMINS d’Emmanuelle Lacosse-Le Paven
Année : 2021 – Production : Les Films de la pluie
Synopsis : Francki appréhende sa vie comme sur son ring de boxe. Son parcours est celui d’un homme tiraillé entre un mode de vie reçu en héritage et les injonctions de la société. Voyageur à la croisée des chemins, Francki revendique sa différence et espère garder sa liberté. Alors il esquive et tente des équilibres précaires pour faire cohabiter ses deux mondes. Les problématiques s’enchaînent et l’obligent, les rêves changent, les espoirs restent.
Projections :
- 18 novembre 2022 à 20h Salle Jean-Baptiste Chevrel de Tresboeuf)
- 19 novembre 2022 à 20h Salle intergénérationelle de Baguer-Pican
- 20 novembre 2022 à 17h Cinéma Le Familial de Saint-Lunaire
- 22 novembre 2022 à 19h Salle du Conseil Municipal de Breteil
chroniques du mois du doc #5
« Allons devant, n’économisons jamais nos sèves »
L’enchanteur en chantier de Anne Burlot et Glenn Besnard
(Par Cécile Pélian, coordinatrice communication & réseaux de Films en Bretagne • novembre 2022)
C’est dans le village de Lizio au milieu de la campagne morbihannaise que vit Robert Coudray, dit le poète ferrailleur. Son univers est peuplé de machines mécaniques insolites, d’automates excentriques et poétiques, de maisons biscornues et colorées qui s’étendent sur 2 hectares dans un musée féérique et magique qui rappelle l’ambiance des films de Tim Burton.
Un décor né de son imaginaire et de ses passions, qui prend vie à travers les mots, les images et les matières qu’il aime façonner et partager avec ses semblables.
Robert Coudray est aussi réalisateur. Et père, « son plus beau métier ». Mais sa vie est frappée par le décès brutal de son fils en plein tournage de son deuxième long métrage, Heureux les fêlés*.
Sa douleur et sa colère vont trouver un exutoire dans la création d’une nouvelle œuvre d’art très intime. Un palais. « Je n’ai pas besoin d’un cimetière pour parler à mon fils ».
Une dernière demeure qu’il va lui construire, seul cette fois, quelques années après avoir accompagné son fils dans la réalisation de sa maison.
C’est parce qu’il dessine le portrait d’un personnage singulier, émouvant et pudique, un créateur homme de cœur, tour à tour Géo Trouvetou et Merlin l’enchanteur, que le film d’Anne Burlot et Glenn Besnard m’a beaucoup touché.
Les réalisateurs filment un homme qui agit avec poésie et se livre en toute humilité.
L’œil pétillant, le visage ouvert, le cœur énergique, Robert vit pleinement avec ce qu’il a à donner. Les auteur·es nous font découvrir ce qui l’anime : fabriquer du beau, du fort, du vivant, de l’extraordinaire, « du mal fait réfléchi, du brut harmonieux ».
Ce palais, son film, ses œuvres, ses textes, il ne les fait pas seulement pour lui mais aussi « pour que les gens voient, sentent, car c’est cela qui reste, au-delà des souvenirs ».
Guidé par une mystique laïque – « l’art sacré ce n’est pas faire des Jésus ou des Sainte Vierge, c’est de trouver le sacré en soi-même, le juste » – on le voit façonner et assembler de ses mains la pierre, la glaise, le ciment, la tôle d’une voiture, des bouteilles vides… Il travaille les matériaux pour vivre ce difficile deuil et trouver l’équilibre, celui qu’il manque de perdre en montant en haut de la tour du palais pour ériger une statue alors qu’il a le vertige.
Rien de l’arrête, cet homme va au bout de ses rêves…
*Heureux les fêlés, long métrage de Robert Coudray, en salles le 9 novembre 2022. Distribution Providence Films. En savoir +
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L’ENCHANTEUR EN CHANTIER de Anne Burlot, Glenn Besnard
Année : 2022 – Production : Les films de l’autre côté
Synopsis : A Lizio, village breton assis sur le granit, Robert Coudray est connu sous le nom de poète ferrailleur. Cet artiste magnétique et fantasque a créé un lieu onirique et féérique dans lequel il expose de manière frénétique ses automates et ses constructions. Le décès brutal de son fils aurait pu étouffer ses élans mais il n’a fait que renforcer son ardeur au travail et sa folie des grandeurs. Sa douleur est devenue un nouveau moteur à ses créations.
Projections :
- 12 novembre 2022 à 18h Kastell d’Ô à Uzel
- 23 novembre 2022 à 19h45 Le Ciné Roch à Guéméné-sur-Scorff
- 04 décembre 2022 à 16h Café Théodore à Trédrez-Locquémeau
Le film est également visible sur KuB > ICI
Site du Musée du Poète Ferrailleur
chroniques du mois du doc #4
Ma Nuit en Bretagne
(Par Stéphanie Coquillon, coordinatrice pédagogique de Films en Bretagne • novembre 2022)
Le mois du doc, c’est l’occasion de découvrir des films inspirés par ce qui fait le sel de la vie : des lieux, des gens, du réel. A voir ou à revoir, le 27 novembre à La Martyre (29) : Une nuit En Bretagne – Un nozvezh e Breizh par Bastian Gwillou.
Lorsque j’ai choisi de parler ici du film de Bastian Gwillou, réalisé en 2016, j’ai entendu peu de temps après une interview radio pour la promotion du film Plancha (émission La Bande Originale sur France Inter, mardi 26 octobre) tourné en partie à Nevez (29) : lors d’une discussion assez clichée sur une Bretagne de carte postale (vieilles pierres, superstitions, pluie…), à l’évocation d’une scène du film comportant un fest-noz, l’acteur invité affirmait qu’il n’y avait pas beaucoup de fest-noz en Bretagne (et non, ce n’était pas une allusion au Covid qui a sévèrement impacté le monde du fest-noz suite à l’interdiction de rassemblements et la mise en places des distanciations physiques si peu commode pour danser – il a néanmoins été contredit par le réalisateur). Mais une telle méconnaissance de la Bretagne et de sa réalité est finalement peu étonnante, pour qui voit parfois le territoire comme un décor, un “écrin” muet. Et l’on remarque souvent que si l’attrait pour des cultures et des langues lointaines est valorisé, leur maîtrise considérée comme une érudition, son pendant, la fine connaissance des matériaux linguistiques et culturels qui forment la France, est peu reconnu voire considéré comme un sous-savoir… la défense de ces trésors (qu’ils soient bretons, basques, corses ou maloya) étant souvent un peu regardé, finalement, comme une histoire de ploucs, et l’interview en question n’y coupait pas. Cette différence entre un “utilitarisme” des lieux et l’imprégnation physique qui en permet une connaissance intime est une des forces du film de Bastian Gwillou, qui sans verbiage nous “sert” des morceaux de cette nuit en Bretagne et nous laisse nous en emparer.
Le fest-noz a été popularisé dans les années 1950 pour recréer les rassemblements festifs de la société paysanne qui ponctuaient les journées de travaux collectifs : Un nozvezh e Breizh nous rappelle qu’il est vibrant et bien vivant. Ce film multi strates permet une plongée-découverte dans le monde des festoù-noz, et une rencontre avec des protagonistes qui plutôt que autoroutes culturelles prennent les chemins de traverse – voire coupent à travers champs ! Ils et elles, figures connues ou anonymes, font dans leurs témoignages le lien entre des composantes essentielles de ces fêtes : le plaisir de la danse, bien sûr, l’énergie des corps entraînés par les voix, mais aussi la lutte (pour la sauvegarde et la défense du local, en soutien économique à différents projets, contre des projets destructeurs du vivant… parce que ”faire un fest-noz pour faire un fest-noz, ça ne ramène personne” * !), l’entraide bénévole (préparatifs logistiques, caisse, organisation et programmation des chanteurs, rangements de fin de soirées… la vie du collectif qui se prolonge hors cadre), l’ouverture, la richesse des échanges entre les générations…
Du lien premier à la terre du paysan – comme dans de nombreuses cultures, le tassage de la terre étant une des origines de la danse – aux groupes formés par les plus jeunes, Bastian Gwillou nous entraîne dans plusieurs fest-noz qui se répondent, dessinant ainsi une nuit imaginaire de Lanrivain (22) à la ZAD de Notre Dame des Landes (44), où se mêlent danseurs chevronnés et débutants qui apprennent à danser. L’occasion de rappeler la dimension collective de la danse, dont l’âme – nous sommes prévenus dès le début du film – doit échapper à la monétisation !
L’occasion également pour un des participants à la fête, ému par ce chant, d’évoquer un ton de kan ha diskan comme un “pleuré des peuples” à la fois grave et joyeux, faisant le lien avec le chant réunionnais… occasion enfin, pour le spectateur du film, de se remémorer combien être conscient de sa culture et connaître son histoire est une richesse inouïe, source de partage.
Bâti comme un road movie dans le temps d’une nuit et l’espace d’une région, empreint d’humour parfois caustique, Un Nozvezh e Breizh souligne l’engagement physique des participants, venus pour le plaisir de chanter, de danser et d’être là ensemble : « le fait de danser avec tout le monde, et pas seulement avec tes copains ou danser tout seul, (…) ça fait pas la même chose sur comment on s’envisage dans un village, dans le pays où tu habites… danser avec tout le monde c’est pas rien »… Un lien qui est musical, festif, mais aussi humain et politique. Le fest-noz dans la Zone à Défendre de Notre-Dame des Landes nous rappelle que faire de l’écologie sans protéger également les écosystèmes constitués par les cultures locales est illogique : l’Unesco a d’ailleurs inscrit en 2012 le fest-noz au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une humanité en filiation, où le chant est un espace partagé liant les générations, une façon touchante aussi de “prendre soin de” (cf la très belle scène de fermeture), et peut-être en filigrane de défier une certaine solitude moderne.
Finalement, le fest-noz est en lui-même une Zone à Défendre : à l’image de la victoire des zadistes face à la destruction du vivant, espérons que le fest-noz continuera à résister à l’uniformisation des pratiques festives et culturelles et que de nouveaux danseurs et nouvelles danseuses viendront s’essayer à cette transe collective et musicale pour en découvrir la joie !
* les citations sont issues ou traduites du film.
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UNE NUIT EN BRETAGNE – Un nozvezh e Breizh de Bastian Gwillou
Année : 2016 – Coproduction : Poischiche Films – France 3 Bretagne, TVR, Tébéo, TébéSud, en partenariat avec BCD
Synopsis : Regard singulier sur le fest-noz en tant que réalité culturelle d’aujourd’hui. Notoires ou anonymes, les personnages du film se livrent sans fard et transmettent leur vision du fest-noz, avec sincérité, un brin d’amusement parfois mais toujours avec beaucoup de passion. Au détour d’un cours de danse improvisé ou d’une réflexion sur l’évolution sociologique des publics, le réalisateur capte les confidences de tel chanteur, musicien ou danseur, sur la part de rituel et d’inédit que contient chacune de ces fêtes de nuit. Le film nous donne à voir, par son art de la mise en scène, une pratique culturelle qui a su se réinventer et s’adapter depuis plus d’un demi-siècle en Bretagne.
Image : Julien Bossé • Son : Jean-François Briand • Montage : Frédéric Bonnafous
Projection :
- 27 novembre à 16h Salle Pierre Abéguilé à La Martyre (29)
En prolongement, quelques ressources pour en savoir plus et s’inspirer :
- La présentation du film par Bastian Gwillou pour KUB
- Un podcast : Musiques populaires, une épopée française, épisodes 1 à 3 (France Culture)
- C’était un Québecois en Bretagne, madame, un film de Pierre Perrault, produit par l’Office National du Film du Canada
- J’ai chanté, j’ai déchanté, je rechante – un film des cinéastes québecois André Gladu et Michel Brault
- La page de l’association Tamm Kreizh pour retrouver tous les fest-noz près de chez vous, le Festival Yaouank (avec son fest-noz géant) à Rennes du 3 au 19 novembre et bien sûr les 50 ans de Dastum à Rostrenen : journée d’échange sur le fest-noz et ciné-débat avec images d’archives vendredi 25 novembre et « grand fest deiz ha noz » le samedi 26 novembre !
chronique du mois du doc #3
LES CHARBONS ARDENTS, peut-on transgresser les masculinités ?
(par Anne Cé Pepers • novembre 2022)
C’est sur les notes quelque peu mélancoliques d’Ibrahim Maalouf que naissent les premières images d’Hélène Milano portées par Jérôme Olivier, des images contemplatives et viriles. Le ciel bleu, un porte conteneur, des grues qui semblent danser en transportant de lourdes pièces métalliques. En douceur, la tonalité est posée. “Ils ont entre 16 et 19 ans. ils vivent dans les Ardennes, en région parisienne et dans le Midi de la France”. “Ils” ce sont quinze jeunes hommes, quinze adolescents, quinze garçons. C’est Aymen, Bamba, Théodore, Sabri, Yacine, Willem, Elton, Patrick, Seidou, Salim, Ethan, William, Emmanuel, Maxence et Lucas.
Section mécanique moto, Maintenance des équipements industriels, Section métallerie, Section électrotechnique, Section installation des systèmes énergétiques et climatiques, Section mécanique automobile, Section fonderie, Section plasturgie, ce sont les voies d’études dans lesquelles ils sont, dans lesquelles ils se sont retrouvés.
C’est ainsi que nous les rencontrons, dans l’univers professionnel apprenant, celui qui enlève une part d’insouciance à un âge où l’on se découvre à peine. Ce monde de règles, de force, d’argent, et ici d’hommes.
Durant une heure et demi, nous les observons évoluer dans quatre environnements, dans quatre postures : le travail, la salle de classe, entre amis et individuellement face caméra. Ces quatre espaces offrent un portrait finement dressé des problématiques d’un adolescent vivant dans une cité, un village, dans une période sociétale d’interrogation des masculinités. Nous voyons des adolescents qui cherchent à se construire, se créer, à travers leur éducation, la religion, la rue, leur pessimisme sur le fait de trouver un travail convenable, la masculinité hégémonique ou du moins complice. De régions, cultures et âges différents, ils portent cela en commun : peut-on transgresser le genre ? Qu’est-ce qu’être un homme, dans le travail, dans les relations entre hommes, dans les relations familiales, dans les quartiers, dans les relations aux femmes, dans sa propre identité ? Il y a un morceau de Luidji qui a fait écho, parmi plein d’autres morceaux de rap, lors de mes multiples réflexions post visionnage, il s’agit de Foufoune Palace et particulièrement ce passage du refrain “La famille avant l’oseille, l’oseille avant les salopes”. Cette phrase relativement familière résonne toutefois grandement avec le fil conducteur de ces quinze garçons : le respect de la famille, le respect de soi, bien gagner sa vie est un but affirmé afin de ne pas reproduire un schéma, l’ambivalence face à la femme. Ce documentaire offre à voir des principes de vie très affirmés, qui ont été inculqués par le père ou les grands de la cité. Ces principes sont mis en lumière à travers la religion qui pour beaucoup est un chemin de vie, un cadre donc.
Je ne me souviens pas avoir eu de principes aussi fort à seize ans, mes principales préoccupations étaient de savoir comment me maquiller, réussir à voir mon petit ami le plus possible et à persuader mes parents que non je n’étais pas ce qu’ils voulaient – et j’ai mis seize ans de plus à l’affirmer, malgré le fait d’avoir eu ma fille à dix-huit ans. Et jamais je n’ai rencontré de garçons, dans les établissements privés où j’étais, qui portaient de tels principes de vie, une telle dureté en eux. Autre période, autre environnement ? Car ces garçons sont extrêmement durs envers eux-mêmes. Ils démontrent, sans s’en rendre compte et notamment du fait des multiples voix, à quel point ils vivent sous tension permanente. L’honneur, les codes sont véritablement leurs cris. De cette dureté envers eux-même découle une vision de l’homme, de l’amour, et de leurs corps. Leur corps est leur première armure. Hélène Milano met en scène William dans une chorégraphie sportive d’une minute trente absolument impressionnante. Ce jeune homme de seize ans qui a quitté le Cameroun à douze ans a un physique à faire pâlir des rugbymans. Les autres veulent être regardés par les filles lorsqu’ils s’exhibent dans la mer, ils veulent que leurs armures soient reconnues et désirables.
L’homme est dominant, dans tous les aspects de sa vie, l’égalité est un sujet mais il doit rester marginal dans certaines situations. Et pourtant. Et pourtant les réflexions s’ouvrent, bien qu’ambivalentes, pour aboutir sur le questionnement de ce poids de la masculinité, des masculinités.
“ Pourquoi les hommes ont-ils toujours pris ce rôle ? On doit être un mec costaud mais on sait pas pourquoi.”
“ Ça se passe de père en père, c’est comme ça.”
“ Dans la tête j’aimerai voir l’égalité, mais on m’a bloqué.”
“ C’est plus simple, ça va pas changer du jour au lendemain
Mais ça serait bien que ça change, pour les filles.”
Pour les filles ?
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LES CHARBONS ARDENTS d’Hélène Milano
Année : 2019 – Production : Ysé Productions
SYNOPSIS : Que signifie devenir un homme aujourd’hui ? Ils ont entre 16 et 19 ans, grandissent en lycées professionnels et interrogent les normes et les codes de la virilité : la place sociale et le monde du travail qui les attend, les relations entre garçons, l’amour. Du social à l’intime on est immergé dans la construction du masculin, dans la « fabrique du garçon ».
Projections :
- 15 novembre 2022 à 20h Le P’tit bar du Contrevent (Tréguidel)
- 16 novembre 2022 à 19h30 Médiathèque St Yves (Saint Brieuc)
- 17 novembre 2022 à 20h30 Centre culturel « Le Sillon » (Pleubian)
Chroniques du mois du Doc #2
MISSION E-TY met en images la Bretagne avec amour
(par Alan Scaviner • novembre 2022)
Le mot amateur est emprunté au latin amator qui signifie « celui qui aime ».
Mission E-TY est un film composé d’images tournées par des personnes qui aiment, qui aimaient filmer. Des amateur·trices dont les images sont archivées à la Cinémathèque de Bretagne.
Et c’est là toute la richesse du film de Marie Hélia, monté par Emmanuelle Pencalet, que nous avions d’ailleurs eu le plaisir de recevoir au Cinéma Arletty de Saint-Quay-Portrieux lors de la 21e édition des Rencontres de Films en Bretagne. Elles nous avaient parlé, justement, du travail de montage.
On dit souvent que le montage est la seconde écriture d’un film. Ici, il en est la première.
Mission E-TY nous livre une histoire de la Bretagne droit dans les yeux. À l’instar de ce photogramme isolé du film entre un jeune agriculteur et un vieux monsieur dont la fumée de cigarette semble laisser échapper une partie de l’histoire de la Bretagne.
Mais les images sont là pour conserver cette histoire ou du moins une partie. Conserver des souvenirs de la résistance à Plogoff, des premières grèves ouvrières, de l’industrialisation agricole. Tout comme ces images conserveront les souvenirs de demain sur les algues vertes, entre autre.
« On peut appeler ça le progrès si on veut mais enfin, on reste quand même drôlement les esclaves de la machine. » Un agriculteur s’adressant à la caméra. Il est au travail sur son tracteur.
Mission E-TY est un film, aussi et surtout, qui agit en miroir de nos sociétés contemporaines.
De manière frontale d’abord, où les rares paroles nous parlent du rapport que l’humain entretient avec la machine, déjà à l’époque.
On entend notamment en voix off : «La fragilité de la sardine s’accommode mal à la brutalité aveugle de la machine», ce qui fait forcément écho à nos sociétés où le tout automatisé, la commande vocale, les objets dits intelligents et connectés régissent nos interactions et dont on se passerait bien aujourd’hui pour plus de contact humain.
Si le film est très silencieux, il nous plonge dans une transe nourrie par un flux d’images rythmées par les sons des vagues et des premières machines industrielles. On ne peut alors s’empêcher de penser aux états de transes collectives sans doute recherchées dans les cercles de danse bretonne d’antan et d’aujourd’hui.
Car Mission E-TY filme le mouvement. Ici tout en est question. L’ouverture et la fermeture du film nous le montre bien : les ballons dansants au vent et la main du jeune enfant se laissant porter au courant de la mer. Ces images viennent envelopper celles des nombreux mouvements sociaux, des bateaux de pêche sur la mer ou encore des mains des ouvriers et ouvrières.
Et puisque nous sommes à présent constamment envahis d’images qui nous empêchent, souvent, de marquer une pause, de prendre du recul, pourquoi ne pas en profiter comme le fait très justement Mission E-TY, pour questionner notre rapport au temps et surtout à la lenteur, et nous inviter à regarder les traces du passé pour mieux appréhender celles que nous laisserons demain.
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MISSION E-TY de Marie Hélia
Année : 2022 – Production : Paris Brest productions
Synopsis : Mission E-Ty est un concentré de Bretagne composé d’images inédites de la Cinémathèque de Bretagne. Le film, 63 minutes d’images, de la plus ancienne 1908 à aujourd’hui, dévoile les richesses d’un territoire et de ses habitants; travail, culture, vie quotidienne, Bretagne des villes et des champs. La vie ordinaire du pays croise les grands événements nationaux et internationaux. Des paysages à nos états d’âme, ce film projette une vision de nous, population bretonne, en vie sur notre territoire. Filmées par des cinéastes amateurs, ces images sont le reflet de mondes disparus mais encore familiers. L’avenir a une mémoire, ce film réunit des souvenirs, des fragments de vie, il propose à tous un voyage spatio- temporel unique. Mais ce n’est pas tout ! Le film sera aussi envoyé dans l’espace. Ce sera la première fois que des images de Bretagne seront envoyées dans la galaxie.
Projections :
- 08 novembre 2022 à 20h Cinémathèque de Bretagne (Brest)
- 12 novembre 2022 à 15h Salle Multi-Activités (Cléden-Cap-Sizun)
- 18 novembre 2022 à 20h Médiathèque Jules Verne (Plouider)
- 19 novembre 2022 à 20h30 Mairie de Bourg-Blanc (Bourg-Blanc)
- 23 novembre 2022 à 18h MJC Le Sterenne (Trégunc)
- 24 novembre 2022 à 20h Cinéma Agora (Châteaulin)
Chroniques du mois du Doc #1 • 3 novembre 2022 • cinéma Arletty, Saint Quay Portrieux
A propos de Flee de Jonas Poher Rasmussen
(par Franck Vialle, directeur de Films en Bretagne • novembre 2022)
Pour évoquer ce film, j’ai souhaité adressé un message à Carine Faure, programmatrice du cinéma Arletty à Saint Quay Portrieux…
Chère Carine,
Nous nous faisons, chez Films en Bretagne, une fête comme chaque année pour Le Mois du Doc… Ça commence cette semaine, notamment à Saint Quay Portrieux.
Tu programmes Flee de Jonas Poher Rasmussen au cinéma Arletty le 3 novembre… Je ne peux m’empêcher de profiter de cette occasion pour partager plusieurs choses qui me tiennent particulièrement à cœur (et je me réjouis que ce soit un peu grâce à toi !), avec toi, avec Saint Quay, avec Vivement Lundi ! aussi…
Je me souviens de la préparation des Rencontres de Films en Bretagne 2021 : la perspective éventuelle de projeter Flee dans le cadre de la programmation de cette 21e édition était une chose à laquelle tu tenais fort… nous n’y sommes malheureusement pas arrivés, l’agenda de diffusion/sortie du film ne le permettait pas, entre Arte, les Oscars, tout ça (!).
Pas mieux en cette rentrée, la diffusion en première fenêtre sur Arte, avec une disponibilité de retrouver le film sur la plateforme Arte.tv, a joué quelques tours à celles et ceux qui attendait de découvrir le film sur grand écran, de même qu’à celles et ceux qui, comme moi, l’avaient déjà vu sur grand et petit écran (!).
Le voilà dans ta salle ! Avec ton envie intacte de le partager avec tes spectateurs et tes spectatrices… et ce bel engagement est une émotion vraie, y compris pour moi… En ces temps où le lien des cinéphiles et des salles est questionné, débattu non sans contradictions, ce bel engagement traduit des convictions, des désirs, des implications personnelles… tout un tas de choses que nous savons précieuses, essentielles. Nous aimons travailler ensemble chaque année pour les Rencontres, ce n’est sans doute pas pour rien…
Mais parlons du film… Parlons de Flee… parce qu’au fond, de notre côté, nous avons réussi à parler plusieurs centaines de fois de son beau parcours, en festival, en salle, de ses prix, de toutes ces dates de diffusion, des membres de l’équipe… mais nous n’avons jamais parlé du film, de ce qu’il raconte du monde, du cinéma, d’une vision du monde.
Flee relate le parcours d’Amin… Il a dû fuir l’Afghanistan à la fin des années 80 alors qu’il n’était qu’un enfant. Il raconte son « histoire vraie » 30 ans plus tard. Parce que la nature documentaire du film est bel et bien là, estompé un temps par la forme de l’animation… Mais on comprend vite pourquoi c’est un film d’animation. La forme protège le fond : la reconstitution, la force des situations, la bonne distance des événements ET le protagoniste principal. Il n’est pas question de milieux interlopes, mais d’une « normalité » trouvée au Danemark, grâce à une faille du système. Un combat pour la liberté silencieusement mené, après moultes péripéties.
Documentaire tout d’abord… ces images réelles sorties dans les années 80, montées sur le tube de A-ha « Take on me ». C’est certainement un phénomène de génération, mais m’y voilà, le choc d’identification, ou plutôt de proximité, est immédiat. Eu égard au fond du film (un exil, une fuite), et à sa forme (une apparente légèreté, légèreté complexe, mais légèreté tout de même), je ne peux m’empêcher de penser à Genet qui écrivait sur Alberto Giacometti soulignant l’inquiétante étrangeté de l’œuvre mêlée à sa singulière familiarité. Au sens propre comme au figuré, quelque chose qui nous touche, au fond du ventre plus qu’en plein cœur d’ailleurs (légèreté complexe, disais-je).
Amin témoigne, face caméra, comme il le ferait dans un documentaire « classique »… L’animation amène le reste, sans se soustraire le moins du monde à la réalité du personnage, son intimité, sa trivialité… et un humour et une sérénité construits pas les années. Le récit de l’exil croise celui d’un « chemin vers l’amour », le combat pour la vie croise le combat de vivre l’amour avec un homme. Deux combats menés de front par le film, avec autant de simplicité que d’honnêteté, avec peut-être la candeur de ceux qui refusent de ne pas croire en l’être humain… Et pourtant, cette candeur ne fait pas abstraction de sa propre lâcheté parfois (ne pas agir parce qu’on a peur lorsque les policiers russes s’apprêtent à un viol, se taire lorsqu’on a peur de s’engager dans une vie de couple). Elle ne cache pas son intimité la plus triviale (tenir Jean-Claude Van Damne pour idéal masculin, tout de même !). Elle n’a jamais peur des silences.
Ce film est tout simplement bouleversant par le parcours de vie qu’il retrace, et par une simplicité qui parle à tout le monde, sans pour autant prendre qui que ce soit en otage. Ce film est d’abord une bonne histoire. Qu’elle soit vraie n’est pas secondaire, mais constitue plutôt une deuxième « couche » de récit… Avec un « twist » final qu’il serait criminel de révéler, mais qui tient du miracle, troisième couche. Un miracle vrai, lui-aussi… quatrième couche.
Flee, Amin, Jonas Poher Rasmussen et tous les gens qui ont porté ce film portent également une vision du monde, celle d’un monde « possible » malgré ses cruautés ! Et c’est bien là un objet de fierté – un COMMUN – dans lequel il est si bon de se retrouver !
A l’heure où d’autres films produits ou coproduits en Bretagne s’appliquent de la même façon à porter une vision du monde – nous aurons l’occasion de parler plus tard et plus en détail de Nayola, Interdit aux chiens et aux italiens ou Les autres chemins – ce COMMUN est essentiel parce qu’il nous réunit. Laissons la petite musique de « ce que peut le cinéma » continuer de nous traverser…
… Tout ça pour t’écrire, chère Carine, à quel point je suis heureux de savoir ce film dans ta salle jeudi soir, de profiter de l’occasion pour pouvoir dire à son producteur comme un cri du cœur « mais quel putain de film ! » parce que l’émotion physique du premier visionnage à Annecy est toujours palpable aujourd’hui pour moi, d’imaginer aussi qu’il continue d’écrire l’histoire qui nous lie à toi et à Saint Quay…
Je t’embrasse,
Franck
Synopsis : Le film raconte l’histoire vraie d’Amin Nawabi, réfugié afghan. Il raconte son enfance heureuse à Kaboul, l’arrestation de son père sous le régime communiste, puis sa disparition. Lorsque la guerre s’installe en Afghanistan, le frère ainé d’Amin s’enfuit pour éviter la conscription. Le reste de la famille quitte l’Afghanistan pour la Russie lors du retrait des troupes soviétiques en 1989.
En Russie, la famille, en situation irrégulière, est harcelée par la police, et ils souhaitent rejoindre le frère ainé qui vit en Suède. Il faut pour cela réunir une somme importante pour payer les passeurs. Les deux sœurs d’Amin rejoignent la Suède après une traversée traumatisante de la mer Baltique. Amin, sa mère et son autre frère échoue lors d’une première tentative pour traverser la Baltique. Leur bateau prend l’eau, et l’équipage d’un paquebot qu’ils croisent contacte la police estonienne qui les renvoie à Moscou.
La famille décide ensuite qu’Amin fera une nouvelle tentative, avec un passeur capable de lui procurer un faux passeport et de le faire voyager en avion. Le passeur envoie Amin au Danemark et non en Suède, lui ordonne de détruire son faux passeport à l’arrivée et de prétendre que toute sa famille est morte. Il bénéficie du statut de mineur non accompagné, mais est séparé de sa famille et craint le renvoi si on découvre qu’il a menti…
Scénario et Réalisation : Jonas Poher Rasmussen • Direction artistique : Guillaume Dousse • Animation : Kenneth Ladekjaer, Erik Schmidt, Stine Marie Buhl, Andrei Sitari, Cyrille Chauvin, Ilan Wexiø Hatukah, Michael Helmuth Hansen, Nathan Otaño, Pierre Rütz, Laura Büchert Schjødt, Mette Ilene Holmriis, Pernille Kjaer, Thibaud Petitpas et Théo Boubounelle • Décors : Simon Lee • Montage : Janus Billeskov Jansen • Musique : Uno Helmersson • Son : Frederik Jonsäter et Edward Björner • Production : Charlotte de la Gournerie, Monica Hellström, Jean-François Le Corre, Mathieu Courtois, Maria Ekerhovd et Charlotte Most • Sociétés de production : Sun Creature Studio, Final Cut For Real, Vivement Lundi !, Mer Films, Most Film, VPRO, VICE Studios, Ryot Films avec la participation d’Arte France • Distribution : Haut et Court