Il y a cette maison où le temps semble s’être arrêté, il y a ce film où le temps prend son temps et où même le fouillis est à sa place, il y a cette femme un rien joueuse et en pleine jeunesse, il y a enfin cette auteure dont l’oeil joyeusement brillant parvient à partager tout ça, en montrant les coutures, rajoutant à la malicieuse complicité que le film entretient avec celui ou celle qui regarde.
Dans la série des Portraits de Mellionnec, « Madame Lulu » est un petit bijou de 16 minutes réalisé par MORGANE LINCY-FERCOT.
Brêve chronique du fond du coeur…
Alors voilà… Il se trouve que nous avons eu l’occasion de côtoyer MORGANE LINCY-FERCOT, autour de conversations sur la langue bretonne, en marge du Festival de Douarnenez, et surtout à l’occasion d’une formation « Affirmer son dispositif documentaire » que portait Films en Bretagne en 2022 aux côtés de Ty Films à Mellionnec… Notez qu’à partir du moment où on pose cela, on se pose dans la droite lignée du film Madame Lulu qui d’emblée montre son dispositif et ses coutures… Et que c’est bien là la force de ce petit bijou plein de grâce : la force du réel, le réel que l’on fabrique dans la relation, ces situations que l’on crée dans un film, pour mieux rendre hommage au réel.
Morgane s’applique à prendre un moment en compagnie de Lucienne, mais aussi avec nous, dans un portrait sensible où plusieurs couches de dispositif jouent leur rôle : des situations que l’on crée tout en disant qu’elle sont fabriquées à l’image (souvenez-du magnifique Oncle Yanco d’Agnès Varda !), un temps et un rythme qui se créent avec le personnage, la langue bretonne qui rajoute en complicité entre la filmeuse et la filmée, quelques instants de la vie d’avant qu’on partage assez vite au coin d’une table, des moments d’un quotidien paisible et affairé qui marquent la journée, et les confidence quant aux secrets de sa longévité…
Madame Lulu « a eu une enfance malheureuse, elle n’aura pas du venir au monde – elle était une de trop », dit-elle… avec cette discrétion et cette modestie qui la caractérisent, elle aura pris une revanche sur la vie, avec sa maison, son jardin luxuriant et foutraque, sa douce voix qui chante. Morgane assemble ces instants fugaces avec grâce, où plus que de raconter une vie, c’est une ancienne qui se raconte avec tout ce qu’il y a d’important.
Il y a quelque chose d’heureux quant à éprouver ces sentiments : celui de connaître ces personnes (et celle qui est filmée et celle qui filme), celui de mieux connaître une terre que l’on côtoie, celui de partager un territoire de cinéma.
Si vous voyez ce film programmé dans un festival ou une séance, précipitez-vous… Moi, j’attends le prochain film de Morgane avec impatience !
Franck Vialle
LE FILM
Lucienne, 94 ans, est une femme du pays restée au pays. Haute comme trois pommes et toute menue, elle porte des chemises fantaisie et a une jolie canne en bois. Au cœur de son jardin « fouillis », accompagnée de son fidèle chat Bambi, elle décapite elle-même son bois de chauffage à la hache avec une habileté saisissante. Son secret de longévité ? Un verre de Malaga et quatre huîtres tous les jours.
2023 • Documentaire • 17 minutes
Écriture et Réalisation : Morgane Lincy-Fercot • Image : Nedjma Berder • Son : Pierre-Albert Vivet • Montage : Anaïs Leroux • Production : Ty Films
L'Autrice : Morgane Lincy Fercot
Née en Bretagne, Morgane Lincy Fercot a réalisé toute sa scolarité en breton, étudié le journalisme d’images et de sons et le cinéma documentaire.
Après une première expérience en tant que journaliste reporter d’images au sein de diverses rédactions, elle se lance dans la réalisation d’une web-série documentaire (Yezhoù) sur les langues minorisées en Europe (diffusée au cinéma au Pays-basque, en Bretagne, à Berlin et à Temuco au Chili). Suite à cette expérience, elle travaille pour des festivals de cinéma documentaire (Montréal, Berlin), au sein d’une école populaire de cinéma (Santiago du Chili), puis d’un média participatif européen multilingue (à Bruxelles). En parallèle, elle co-réalise un web-doc sur un voyage au Rojhelat (Kurdistan Iranien) et une série sonore sur la génération des Peace process babies (Irlande du Nord).
De retour en Bretagne, à Douarnenez, elle travaille à la diffusion du cinéma documentaire pour des festivals et de sociétés de production (Tita, Paris Brest, Kalana) tout en continuant son chemin dans l’écriture et la réalisation documentaire.