Lubna Beautemps : une éclaireuse à Comptoir


Il y a quelques mois, Célia Penfornis quittait Comptoir du Doc après 17 ans de bons et loyaux services. Un départ accompagné d’un renouveau à plusieurs endroits pour l’association rennaise de diffusion du film documentaire. Le choix d’accueillir Lubna Beautemps au sein de sa structure est l’un de ces points d’ancrage pour un nouvel élan. Nous l’avons rencontrée aussitôt arrivée dans les nouveaux locaux de l’association, comme à la maison.

Derrière les volets fermés d’une version bretonne de la maison de Norman Bates dans Psychose – plus accueillante – l’équipe de Comptoir du Doc poursuit le même labeur depuis vingt ans, dans la joie et la bonne humeur. Avec bien sûr quelques aménagements, au fil du temps, des temps, et des gens.
C’est là, au 128 avenue du Sergent Maginot, après tout de même une petite crise de la vingtaine, une remise en question et une période de réflexion sur la forme et le fond de son action et de sa structuration, que l’association a pris ses nouveaux appartements. « Après deux décennies d’un fonctionnement qui marchait bon an mal an et n’avait donc jamais été repensé, cette crise nous a obligés à redéfinir les priorités de l’association et les modalités de sa gouvernance. Ainsi y avons-nous travaillé avec l’aide de Contrepied, une SCOP d’éducation populaire. Nous avons abouti au choix d’une gouvernance collégiale – réunissant le CA, les Chargé·es de Programmation (CAP) et les salarié·es – et avons également redéfini la politique de Comptoir du Doc. C’est tout cela qui a conduit à créer ce poste qui n’existait pas et qu’occupe aujourd’hui Lubna », précise Émilie Morin, désormais chargée de coordination des projets et responsable de l’action culturelle à Comptoir du Doc. Ainsi, Émilie veille-t-elle à la permanence d’un projet global collectif, porté par une somme d’individualités fortes, tandis que Lubna s’attelle à imaginer de nouvelles ramifications à ce projet global pour lui conserver sa vitalité ; à chercher aussi de nouvelles voies à explorer, protéiformes, et les moyens d’ouvrir ces autres portes au cinéma et aux publics.

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© Gaell B. Lerays

 

 

Mais qui est Lubna ? Une héroïne de bande dessinée un peu paumée, oui, son prénom vient de là¹, sa mère est fan de BD… mais Lubna Beautemps, elle, sait très bien où elle va. Ainsi, commence-t-elle sa vie à la montagne, à Châteauroux-les-Alpes, parmi moins de mille habitants. Vers 12 ans, elle arrive en Bretagne, Rennes, la ville, le bitume, un nouveau climat et l’anonymat… Les éclaireurs et éclaireuses de France qu’elle rejoint alors l’aident à supporter la grisaille ambiante et à reprendre une lampée de la bolée qu’elle préfère : du grand air ! « Cette expérience m’a permis de conserver cette relation à la nature qui me manquait un peu en ville et de frayer avec des valeurs qui sont importantes pour moi, celles du collectif comme l’entraide, et le respect de l’environnement », se souvient Lubna.

Les études, elle décidera de les faire dans le cinéma, avec l’intention première de devenir réalisatrice, parce que pour elle comme pour beaucoup d’autres, c’est alors le seul métier qu’elle associe au 7e Art : « J’ai choisi Arts du spectacle à Rennes 2. C’est là que j’ai découvert tous les métiers qui existaient dans le cinéma et notamment une pensée du cinéma, sa qualité de science humaine. Et c’est finalement ce qui m’a le plus intéressée. En plus de l’accompagnement des films et de l’éducation à l’image, que j’ai abordé en étant bénévole à Travelling dès ma première année de fac. »

Depuis cette première année d’études jusqu’à son premier emploi, Lubna se frotte au monde professionnel du cinéma. Avec Clair Obscur, elle participe presque chaque année au Festival Travelling. Elle y est d’abord bénévole, puis stagiaire à la coordination et à l’accueil avant d’être employée par son directeur d’alors, Éric Gouzannet, en remplacement de son assistante et chargée de partenariats, sa première expérience véritablement professionnelle. Elle reste fidèle au festival pour lequel elle travaille jusqu’en 2014 pour des contrats courts, dédiés surtout à la coordination des rencontres professionnelles, puis pour un contrat aidé pour une dernière année, où elle s’intéresse notamment au développement de l’accessibilité du festival aux personnes en situation de handicap.

Chez .Mille.et.une Films, un stage en distribution et assistanat de production lui donne l’occasion d’une plongée dans le milieu du film documentaire breton, ses auteurs, leurs œuvres : « Cette expérience m’a permis de mieux appréhender la problématique de la création et de la production en régions, et de me rendre compte qu’il était possible de travailler dans le cinéma et d’en vivre ici, en Bretagne. » Lubna part quelques mois à Paris où elle entre à Arte France Éditions : « Je m’occupais notamment d’opérations de communication pour le lancement de livres ou de dvd ; si cela m’a beaucoup intéressée, je me sentais trop déconnectée du cinéma et de ceux qui le font. »  Elle pousse encore un peu plus loin l’aventure en s’envolant pour Montréal et les Rencontres Internationales de Documentaires de Montréal (RIDM). Elle y est stagiaire assistante de production et de partenariats avant d’être embauchée comme responsable billetterie et accréditations. Elle quitte le Québec à la fin de son Permis Vacances Travail (PVT), après une année québécoise et six mois d’une expérience marquante.

 

Lubna en équipe FEB Rencontres 2018
Les Rencontres de Films en Bretagne 2018. © YLMPictures

 

Mais c’est ici, dans cette Bretagne qu’elle a su apprivoiser, que la jeune femme veut continuer son chemin, lequel ne connaît pas la rectitude des lignes droites, lui préférant l’ondulation des détours. En octobre 2016, c’est même un grand virage que prend Lubna, en accédant au poste d’assistante de direction auprès de Céline Durand à Films en Bretagne. Un poste qu’elle occupera jusqu’en octobre cette année, date de sa prise de fonction à Comptoir du Doc, et qui s’étoffera de nouvelles responsabilités au fil des ans. « Je participais à Doc’Ouest depuis 2009, d’abord en stage puis dans le cadre de contrats courts. Grâce à mes expériences à Travelling et à Doc’Ouest, je connaissais les dispositifs pour les professionnels et la question de la décentralisation était déjà au cœur de mes préoccupations en tant que membre actif de la filière. Il y a toujours eu cet aspect politique, cette notion d’engagement dans mes choix. Et j’avais envie de travailler sur un projet plus global et à plus long terme que ce qu’imposent le rythme effréné et le temps court des festivals. Construire dans la durée et avec une approche plus transversale. Ce poste à Films en Bretagne tombait à point nommé ! », se souvient Lubna. Petit à petit lui sont confiées des missions de coordination – telles les Rencontres de Films en Bretagne, Annecy et les actions menées conjointement avec les festivals. Lubna avait cependant prévenu l’équipe et le conseil d’administration dès son arrivée, elle ne resterait pas longtemps. « Je voyais cela comme une nouvelle étape de mon apprentissage, à une autre échelle, celle du grand collectif, et celle du politique. Après ces trois années dans une structure à la croisée des enjeux, des genres et des métiers, ce qui est passionnant mais qui peut aussi devenir épuisant, j’ai souhaité revenir à Rennes où j’ai ma vie, et retrouver le contact avec les œuvres et leurs publics.² »

Nouveau détour pour un retour à Rennes en octobre de cette année, à Comptoir du Doc, un nom prédestiné pour celle qui se dit comme chez elle dans les cafés. Cette association, elle en a été adhérente, y a été bénévole. Elle est maintenant chargée d’en développer les actions, avec ce collectif qui lui tient à cœur et qu’elle n’a jamais cessé de fréquenter. « Revenir à la diffusion m’enchante, c’est de là que je viens ! Et puis, j’arrive à un moment de la vie de l’association qui est un peu celui d’une renaissance ! »
Pour Lubna, il s’agit pour l’instant de prendre ses marques, de rencontrer ceux et celles qui font Comptoir du Doc, prendre acte de leurs attentes et déterminer quelles stratégies il conviendra de mener pour ce développement qu’elle a à engager, tout en consolidant ce qui est, qu’on veut garder. Côté communication, elle envisage déjà de resserrer le lien avec la presse et de travailler à une meilleure identification de Comptoir du Doc sur les nombreux évènements qu’elle organise l’année durant. « Des évènements, et surtout des films », précise Lubna. « Je m’intéresse depuis longtemps aux films qu’on voit peu, aux cinématographies plus à la marge, aux regards singuliers voire atypiques. Ce que l’association a toujours porté et défendu. » Une pluralité qui fait la force et fonde les valeurs de Comptoir du Doc, et à laquelle Lubna est attachée plus que tout. Un collectif, toujours et encore, dans lequel elle plonge en éclaireuse, une nouvelle fois !

Gaell B. Lerays

 

¹RanXerox, de Tanino Liberatore et Stefano Tamburini

² Un lien qu’elle n’a cependant pas tout à fait rompu, Lubna faisant partie depuis longtemps de l’association de production de films Equinok Films, et du comité de sélection des Films de l’Ouest.