OODAAQ ET LES NOUVEAUX IMAGINAIRES ?


Affiche Oodaaq 2023Le Festival Oodaaq propose tous les ans un parcours artistique à travers Rennes : expositions, projections, performances, installations dans l’espace public, conférences et tables-rondes autour des images nomades et poétiques.

Pour sa douzième édition, du 11 au 20 mai, le festival investit trois lieux différents pour mettre à l’honneur les vidéos d’une vingtaine d’artistes internationaux. A l’Hôtel Pasteur, une réflexion poétique et politique sur les manières dont les images peuvent interroger les rapports de pouvoir qui régissent notre monde et se faire vecteur des luttes sociales, écologiques et féministes qui le traversent. Au Jeu de Paume, moments de performances et de concerts imaginés comme des exutoires collectifs. A la Capsule Galerie, des vidéos à la vue de toutes et tous…

L’occasion pour nous d’aller à la rencontre de Manon Lévignat et Marion Roy…  


Films en Bretagne : Le festival Oodaaq va vivre sa 12ème édition à Rennes du 11 au 20 mai… pouvez-vous nous parler de la spécificité de votre festival et des grandes lignes de la programmation ? 

Manon Lévignat et Marion Roy : L’Œil d’Oodaaq est une association qui interroge la place des images, leurs modes d’émergence et leurs mutations, dans la société actuelle. Le Festival Oodaaq représente tous les ans un moment de partage privilégié avec le public. La douzième édition du festival aura lieu du 11 au 20 mai. Elle s’articule autour d’une exposition, de projections et cartes blanches, d’une conférence, mais aussi de performances et de concerts lors de temps festifs et collectifs. Cette édition renoue avec le nomadisme originel du festival, mis en suspens pendant le covid, en investissant plusieurs lieux de Rennes (l’Hôtel Pasteur, le Jeu de Paume, la Capsule Galerie et le bar l’Attrape-Rêve) que le public est invité à (re)découvrir.

 

Films en Bretagne : Le festival semble avoir un prisme politique assez fort en embrassant les questions politiques et celles des transitions : luttes sociales, féministes et écologiques, orientations sexuelles et de genre, rapport à la nature… À l’heure où l’on parle de plus en plus des « nouveaux imaginaires », est-ce un choix de positionner l’association à ce niveau-là ou est-ce le reflet de la production des arts visuels d’aujourd’hui ? Comment établissez-vous la programmation ? 

Manon Lévignat et Marion RoyLa programmation du festival – pour les expositions et programmes de projection – est issue d’un appel à projets international que nous proposons chaque année en amont de l’événement. Celui-ci est une porte d’entrée vers la création artistique audiovisuelle la plus contemporaine. Si habituellement, cet appel à projets se veut non thématique pour laisser libre court aux propositions artistiques expérimentales, le choix a été fait pour cette édition d’orienter la sélection des vidéos autour de luttes et d’enjeux contemporains, afin de laisser la place à de nouveaux récits poétiques. 

Les artistes posent un regard sur le monde et prennent la parole sur celui-ci par le biais d’un médium artistique, et notamment par la vidéo. Le prisme intime et politique de cette programmation reflète donc certainement une prise de conscience généralisée sur la nécessité en tant qu’individu situé de prendre la parole sur des enjeux qui nous concernent toustes. C’est donc l’addition d’individualités sensibilisées à ces enjeux qui nous permet aujourd’hui de présenter une programmation orientée politiquement et socialement.

Films en Bretagne : Une question pas facile… Pouvez-vous nous donner chacun un coup de cœur personnel et nous expliquer ce choix ? 

Manon Lévignat  : Le Vernis des pare-chocs compose des forêts d’eau de Sacha Rey est une composition expérimentale et apocalyptique autour d’un futur dystopique. Cette œuvre nous entraîne dans 23 minutes de distorsion d’images et dans un flot de pensée continue. C’est à la fois un hymne aux cultures lesbiennes et queers, un signal d’alarme sur l’urgence climatique et un scénario de science-fiction – pas si fictionnel – sur des enjeux d’égalité sociale.

Marion Roy : J’ai été très touchée par le film Forêts de Simon Plouffe, un documentaire exploratoire sur une forêt immergée qui mêle réflexions décoloniales et écologiques. Cette vidéo sous-marine dévoile l’impact de la construction d’un barrage sur le peuple Innu, témoin au quotidien de l’avancée de la catastrophe écologique qui le force à quitter son propre territoire, mais aussi sur le vivant non-humain dont la survie est menacée par la brusque montée des eaux.

Manon Lévignat  : Ces propositions artistiques sont venues rencontrer à merveille la ligne artistique de cette nouvelle édition du festival : une réflexion sur la manière dont les images peuvent bouleverser nos quotidiens et une prise de position politique sur des enjeux contemporains par le biais de l’expérimentation artistique.

Propos recueillis par Lubna Beautemps, avril 2023


L'Equipage
Oodaaq est une île découverte en 1978 au nord-est du Groenland.
Pendant longtemps considéré comme la terre émergée la plus au nord du monde, cet amas de gravier et de vase est en réalité à la dérive, et donc impossible à localiser de nos jours. L’île, menant une existence quelque part entre réalité et imaginaire, devient ainsi une image, lointaine et utopique, nous invitant à scruter l’horizon afin de la voir apparaître. C’est sur cette terre incertaine, inaccessible et invisible que nous avons établi notre campement afin d’explorer la création artistique contemporaine. Habitants nomades de l’île d’Oodaaq, nous parcourons le monde durant l’année afin de constituer un collectif de créateurs en constante évolution.
L’Œil d’Oodaaq est une association rennaise qui mène une réflexion sur l’art vidéo ainsi que sur les autres formes d’apparition des images dans l’art contemporain : photographie, installation, performance, dessin, peinture, nouveaux médias. Elle prend le parti de défendre les images nomades et poétiques, et de favoriser les croisements entre les publics, les oeuvres et les artistes.La ligne artistique de l’association découle de l’histoire de l’île d’Oodaaq et marque l’originalité de son action. L’île d’Oodaaq est métaphore des images que nous défendons puisque son existence oscille entre réalité concrète et imaginaire utopique. A la dérive, elle est en outre symbole de l’image en mouvement, et connecte entre elles des territoires éloignés.L’association a ainsi forgé le concept d’« images nomades et poétiques », qui permet de réfléchir sur le statut des images d’aujourd’hui et de valoriser les formes et formats alternatifs. 

Manon Lévignat 
Formée aux métiers de l’exposition, Manon Lévignat a successivement été médiatrice culturelle en art contemporain, assistante de commissaire d’exposition, chargée de missions en valorisation du patrimoine et coordinatrice de projets artistiques et culturels pour l’art contemporain. Pour L’Oeil d’Oodaaq, elle assure la direction artistique, l’administration et le développement du projet associatif.
Marion Roy
Formée en histoire de l’art et en muséographie, Marion Roy a travaillé dans la gestion de projets culturels et le commissariat d’expositions en art contemporain. Elle s’intéresse aux productions artistiques liées à des enjeux politiques et écologiques actuels et met cette sensibilité au service des projets culturels et curatoriaux dans lesquels elle s’implique.

L'événement
Forets-Simon Plouffe • 2022

ARTISTES VIDEO :

ALLEMAGNE : Frank BUBENZER (il), Erika KASSNEL-HENNEBERG (elle), Paul VALENTIN (il)
BELGIQUE : Ethann NÉON (il)
CANADA : Antoine LAROCQUE (il), Simon PLOUFFE (il), Guillaume VALLÉE (il)
FRANCE :Amie BAROUH (elle), Mélissa FAIVRE (elle), Alix GALDIN (elle), Cyril GALMICHE (il), Thibault JEHANNE (il), François LEJAULT (il), Clarisse PILLARD (elle), Camille PUEYO (iel), Sacha REY (il, iel), Emma ROUFS (elle), Pierre VILLEMIN (il)
ITALIE : Gabriele ROSSI (il)
JAPON : Tetsuya MARUYAMA (il)
LITUANIE : Paulius SLIAUPA (il)
PORTUGAL : Nelson FERNANDES (il)

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PROJECTION EESAB : FAIRE CORPS

Cette année, le festival a à cœur d’être un espace de rencontre entre les œuvres de jeunes artistes de la scène artistique rennaise et nos publics. Cette sélection de trois œuvres d’artistes en formation à l’EESAB explorent les imaginaires queer et leur expression à travers les corps – par l’intimité, le vêtement ou la parure. S’y entremêlent un documentaire sur le vêtement lesbien, un dialogue entre une référence de la littérature saphique et la rencontre entre deux amantes, et des colliers de perle qui lient, poil après poil, l’enfance à l’âge adulte… Les corps en construction se font espaces de luttes et de désirs – lieux de mémoire, de transformation et de visibilité.

Avec 
Inès Adil, Perle, 2022, 4’33’’
Lucie Bouchet, Habiter la marge, 2022, 1h06’52’’
Nazaré Fahy, Minéral, 2021, 3’10’’

L’Attrape-Rêve le vendredi 19 mai — 19h

CARTES BLANCHES :

G.I.V (Groupe Intervention Vidéo, Montréal) : Fondé en 1975 à Montréal, le Groupe Intervention Vidéo (GIV) fait partie des rares centres qui, de par le monde, se consacrent à la mise en valeur d’œuvres réalisées par des femmes (dans sa définition la plus inclusive) en les distribuant et les diffusant tout en en soutenant activement la production. Son catalogue de distribution comprend actuellement 1600 œuvres regroupant le travail de 370 artistes.
Clin d’œil à la collection du Groupe Intervention Vidéo (GIV), Voix fait écho à la mission de ce centre d’artistes montréalais créé en 1975 : donner la parole aux femmes, visibiliser leurs créations vidéo, laisser entendre leurs voix. De ce fait, les œuvres présentées dans cette programmation mettent en exergue la diversité de la collection. S’y incluent des titres qui portent sur les luttes féministes, la mobilisation de masse, les revendications de la communauté LGBTQI2S+, la violence, l’identité, l’isolement, les préoccupations environnementales et la relation humaine-technologie. Récurrents tout au long de l’axe chronologique qui traverse les archives du GIV, ces sujets sont ici revisités à la lumière des nouvelles perspectives et des réalités vécues par les artistes. Ecoutons-les.

Hôtel pasteur jeudi 11 mai – 19h45

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Instants Vidéo (Marseille) : Comme je mords, comme j’aboie… L’artiste vidéo ne peut s’écarter d’expériences. Cela peut concerner un bricolage d’images, de sons, de sensations, mais il peut aussi s’agir d’expérimenter un « je » qui une fois en relation avec le regard de l’autre (le/la spectateur·rice) va devenir un nous, fort et réconfortant. Cette programmation vidéo est de cette trempe là. Elle nous invite à porter une sublime attention aux représentations qui nous entourent, aux paroles qui nous construisent, à la résistance qui nous est nécessaire pour dépasser cette société patriarcale, pousser des coups de gueules, user de dérision et faire jaillir de nouvelles formes de création.

Hôtel Pasteur, samedi 13 mai – 15h30

CONFERENCE

Alessandra Arno (Visual Container, Milan) (elle) : Elle est artiste, curatrice, chercheuse indépendante autour de l’art vidéo et directrice artistique de la plateforme Visualcontainer, dédiée à la recherche et la diffusion de l’art vidéo italien et international depuis 2008.
Elle mène le projet de recherche MEDITERRANEA, qui vise à définir les spécificités liées au genre dans la création d’art vidéo dans la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, à partir d’échanges avec des artistes, curateur·rices et universitaires. La restitution de ce projet prendra la forme d’un texte curatorial et d’une sélection des oeuvres les plus représentatives des cinq dernières années. En regard de la carte blanche d’Instants Vidéo, Alessandra Arnò présente les recherches curatoriales menées pour le projet MEDITERRANEA, en mettant l’accent sur la représentation des mouvements féministes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au sein de la production d’art vidéo de la région.

Hôtel Pasteur samedi 13 mai – 16h30

PERFORMANCES

Johanna Rocard (elle) & Nina Berclaz (elle) : LA GRANDE FOLIE
Johanna Rocard interroge dans son travail la notion de collectif, et plus particulièrement les gestes et rituels qui lient les groupes humains en temps de crise. Chaque action, geste ou forme constituant son travail se veut apotropaïque, terme qui en grec ancien désigne l’usage de la magie et des énergies à des fins de conjuration des maléfices propres aux temps de luttes et de transitions. Pour cette performance, incarnée par Nina Berclaz, elle s’est fortement inspirée de la « Grande folie de Strasbourg », une épidémie dansante qui a eu lieu en 1518 à Strasbourg.

JEU DE PAUME, VENDREDI 12 mai – 19h

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Florænt Audoye (il, elle, iel) : TECHNOCRATIUM
Sur les ruines fumantes du capitalisme hétéropatriarcal, une lente présence fantomatique tente de libérer son corps assigné à la performance au travail. Ce corps individuel brisé permet de révéler la fatigue collective et la destruction phallocrate des identités et des êtres.
TECHNOCRATIUM est une performance immersive qui prend la forme d’une cérémonie mystique électro.

JEU DE PAUME, SAMEDI 13 mai – 21h45

CONCERTS

Pareil (ils) : Pareil est une association sonore à but non mélodique cherchant à retranscrire la validité esthétique émanant de l’union expérimentale de motifs périodiques et de textures erratiques.
Ambient, noise, electronic

Hildegarde (ael) : Hildegarde utilise l’esthétique du fantastique pour questionner des problématiques bien réelles. Entre contes et cauchemars, ael chante une multitude d’émotions sur une musique électronique tantôt ethérée tantôt enveloppante grâce à une richesse de sons texturés. Son goût pour le sound design s’unit à une ambiance mystérieuse et enchantée. Ael propose une expérience immersive à travers ses concerts, DJ sets et diverses performances.
electronica, pop, ambient expérimentale

Mångata (M. : elle ; A. : elle ; J. : il) : Le projet MÅNGATA naît de la rencontre de trois artistes : Annaëlle (danse impro), Jim (VJing) et Morgann aka Mid- night Totem (productrice de musique électronique). À la croisée de ces trois univers artistiques, MÅNGATA prend la forme d’un live audiovisuel et performatif improvisé où se mêlent mélodies électroniques, danse contemporaine et vidéo expérimentale, invitant à l’introspection.
live audiovisuel performatif – Musique électronique, VJing & Danse

Ororr (elle) : Ororr produit de douces mélodies accompagnées d’un chaos percussif, dans une atmosphère onirique pleine de contrastes. Elle invite à une introspection émotive. Au delà des genres se rencontrent IDM, ambient et breakcore, pour danser avec la tête et réfléchir avec le corps.
ambient, idm, breakcore

JEU DE PAUME
carcajou records – VENDREDI 12 mai – 20h
mangata – VENDREDI 12 mai – 21h15

ororr – samedi 13 mai – 19h30
hildegarde – samedi 13 mai – 22h45

EXPOSITIONS

Le vernis des pare-chocs compose des forêts d’eau – Sacha Rey • 2021-2023 • © ADAGP, Paris

« AU LOIN LE REFLET DU VACARME »
Les vidéos de l’exposition Au loin le reflet du vacarme dressent un tableau lucide des enjeux qui traversent nos sociétés contemporaines. Tels les miroirs magiques d’un conte dystopique, la surface des écrans fait apparaître les visions troublantes de nos présents à l’agonie et des futurs possibles qui en découlent. Chaque démarche artistique apporte un point de vue singulier sur les préoccupations qui agitent nos quotidiens : urgence écologique, précarité sociale, rapport au vivant autre qu’humain, orientation sexuelle ou de genre, violences sexistes et sexuelles, place de la technologie…
La création vidéo actuelle est loin d’être indifférente aux sujets de société et aux luttes politiquesd’aujourd’hui : elle s’en empare, lance des pistes de réflexion, élabore de nouveaux imaginaires. Les connivences visuelles et sémantiques nouées d’un bout à l’autre de la pièce sont une manière de tenir tête à l’anéantissement qui nous guette. Chaque œuvre préserve néanmoins une forme de distance, par l’écart poétique propre à la créationartistique, le décalage temporel du récit dans un futur indéfini ou la protection rassurante de l’écran entre l’image et les spectateur·ices. Cette distance investit d’un sens nouveau le sentiment romantique du Sublime, traditionnellement suscité par le spectacle terrible des forces de la nature à l’œuvre, chez un sujet se sachant protégé par une posture suffisamment à l’écart pour garantir sa sécurité. Les spectateur·ices, plongé·es intellectuellement dans les inquiétants imaginaires post- apocalyptiques déployés sur les écrans, ne font que contempler de loin l’ampleur des dégâts à venir, tout en se sachant en sécurité dans la salle d’exposition. Mais pour combien de temps ?

HÔTEL PASTEUR, DU 11 AU 20 MAI

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Human Walkers in Motion – Ethann-Neon • 2020

« KALÉIDOSCOPIE : EXPOSITION EN VITRINE »
Trois vidéos-mosaïque démultiplient les regards. L’écran de la vitrine renvoie davantage que le seul reflet du passant : derrière la paroi de verre, on attrape des morceaux du monde comme si on l’observait à travers un kaléidoscope. Une ville où le rythme des promeneurs forme un grand orchestre urbain ; des paysages japonais, instantanés de voyage ; un répertoire des émotions traversant des visages numériques générés par une IA. La vitrine n’est plus frontière mais porte grande ouverte.

CAPSULE GALERIE, 45 rue Legraverend, Rennes – DU 11 AU 20 MAI

 

Toute la programmation : ICI