Mel Gibson, Jean-Louis le Tacon, Abel Ferrara, Jean-Baptiste Thoret, Jean-François Stévenin, Howard Hawks, Pascale Breton… Autant de personnalités qui animent les réflexions d’Antonin Moreau et d’Etienne Cadoret, critiques de cinéma dans l’émission Le Cinéma est mort sur Canal B. Rencontre avec des cinéphiles exigeants et ouverts, spécialisés mais éclectiques.
Films en Bretagne : D’où venez vous, comment en êtes vous venus à commenter l’actualité du cinéma ?
Antonin : Il y a toujours eu une émission de cinéma sur Canal B. En 2006 nous avons remplacé les animateurs d’une émission qui s’appelait Pop Corn.
Étienne : Nous avons changé le nom de l’émission par Le Cinéma est mort. À l’époque déjà nous avions surtout envie de parler de ressorties, Profession reporter de Michelangelo Antonioni, L’Étrange Incident de William Wellman, Macadam à deux voies de Monte Hellman… Dès que nous avons renommé l’émission nous avons ajouté en guise de boutade le sous-titre : « L’émission nécrophile ». Ça cassait un peu le côté sentencieux du « cinéma est mort ».
Antonin : L’idée était de se ré-emparer de l’émission, de trouver ce qui pouvait être l’opposé d’un « cinéma pop corn ». Nous essayons de porter une idée du cinéma plus haute quand bien même nous n’avons absolument rien contre le cinéma de divertissement.
Étienne : On ne s’empêchait pas non plus de parler de cinéma contemporain. Et lorsque nous parlons de ressorties, la plupart du temps cela a un lien avec l’actualité rennaise durant laquelle on peut voir les films en salle.
Antonin : On parlait même beaucoup de cinéma actuel, des rééditions il n’y en avait pas des masses. Ce devait être fifty fifty. Et à l’époque on ne recevait pas encore de DVD de services de presse. Dès que nous parlions de cinéma d’actualité c’était majoritairement pour « défoncer » les films.
Étienne : Début des années 2010, il ne s’agissait même plus de « défoncer » les films mais de se retrouver face à des films tout mous. Il n’y avait pas de films qu’on adorait ou qu’on détestait, une « mollitude » absolue. On faisait des efforts pour en parler alors que fondamentalement on s’en moquait.
Antonin : Au milieu de cette tiédeur, il y avait aussi des engouements critiques qui nous paraissaient nuls, type La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli. On s’est rendu compte alors qu’on était beaucoup trop raccord avec le titre de notre émission…
Étienne : … Et que nous étions capables de proposer autre chose. Nous sommes à Canal B, nous pouvons nous permettre de ne plus suivre tout à fait l’actualité sur grand écran. Il y a de plus en plus de belles ressorties DVD, on peut aller piocher là dedans et parler de choses qui nous passionnent ou qu’on déteste vraiment ! Parler de films qui nous font des choses.
D’où vous viennent ces opinions ? D’où tenez-vous votre exigence ?
Étienne : Je regarde des films depuis plus de trente ans… On fait partie avec Antonin d’une frange de la cinéphilie qui, à un moment donné, se « bouffait » au moins trois films par jours. On est aussi passés par la fac de cinéma tous les deux. Moi j’y allais très peu, je passais mon temps à regarder des films ou à lire des bouquins plutôt que d’aller en cours.
Antonin : Oui, moi je suis allé jusqu’à faire deux années de maîtrise et j’ai entrepris un mémoire sur Batman le défi de Tim Burton. J’ai toujours voulu être critique. Mon amour du cinéma a coïncidé avec l’amour pour la critique, pour les textes de cinéma.
C’est de la cinéphilie old school, de la cinéphilie d’après guerre…
Antonin : Ouais c’est ça ! Mais je ne suis pas si vieux. J’adorais cette façon de donner envie de voir des films. J’ai eu un problème avec l’écriture universitaire qui me paraissait dépourvue de passion. J’étais un bon élève dans les petits papiers des profs, j’étais publié, j’avais des commandes d’articles… mais pour moi c’étaient des traumatismes absolus. Pour faire court, le seul truc que j’aimais bien dans un article, on me demandait régulièrement de l’enlever. J’avais l’impression de faire du remplissage pour un public d’universitaires. « Le critique c’est celui qui trouve la source, l’universitaire c’est celui qui l’épuise », disait Jean-Baptiste Thoret, je ressens cela fortement. Au sujet de l’exigence nous avons des caractères qu’on pourrait qualifier de polémiques ou provocateurs. Ma théorie c’est qu’au cours des années 2010 le cinéma n’était pas terrible. Et je parle de tous les cinémas, du commercial américain et de sa « marvelisation » ou du cinéma d’auteur français qui s’est carrément embourgeoisé. On ne voyait pas ce que devrait être le « cinéma d’auteur », à savoir un cinéma d’audace, ou ce fameux « essai » de « art et essai ». On a eu tout de même quelques enthousiasmes comme Mad Max Fury Road de Georges Miller ou Mektoub My Love de Abdellatif Kechiche.
Étienne : Cela nous intéresse de nous poser la question : s’est-il passé quelque chose cette année ? Arrive-t-on à faire ressortir des tendances ou des mouvements de fond ?
Antonin : J’ajouterai que l’exigence dont tu parles c’est souvent synonyme pour beaucoup de « vous n’aimez rien » mais je pense au contraire que, pour ma part, j’estime aimer tous les cinémas à la différence de beaucoup. C’est à dire que je peux aussi bien aimer une comédie romantique, qu’un slasher crado, une comédie musicale hongkongaise, un film existentialiste suédois ou une comédie scatophile. Donc cette exigence, elle se porte sur une ouverture à tous les cinémas.
Vous semblez réfléchir par blocs, le cinéma américain d’une part, le cinéma français d’autre part. Qu’en est-il des autres pays ?
Antonin : C’est vrai que nous sommes très polarisés. Mais lorsque nous parlions de cinéma nul, je pensais aussi à ce qui fait le quotidien des salles Art et Essai, à cette espèce de « world cinéma » de festivals dans lequel il y a peu de voix marquantes. Je pense particulièrement à tous ces films iraniens sur les femmes, formellement c’était d’un conventionnel… Je connais moins bien le cinéma asiatique contemporain de manière générale, à part peut-être le cinéma coréen qui est sans doute le plus fort tant d’un point de vue spectaculaire que de celui de l’expression personnelle.
Étienne : Dans ma cinéphilie, il y a eu un moment où j’étais fan de cinéma japonais et je me faisais l’intégrale d’Akira Kurosawa et de tout ce qui tourne autour. J’adore Bergman, j’ai vu tout Fellini, j’ai vu beaucoup de films d’Europe de l’Est et tout cela m’est resté. Malgré ça je me suis quand même spécialisé. Le cinéma français je n’y vais plus sauf exception et aujourd’hui je regarde presque exclusivement du cinéma américain. C’est sûr qu’il y a plein de cinéphilies du monde à côté desquelles on passe. Par contre, je pense que nous sommes encore capables de faire preuve de curiosité parce que justement on a vu autre chose avant notre spécialisation.
Qu’est ce qui vous a donné envie d’être critique ? Qu’est ce qui vous anime encore à exercer cette pratique ?
Étienne : Je ne me considère pas comme un critique. J’ai commencé la radio par hasard et je suis incapable d’écrire contrairement à Antonin. Je trouve un plaisir à parler des films et à les faire découvrir. J’ai appris à parler des films pour susciter l’envie. J’adore essayer de trouver des « sources ». Je fais confiance à mon œil, si quelque chose me plaît c’est qu’il doit y avoir à creuser.
Antonin : Il y a deux choses. La notion de « passeur » oui, et le fait d’avoir découvert des textes qui m’ont dessiné une cartographie imaginaire du cinéma, qui m’ont donné envie d’explorer différentes choses. Nous sommes très bercés par la « politique des auteurs » par exemple. Nous avons tendance à parler d’un film en s’appuyant, par comparaison, sur les précédents films de l’auteur, même dans le cas de films ineptes. Nous avons une génération composée de beaucoup de cinéastes cinéphiles qui ont du mal à filmer des images qui ne soient pas des images d’un autre film et je ne parle pas de Quentin Tarantino ou de Joe Dante et de tous ces post-modernes. Je parle par exemple de J.C. Chandor ou même de Christophe Honoré qui sont souvent incapables de filmer une réalité sans le filtre de leur cinéphilie. Quand tu vois leurs films tu es obligé de faire des renvois à ce qui les a précédé pour émettre un jugement. La cinéphilie pour des cinéastes est parfois un fardeau. Pour le dire vite, trop de temps à regarder des films et pas assez à vivre.
Est-ce finalement grâce à votre amour pour le cinéma non contemporain que vous avez pu maintenir votre activité radiophonique ? Que vous avez pu passer outre la « mollitude » des années 2010 ?
Étienne : Oui, et nous avons surtout continué à découvrir des vieilleries ! C’est sûr que si nous n’avions commenté que les sorties… Constamment on découvre des vieilleries, on aura jamais tout vu. Et, je parle des bonnes choses… Ce n’est pas parce qu’un film a été fait dans les années 70 qu’il est bien. Il y a encore beaucoup de choses dont on aimerait parler dans notre émission, de David Lean par exemple. Revoir tous ses films, terminer sa biographie, préparer l’émission, c’est un gros boulot mais nous pourrions profiter d’une sortie DVD dans la collection de Thoret (collection « Make My Day » chez StudioCanal).
Antonin : On a fait pas mal d’émissions sur des œuvres d’auteurs mais c’est un travail pas possible. Parfois nous sommes sur des sujets qui peuvent complexer… Si on parle de Howard Hawks ou de Alfred Hitchcock, qu’est ce qu’on aurait à apporter derrières les kilomètres d’écrits existants ? Il faut trouver un angle ou avoir une vision pédagogique…
Étienne : Lorsque nous avons parlé de Rio Bravo, nous nous sommes demandé ce qu’il en restait dans le cinéma contemporain. Pour reprendre Thoret, la statue du commandeur qu’on vénère vaguement de loin, on essaie de ne pas la laisser moisir au fond du jardin. Cela nous a permis de parler de Quentin Tarantino, de John Carpenter, ou de comment Rio Bravo a pu contribuer à développer des récits qui se moquent un peu de l’intrigue en faisant la part belle aux personnages, en chroniquant leur quotidien. Il n’en reste pas grand-chose en 2019 mais ça se retrouvait encore dans le cinéma des années 80 voire des années 90.
Antonin : Dans Hawks, il y a les deux pôles inverses, une seconde partie de carrière avec des intrigues très dilatées, et une première partie au contraire très sèche, très mécanique. Avec cette fameuse philosophie hawksienne et américaine, « c’est l’action qui compte ». Il y a clairement cette première partie de carrière de Hawks, faisant feu de tout bois, qui manque dans le cinéma américain d’aujourd’hui. C’est souvent peu tenu et cela se voit particulièrement dans les productions Netflix, c’est comme s’il n’y avait pas de producteurs ! Lorsqu’on revoyait des séries B américaines c’était incroyable : ces films faisaient 1h10 et en 5 minutes, ils racontaient énormément de choses. Vivacité d’action, vitesse de transmission d’informations… En 5 minutes tu sais tout. Et après, tu regardes un film contemporain et tu te rends compte que l’exposition dure 30 minutes !
Abel Ferrara, Jean-Baptiste Thoret, Jean-François Stévenin, Jean Charles Hue, Raymond Depardon, Bertrand Bonello, Fabrice du Weltz, Jean Pierre Dionnet sont autant de personnalités du cinéma avec qui vous avez fait des entretiens. Une cartographie du cinéma contemporain que vous soutenez et aimez ?
Étienne : Ce sont avant tout des occasions. Par exemple Ferrara ce n’est pas lui qu’on allait voir au départ, nous étions venus au Festival de La Roche-sur-Yon pour rencontrer Jacques Rozier ! Nous avons débarqué par hasard à la fin d’une séance d’un film de Ferrara et nous savions qu’il allait présenter le film. Il y avait cinq personnes dans la salle… On en sort et il y a Ferrara qui se balade. Je viens à lui avec mon micro pour qu’il m’enregistre juste un jingle pour l’émission. Et puis finalement il me prend par le bras et me demande de venir le lendemain matin à son hôtel pour faire l’interview.
Antonin : La ligne éditoriale du festival était raccord avec nos préoccupations. Un peu comme Capricci qui travaille en distribution ou en édition sur des cinéastes à l’esthétique radicale comme Nobuhiro Suwa ou Jean Charles Hue tout en remettant au goût du jour des Albert Brooks, Abel Ferrara, Werner Herzog qui étaient des quasi oubliés. Cette programmation nous la trouvions à la fois hyper ouverte et populaire et hyper spécialisée. Il y avait aussi bien Kathryn Bigelow que Rozier… Donc une cinéphilie diverse qui cassait un peu des barrières entre ce qui pourrait être un cinéma américain de genre versus un cinéma hardcore Art et Essai… Là, les deux étaient mixés. Ceci pour dire que oui, il y a autant de cinéma chez Steven Spielberg que chez Apichatpong Weerasethakul.
Étienne : Par contre il y en a un qu’on a cherché à voir pendant 10 ans c’est Jean-François Stévenin. Les trois films qu’il a réalisé nous passionnaient et pouvaient représenter ce que nous aimions le plus dans le cinéma français. Et puis, il y a Jean Baptiste Thoret, que nous avons reçu au moins quatre fois…
Antonin : … C’est le Serge Daney ne notre génération.
C’est aussi un homme de radio…
Étienne : Oui aussi ! C’est une machine… On l’a connu comme ça, en l’entendant parler… Pendant le festival Travelling il était venu faire une conférence de deux heures sur Michael Mann. Il devait passer 15 extraits et il n’en a finalement passé aucun… Il s’est fait virer de la scène pour avoir dépassé d’une demie heure sa séance, t’es complètement fasciné ! Et à ce moment là, les bouquins qu’il sort sont géniaux, sur Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, sur le cinéma américain des années 70… Nous avons profité de différentes occasions pour le revoir (Court Métrange, le Festival 7ème Lune) et on en a aussi créées…
Antonin : Maintenant nous arrivons à organiser des choses régulièrement. Le 31 octobre nous profitons de la sortie du livre sur Stephen King D’après une histoire de Stephen King de Mathieu Rostac et François Cau pour faire une émission spéciale avec eux et organiser à l’Arvor une projection de Carrie de Brian de Palma. Mais il faut relativiser. Ce qu’on arrive à « placer » ce sont des offres pas si risquées que ça. À l’avenir, dans le futur cinéma 5 écrans, nous pourrons faire des séances sur Bergman, Stévenin, Ford… C’est difficile de fédérer des plus jeunes autour d’un cinéma antérieur aux années 70 et qui ne soit pas américain… Le principe de programmation éditorialisée est celui dans lequel les cinémas Art et Essai ont intérêt à s’engouffrer, il faut sortir de l’agenda des sorties nationales et essayer des choses pour que cela puisse prendre. Maintenant nous sommes identifiés par un public qui pourrait davantage nous faire confiance sur des films moins identifiés. Dans tous les cas c’est dans l’objectif de faire vivre une cinéphilie.
Étienne : En sachant qu’il y a peu de cinéphiles ! On ne remplira pas non plus beaucoup de salles.
Comment expliquez-vous cela ? Alors qu’il y a, à Rennes, une faculté de cinéma réputée et bondée, qu’il y a une école de cinéma, que le tissu professionnel se densifie, que celui des salles art et essai de Bretagne est d’importance…
Étienne : Nous avons consacré une émission au sujet de la cinéphilie avec Thoret. C’est difficile d’y répondre précisément. Aujourd’hui, la cinéphilie c’est un petit groupe, l’espace commun qu’elle pouvait représenter s’est déplacé sur les réseaux sociaux, sur les séries TV.
Antonin : Effectivement, peut être que comme le disait Paul Schrader à Thoret dans son film We Blew It, le cinéma est en train de devenir comme la musique classique qui intéresse surtout des amateurs éclairés et dont les contours sont très délimités. Le cercle de cinéphiles deviendrait alors un cercle d’experts. C’est quelque chose que je ressens très fortement, en travaillant à l’Arvor. Le public ne se renouvelle pas sur de jeunes cinéastes. Par ailleurs, je donne des cours de critique cinéma à l’Université Rennes 2, à des étudiants en Cinéma. Ils ne regardent pas beaucoup de films. Lorsque je leur pose la question c’est très souvent 2 à 3 films par semaine… Quand tu es étudiant en cinéma c’est problématique d’en regarder aussi peu ! Il faudrait voir un film par jour au minimum…
Étienne : Même aujourd’hui c’est encore le rythme qu’on essaie d’avoir… Même si c’est plus difficile avec nos vies de famille.
Antonin : Je pense que c’est cyclique. Depuis 20 ans nous vivons une explosion de la série et, à mon avis, nous arrivons peut-être à une fin de cycle. Les séries, qui sont très chronophages, ont clairement pris le pas sur le cinéma en terme d’occupation de terrain culturel.
Étienne : Nous sommes dans un moment qui ressemble vachement aux années 60 aux États-Unis, pendant lesquelles la TV se répandait dans les foyers et où le cinéma essayait de rivaliser avec de grosses productions ou au contraire s’inspirait du cinéma européen. D’où un gros trou avant un âge d’or des années 70 et avant que plein de gens ne décident de reprendre des rênes. Les années 2010 ressemblent complètement à ce creux de la vague.
Antonin : Tout ça, c’est vraiment un écosystème ! Je ne peux pas jeter l’anathème sur les plus jeunes qui ne vont plus au cinéma, moi-même je trouve que les films qui passent depuis 10 ans ne sont pas terribles. Il y a une crise de créativité. Je crois sincèrement que s’il y a des âges d’or dans n’importe quelle histoire de n’importe quel art, il y a aussi des âges de plomb.
Étienne : Ce qui n’empêche pas des pépites! Mad Max Fury Road de George Miller, par exemple.
Antonin : L’un des meilleurs films de ma vie.
Étienne : Depuis le début de l’émission nous sommes bloqués sur Mel Gibson. La découverte d’Apocalypto a été un choc mais à aucun moment ce cinéma ne représente une époque ou une génération, c’est même l’inverse.
Antonin : Oui, il y a plusieurs choses. Un amour sincère pour le cinéma de Mel Gibson, et aussi une excitation critique dans la mesure où aujourd’hui il y a tout à faire, tout à dire ou à écrire sur lui. C’est encore un terrain à conquérir. La plupart du temps lorsqu’on parle de Mel Gibson on n’est pas pris au sérieux.
Étienne : Et tant mieux ! On se rend bien compte que les critiques, les passeurs de cinéma, se sont, à un moment donné, retrouvés confrontés à cela. Dans les années 80, quand tu faisais la promotion de John Carpenter ou de Dario Argento, tu n’étais pas non plus pris au sérieux… Et, vingt ans plus tard, tu vois ce qu’il en est… Je suis convaincu que lorsque Mel Gibson sera vieux et qu’il fera des films plan-plan c’est là qu’il sera pris au sérieux. On attend toujours que les réalisateurs crèvent…
Des adhérents de Films en Bretagne ont pu vous découvrir lors des dernières rencontres professionnelles de Saint-Quay-Portrieux où vous organisiez un blind-test spécial cinéma en Bretagne. Que retenez-vous de la production locale ?
Antonin : Un exemple tout trouvé, c’est Cochon qui s’en dédit de Jean-Louis Le Tacon. Pour moi c’est au top 100 des meilleurs films.
Étienne : C’est le Massacre à la tronçonneuse breton ! Le film met la barre tellement haut en terme de choc, que c’est compliqué ensuite de redescendre et d’avoir autant d’enthousiasme…
Antonin : Où le Salo ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini en 30 minutes. C’est incroyable. Si tu as la flemme de te retaper Salo, tu te fais Cochon qui s’en dédit, tu as tout sur l’aliénation, l’immoralité du pouvoir… C’est un miracle de film. Il y a Pascale Breton aussi sur qui nous avons fait une émission après la sortie de son dernier film Suite Armoricaine. J’avais été le voir par curiosité à Travelling en me disant : « filmé à Rennes, ça risque d’être lamentable… Ça sent le sous Desplechin avec plein de motifs du ciné français qu’on connaît bien, de classes supérieures, prof de fac qui revient au pays, un récit choral… ». Ça puait le cinéma d’auteur français des années 90 ! Je n’y croyais pas et j’ai été cueilli. Je me suis aussi dit qu’il était incroyable de voir à quel point il avait été aussi mal reçu. Où plutôt « pas reçu ». Les critiques étaient relativement bonnes mais j’ai halluciné de voir à quel point le film avait été réduit à sa dimension régionale. Le rapport du cinéma français à son territoire m’intéresse beaucoup. Il n’y en a pas ! En comparaison, avec le cinéma américain c’est le contraire. Le territoire américain est cartographié par son cinéma. La France a un cinéma qui ressemble à son système d’organisation jacobin.
Étienne : C’est aussi pour cela qu’à un moment donné Jean-François Stévenin nous passionne.
Antonin : Oui, ou Alain Guiraudie ! Mais on parle là d’exceptions. L’en dehors de Paris est surtout traité comme un retour au pays. On a bien vu ça chez André Téchiné par exemple qui a beaucoup filmé des dialogues entre un retour à la campagne et un provincial qui monte à Paris… Mais on est toujours dans cette relation avec Paris. On la quitte pour un retour à la campagne façon Jean Becker et tous les trucs comme ça… Tout ça se retranscrit aussi dans l’usage de la langue. Dans le cinéma français, tout le monde parle le même français… À part chez Robert Guédiguian ou Alain Guiraudie. Et lorsque l’on fait de la comédie comme Bienvenue Chez les C’htis de Danny Boon d’un coup il va y avoir un mec avec un gros accent et « c’est bien rigolo ». Les façons de parler d’une région à une autre ne sont pas du tout documentées par le cinéma français.
Quel avenir pour le Cinéma est mort ?
Antonin : On aimerait beaucoup s’entretenir avec Joël Séria… Les Galettes de Pont-Aven ça va au-delà de la gaudriole pour moi, c’est un très grand film. À un moment donné nous avions aussi évoqué Alain Jessua, un cinéaste français tombé dans l’oubli et l’un des rares à avoir œuvré dans le genre ou le fantastique dans les années 70. Un film dingue : Les Chiens, avec Gérard Depardieu. Ou Paradis pour tous avec Patrick Dewaere. De façon générale, il y a un continent oublié à redécouvrir, c’est le cinéma français dit populaire – à défaut de trouver un autre nom – des années 70. Tu ne le vois pas dans les histoires du cinéma.
Les coffrets DVD « Le cinéma français c’est de la merde » par Distorsion sont dans cette logique, non ?
Étienne : Il y a des très bons films dans ces collections, oui.
Antonin : Je pense aussi à des gens comme Henri Verneuil. En terme économique c’est probablement toujours le réalisateur français qui a fait le plus d’entrées depuis le début du cinéma. Pour de jeunes générations, c’est un mec qui n’a aucune existence. Tu peux entrer en cinéphilie et ne jamais tomber sur son nom ! Il y a tout un pan du cinéma qui n’existe plus et qui sans doute fera son retour. D’ailleurs, c’est significatif qu’un film comme Rabbi Jacob de Gérard Oury ressorte et que ce soit Carlotta qui s’en occupe. On voit bien qu’on fait partie d’une génération dont la cinéphilie a commencé avec la télévision, et on se rend bien compte que les films qu’on y a vus ne passent plus. Ou alors que certains passaient il y a 15 ans en prime time, et maintenant passent sur Arte. C’est une sacrée évolution ! Terminator 2 de James Cameron, maintenant, c’est sur Arte ! Les Louis de Funès, c’est Arte aussi ! Ces films, très majoritaires à leur époque, avec lesquels nous avons un rapport très fort lié à l’enfance, font partie du patrimoine. C’est d’ailleurs toujours ces films que nous serons tentés de montrer à nos enfants. Pour une génération qui a 20 ans et qui ne regarde probablement pas la télé, ces films n’ont pas d’existence. Il n’y a pas de Tarantino français qui remettrait au goût du jour ces cinéastes comme lui a pu le faire, avec des Corbucci, Fulci, John Flynn, ou Richard Sarafian.
Étienne : En même temps, nous avons vécu la même chose avec notre propre génération et des cinéastes plus vieux comme Julien Duvivier et tous ceux qui ont été démolis par la Nouvelle Vague et qui ont disparu dans les années 80. On n’en parlait plus non plus.
Antonin : Je ne tomberai jamais dans le facilité de dire que la Nouvelle Vague c’était de la merde. Ce fut un apport esthétique considérable et qui a donné un paquet de films incroyables. Mais clairement, question historicité, elle a fait beaucoup de mal, elle a dicté une façon de voir le cinéma. En lisant, par exemple, Jean-Michel Frodon et son histoire du cinéma français, il consacre 10 lignes à Verneuil mais 10 pages à Philippe Garrel, 20 pages à Jean Eustache… Oury, Verneuil, Zidi, Molinaro et Cie, ils n’existent pas. Eux c’est le Mal, le cinéma commercial.
Étienne : Rappelons quand même que le but ultime de l’émission c’est de rencontrer et de faire un entretien avec Mel Gibson.
Antonin : Ouais. Quand il fera un séjour à la thalasso de Carnac. Et après on arrêtera.
Léo Dazin
Pour en savoir plus :
Les émissions sur youtube
Les podcast sur Canal b
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À noter : Ce début d’année sur Canal B, une émission critique sur le court métrage en Bretagne fera son apparition. Elle sera animée par Antonin Moreau, Antoine Lareyre et Léo Dazin. La première émission sera consacrée au travail de Lisa Diaz. Un prélude a déjà été enregistré.