Célia Penfornis et ses 17 ans (au Comptoir)


Difficile de dissocier Célia Penfornis et Comptoir du Doc. L’association et sa coordinatrice ont grandi ensemble, vécu les hauts et les bas de concert, surmonté les mauvais jours et fêté comme il se doit les heures de gloire et les victoires. Il va pourtant falloir apprendre à les séparer, car elle s’en va, Célia. Son départ après 17 ans de bons et loyaux services lui donne l’occasion, à elle, de préciser qu’elle n’est pas l’association incarnée, et à nous, de mieux la connaître des deux côtés du comptoir.

Un départ, ça charrie son lot de bilans, de retours en arrière, d’arrêts sur images, de regrets et de bons souvenirs. C’est aussi le moment d’un nouvel élan, pour ceux qui restent, celle qui s’en va. Un constat général qui correspond on ne peut mieux à cette nouvelle étape pour l’association rennaise de diffusion et de promotion du film documentaire, Comptoir du Doc, comme pour celle qui a accompagné son histoire et son évolution depuis les prémices de son développement. 
Célia Penfornis se souvient d’être arrivée là presque par hasard : « J’étais de retour à Rennes après un DESS documentaire intitulé Image et Société à l’université d’Évry – figurant alors parmi les deux seules formations universitaires liées au film documentaire, quand il en existe sans doute une vingtaine aujourd’hui. Un retour rendu nécessaire pour des raisons familiales, mon père étant gravement malade. J’ai alors croisé Franck Delaunay, qui avait été mon prof durant la licence en communication que j’avais suivie à Rennes 2, et qui m’a invitée à participer à une soirée de l’association. Bénédicte Pagnot, réalisatrice – que je ne connaissais pas du tout alors – m’a un peu poussée à prendre ma carte d’adhérent… ! », plaisante la jeune femme. Bien en a pris à Bénédicte, car quand il s’est agi, à peu de temps de là, de créer un poste salarié qui permettrait de prendre en charge et développer les actions d’une association pleine de vitalité, mais d’une vitalité toute bénévole – avec déjà une projection tous les 15 jours au bar le Scaramouche et de temps à autre au Ciné-TNB –, c’est Célia, nouvellement élue vice-présidente, qui s’occupa des démarches qui aboutiront six mois plus tard à la création de son propre emploi !

Célia reconnaît volontiers aujourd’hui que les missions de coordination qui ont été les siennes ces dix-sept dernières années, à l’intérieur d’une association dont elle a aussitôt partagé les valeurs et les préoccupations éthiques et politiques, correspondaient plus ou moins à ce qu’elle ne savait pas encore qu’elle cherchait… 
Fille d’un père professeur d’anglais et d’une mère animant des ateliers de théâtre, Célia grandit à Rennes dans un bain culturel qu’on qualifiera de généraliste, sans goût pour le cinéma en particulier. Elle s’intéresse plutôt, ado, à la photographie, que son père pratique, qui l’initie. « J’ai encore ses vieux Reflex », précise-t-elle. Pas vraiment de passion à l’horizon, qu’elle sait en revanche vouloir garder le plus ouvert possible. Ainsi, après un bac B, Célia suit-elle un cursus d’histoire à l’université, pour bifurquer ensuite sur une licence en communication : « Cela ne m’a pas vraiment convaincue ! Heureusement, j’avais les cours d’Histoire de cinéma de N.T. Binh¹ et les cours d’Histoire des médias pour m’accrocher. » 
C’est à Londres que quelque chose à son goût commence à se dessiner. Elle part là-bas via Erasmus pour « voir du pays », elle en revient avec un mémoire sur « la représentation des minorités ethniques dans les médias anglais », une histoire d’intégration qui résonne encore – trop fort – avec les questions de migration et d’accueil en Europe aujourd’hui. « Si je n’ai pas poursuivi dans cette voie de la recherche, cette expérience m’a mise sur la piste d’un métier. J’avais consulté beaucoup d’archives pour ce mémoire et la profession de documentaliste pour des films documentaires me semblait passionnante. Sans compter que cela donnait enfin à mes yeux une cohérence à mon parcours. », raconte Célia. C’est donc là qu’elle rejoint Évry et ce DESS documentaire, une formation dont elle confie qu’elle fût intéressante pour elle, sans qu’elle corresponde cependant à ce qu’elle venait y chercher. Une formation, tout de même, où elle découvre les pépites de l’Histoire du cinéma documentaire, qu’elle fera découvrir à son tour au public rennais dans le cadre des différentes programmations qu’elle participe à mettre en place dès son embauche, en 2002.

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Le conseil d’administration d’alors est constitué des pionniers de l’aventure de Comptoir du Doc – Ariel Nathan, Jean-François Le Corre, Gilles Padovani, Yvon Guillon, Franck Delaunay, etc. – dont l’objectif restait de diffuser et de promouvoir le cinéma qu’ils aimaient voir et faire. Célia développe les partenariats et trouve les subventions qui donneront vie aux rendez-vous que l’on connaît bien aujourd’hui, (ou qu’on a bien connu, pour le cas de feu Hors Format), même s’ils ont continué d’évoluer et parfois changé de nom : Images de justice, Docs au Féminin, Histoires d’Immigration (aujourd’hui Des Histoires), Le Dimanche aux Champs LibresLe Mois du Film documentaire aussi, auquel l’association participe en tant que programmateur dès sa première édition en 1999, avant d’en devenir une des structures qui coordonnent la manifestation en Bretagne, et avec le plus grand succès ! C’est peut-être ce rendez-vous là que regrettera le plus Célia : « J’aimais ces journées de prévisionnement et de formation avec les partenaires du Mois du Doc, un mélange de bénévoles et de professionnels passionnés, tous différents et si investis ! ». 
Tous autant qu’ils sont, ces rendez-vous sont voyageurs, des séances toujours « délocalisées », en quête de nouveaux lieux, à la rencontre de tous les publics. Dès le départ, ce sont des groupes de programmation – constitués d’adhérents toujours plus nombreux et impliqués – qui choisissent les films ; bientôt, ce ne seront plus des bénévoles, mais des chargés de programmation qui les accompagneront. « Cela, c’est important de le dire, car tout le monde me voit toujours comme une programmatrice alors que je n’ai jamais fait de programmation à Comptoir du Doc ! », précise Célia. Comme elle aime aussi à répéter qu’elle n’est pas l’incarnation de l’association et ne l’a jamais été, un collectif ne devant être confondu avec personne en particulier…

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Apnées statiques interdites © Célia Penfornis

 

Ainsi Comptoir du Doc se développe contre vents et marées. Célia se souvient de la mobilisation de 2016, alors que la Ville a l’intention de faire sortir Comptoir du Doc du projet qu’elle lui avait confié avec l’association de théâtre jeune public Lillico, à La Parcheminerie : « Cette crise a révélé la puissance de notre collectif, c’était vraiment beau. Les Rennais ont rappelé qu’ils tenaient à ce lieu et à ce projet, et la pétition que nous avons lancée a eu un rayonnement national ! ». Mais cette « première » crise est pour Célia symptomatique d’un positionnement ambigu des politiques vis-à-vis d’un projet humaniste et citoyen ; cet arbitrage aléatoire aura raison de Hors Format peu de temps après. « On nous assure que ce que nous faisons est formidable et important, sans pour autant débloquer les moyens en rapport avec cette reconnaissance, des moyens financiers qui nous permettraient de le mener à bien plus sereinement et de le développer. Il nous manque toujours un zéro ! », s’indigne Célia. L’affaire Politikos en 2018 aura commencé d’entamer sa foi et son allant, elle que la fonction place justement aux quatre vents. « Mon travail a été de garder un équilibre en toute chose, d’écouter énormément, de faire en sorte que chacun ait une place dans le collectif. La richesse de Comptoir du Doc est dans cette perception plurielle des choses, portée par des personnalités fortes. Pour faire tenir tout cela ensemble, il faut une énergie que je n’ai plus. 17 ans, c’est long ! Il est temps de passer à autre chose ! », conclut Célia, heureuse néanmoins d’avoir tenu ce dernier semestre après l’annonce de son départ et de s’en aller confiante quant à l’avenir de Comptoir du Doc, en ayant participé à une remise en question globale de l’association qui a débouché sur la mise en place d’un fonctionnement nouveau, encore plus collégial. Un nouveau départ également pour Comptoir du Doc ! Mais de cela, nous reparlerons en octobre.

Cette autre chose pour la suite qu’évoque Célia ne sera pas la réalisation, à laquelle elle s’est essayée avec la douceur, la délicatesse et la détermination qu’on lui connaît. Elle a en effet réalisé son premier court-métrage personnel², son « film du père », intitulé Apnées statiques interdites, en 2017. Elle y invite le spectateur à une traversée en apnée de l’enfer médical que sa famille a dû endurer, suivant les étapes de la maladie de son père, jusqu’à la fin. Célia dit avoir ressenti la nécessité de « dire ce parcours du combattant, de dénoncer la manière dont on tend à traiter les gens comme de la marchandise, et selon une logique scandaleusement comptable. ». Mais le cinéma de ce côté de la caméra, elle n’a jamais pensé en faire un métier.

Un parcours de formation qu’elle a suivi cette année avec Relais Culture Europe lui a redonné le goût de la recherche et du terrain, et l’a plus encore rapprochée de questions liées à l’environnement et à la pensée d’une « écologie profonde ». Une piste pour son avenir ?…

Pour le moment, c’est l’heure de la pause… et elle sera gourmande à n’en pas douter !

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© Célia Penfornis

 

¹Journaliste, critique à Positif et enseignant de cinéma.

² Célia a également réalisé un court-métrage dans le cadre de son DESS Documentaire, sur un pêcheur à Étel. « J’ai fait ce portrait pour pouvoir utiliser les archives de la cinémathèque de Bretagne. C’est une sorte de faux montage d’archives car je ne crois pas que mon personnage réel soit celui qu’on identifie sur ces archives. J’ai fait du Arnaud des Pallières sans le savoir ! », relate-t-elle.

Gaell B. Lerays