MIGNONNES de Maïmouna Doucouré : de leur passage au Groupe Ouest aux César


Mignonnes, premier long-métrage de Maïmouna Doucouré, est nommé aux César 2021 dans la catégorie «Premier film». Soutenu par les Régions Nouvelle-Aquitaine et Ille-de-France, une part de son histoire s’est construite en Bretagne. Pour l’écriture de ce film, Maïmouna Doucouré a participé en 2016 au workshop «Scénario : puissance & âme» de Groupe Ouest Développement.  L’année suivante, pour ce même projet de film, elle était consacrée au Festival de Sundance. Comment accompagner de jeunes auteurs dans leur parcours de développement ?

Entretien croisé avec Bénédicte Mellac, responsable Formation et Développement au Groupe Ouest, et Christophe Lemoine, scénariste et consultant sur la résidence suivie par la réalisatrice.

Quelle est la philosophie d’accompagnement des auteurs du Groupe Ouest ?

CL : En résidence, l’auteur est pris dans un mouvement d’écriture. Le calendrier soutenu, la dynamique collective… Le processus secoue mais il y a toujours une bienveillance générale. En tant que consultant, on accompagne mais on ne dirige pas. On peut avoir des convictions passionnées mais on laisse toujours l’autre maître de son projet. Par ailleurs, deux consultants peuvent ne pas avoir le même regard, voire même être en contradiction. Ce qui est important, c’est que cette contradiction aie lieu devant l’auteur qui, lui, fera le choix de ce vers quoi il s’orientera.

BM : On met en place un dispositif, avec des outils et des cerveaux humains – les consultants ! – qui sont là pour les auteurs. À chacun de s’en saisir. Les projets sont à des stades de développement différents. Les auteurs attendent des choses différentes. On va leur dire qu’il y a tel et tel chemin, et ils s’emparent de celui qu’ils veulent. On se met d’accord sur les processus. Le résultat, c’est l’auteur.

Sur quels critères les auteurs et les projets de film sont-ils sélectionnés ?

BM : Généralement, sur ce type de dispositif, on reçoit des candidatures. La sélection se fait sur le profil et les attentes des auteurs. On fait attention à ce qu’ils aient compris où ils arrivent mais qu’ils aient aussi un parcours où ils vont profiter de ce qu’on met en œuvre. Le cas de Maïmouna est différent. Elle a profité d’un dispositif de Bourse à la Résidence qui venait d’être mis en place par le CNC et qui accompagne des auteurs en plein développement. Les auteurs font leur choix parmi toutes les résidences d’écriture qui existent, répertoriées par le CNC. Maïmouna a été accueillie dans ce cadre-là.

CL : On a vite senti, au fur et à mesure des résidences, l’importance de l’hétérogénéité des groupes. Pour constituer un bon groupe – dans le sens où un maximum de projets va profiter de la dynamique du groupe – ça fonctionne encore mieux avec des auteurs différents dans leur univers mais également dans là où ils en sont dans leur parcours. Avoir des gens un peu plus expérimentés avec des gens qui débutent, ça peut bien fonctionner. Pour moi, Maïmouna c’est un groupe, dans lequel il y avait Maïmouna au milieu de tous ces autres auteurs. Quand je pense à eux, je pense à tout le groupe.

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Maïmouna Ducouré en résidence au Groupe Ouest 2016 © Brigitte Bouillot

 

Les scénaristes-consultants sont-ils associés aux sélections ?

BM : On travaille avec les scénaristes-consultants une fois les projets sélectionnés.

CL : C’est très important de ne pas savoir qui s’est présenté. Il n’y a aucun préjugé. On découvre les projets au moment où on va accompagner la résidence sur les dates qui nous sont proposées.

Quel est le rythme d’un tel workshop ?

CL : Quand Maïmouna est venue en résidence, les auteurs de projets de longs-métrages venaient sur trois semaines de présence effective, entre septembre et décembre 2016. En arrivant, certains auteurs peuvent avoir écrit une version avec une continuité dialoguée mais, en général, on repart d’un synopsis développé. Cela permet de réinterroger les bases du projet : le cœur de récit, les fondamentaux, le moteur dramatique initial… Avec Maïmouna,  on a essentiellement travaillé sur un scène à scène.

BM : L’accompagnement en résidence se fait sous forme de brainstorming. Les rendez-vous sont très intenses : temps collectifs, moments en sous-groupes, moments individuels. Au Groupe Ouest, ce n’est pas vraiment de l’écrit. C’est de la conception. Christophe était accompagné de Nicolas Buenaventura, conteur, scénariste et réalisateur colombien francophone.

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© Brigitte Bouillot

De leur rencontre sont nées des propositions riches et expérimentales, telles que de nombreuses variations de « Raconte-moi » : des vidéos où les auteurs doivent raconter, en moins de 5 min, l’histoire de leur film – début, milieu, fin – comme s’ils la racontent à quelqu’un. Ce n’est pas un pitch dans le sens où on n’essaie pas de séduire. L’oralité permet de tester tout de suite ce que l’histoire provoque sur cette personne. Par ailleurs, les auteurs débutent souvent leurs projets par le début et n’arrivent pas à aller jusqu’à la fin. Là, dès le début de la première semaine, on leur demandait également de raconter leur histoire par la fin, puis de revenir au début. On leur demandait aussi de raconter à la première personne, de faire des « Raconte-moi » croisés, c’est à dire de raconter les histoires des autres…

CL : Les consultants sont là pour gérer la multiplicité des retours, aider l’auteur à les hiérarchiser et mieux comprendre les priorités. En cinq jours, ça va très vite. Un temps de décantation est nécessaire en sortie des ateliers. Les auteurs ont besoin de digérer, de retrouver leur rapport un peu plus solitaire au projet… et de voir ce qui reste.

BM : Entre chaque session, les auteurs ont un mois pour travailler sur de nouveaux textes à rendre en amont de la session suivante. C’est le travail de mise en forme, de reconstruction, où l’auteur a le temps d’écrire.

 

Dans quel état d’esprit était Maïmouna à son arrivée… et en repartant ?

CL : Maïmouna avait déjà une très grande maturité. Son court-métrage, Maman(s), avait reçu le prix du Jury à Sundance. Tout le long de la résidence, elle gardait la tête froide et restait exigeante sur son propre travail.

BM : Quand Maïmouna est venue, on savait que le film allait se faire. Elle avait son producteur. Des gens l’attendaient. C’était évident.

CL : Le Groupe Ouest est intervenu à un moment charnière dans son écriture mais il y a encore eu des étapes de développement. Maïmouna a également été suivie par d’autres consultants. Le développement d’un scénario est long, de 2 à 5 ans. Les jeunes auteurs qui commencent à être repérés se retrouvent à passer entre diverses résidences. Ce parcours n’est pas forcément facile. Maïmouna a su aller chercher ce dont elle avait besoin.

BM : Elle m’a dit, une fois le film terminé, que le développement avait été précieux : elle a réussi à en sortir un scénario solide qu’elle a pu financer rapidement. Elle était contente de ce travail. Groupe Ouest en faisait partie. Un timing parfait d’histoire de développement de film, ça n’arrive pas tous les jours !

CL : À côté de cela, beaucoup de projets ne vont pas se faire. Certains auteurs reviennent en résidence, pas forcément avec les mêmes projets que la première fois. On doit développer un certain nombre de projets pour que de temps en temps l’un d’entre eux puisse voir le jour. C’est la réalité du métier de scénariste. On garde toujours en tête qu’un projet qui ne se fait pas, ce n’est pas grave. Son auteur va, fort de ce qu’il a appris, pouvoir grandir ailleurs, et potentiellement sur d’autres projets.

Propos recueillis par Marion Geerebaert

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© Brigitte Bouillot
MIGNONNES de Maimouna Doucouré
1h 35 / Drame, Comédie / 2019
Sortie en France le 18 août 2020
Avec Fathia Youssouf, Medina El Aidi, Esther Gohourou…
Synopsis : Amy, 11 ans, rencontre un groupe de danseuses appelé : « Les Mignonnes ». Fascinée, elle s’initie à une danse sensuelle, dans l’espoir d’intégrer leur bande et de fuir un bouleversement familial…
Production : Bien ou Bien Productions
Coproduction : France 3 Cinéma
Distribution : Bac Films
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