« LE CHANT DES HUÎTRES » : entretien avec le réalisateur (par Mathilde Gaillard)


Le Chant des huîtres est un court métrage mêlant comédie et musique. Une comédie musicale pour le moins décalée puisqu’aucun acteur·rice ne chante ni ne danse. Le récit prend place dans le Morbihan, au milieu d’un élevage d’huitres qui vont être amenées à chanter les émotions de Pablo, jeune homme timide épris d’une femme à qui il n’arrive pas à avouer ces sentiments.

J’ai rencontré Sébastien pendant la préparation de son film, et ai pu suivre d’un regard bienveillant et curieux l’évolution du projet jusqu’à sa sortie en salle aujourd’hui.


Entretien avec Sébastien Perret, réalisateur du film

Mathilde Gaillard : J’aimerais te demander de nous raconter comment tu as eu cette envie de film, et quel est ton rapport à la comédie musicale ?

Sébastien Perret : À l’origine de ce film, il y a eu un rêve (littéralement), celui d’une huître qui se met à chanter. Un rêve qui s’est manifesté plusieurs fois dans la même nuit, à tel point qu’en me réveillant, l’image de cette huître m’est restée. Ça m’a fait beaucoup rire mais honnêtement je n’ai pas tout de suite considéré que ça puisse être le point de départ d’un film. Plusieurs mois après, j’y pensais encore. J’étais bloqué sur l’écriture d’un autre film, alors j’ai décidé de donner une chance à cette huître castafiore, ne serait-ce que pour m’amuser. Si les huîtres chantaient, il fallait que ce soit pour exprimer ce que le personnage principal n’osait pas dire. C’est ainsi que l’histoire d’amour entre Pablo et Darya s’est tissée, avec les huîtres pour entremetteuses. Ce qui était au début une écriture récréative s’est finalement transformée en court métrage. Je me rends compte maintenant que c’est assez fidèle à la méthode surréaliste finalement, puiser dans les rêves pour exprimer l’intime.

Pour ce qui est du film musical, c’est un genre que j’adore. J’ai fait beaucoup de musique avant de m’intéresser au cinéma, et ma cinéphilie a été marquée par de nombreuses comédies musicales dont la plus marquante pour moi a été West Side Story. Ce qui me plaît le plus dans ce genre, c’est son émotion et son audace ! Et c’est ce que j’ai essayé d’insuffler dans Le Chant des huîtres.

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Mathilde : On l’a dit, aucun humain ne chante ni ne danse dans cette comédie musicale. Ce sont des marionnettistes qui animent les huîtres en direct au plateau. Quel travail de recherche a-t-il fallu mener et avez-vous eu recours à des effets numériques pour compléter ?

Sébastien : Ce qui m’a toujours guidé dans l’écriture et la fabrication du film, c’était l’envie de placer les personnages et les huîtres sur le même plan de réalisme. Je voulais qu’on puisse croire que n’importe quelle huître puisse s’animer et se mettre à chanter. J’ai donc rapidement écarté la possibilité d’animer les huîtres en stop motion pour favoriser la prise de vue réelle qui nous permettait de filmer ensemble Pablo et ses compagnonnes iodées. Travailler avec des marionnettistes s’est donc révélé la meilleure des possibilités. Seul hic, je n’y connaissais rien. C’est grâce à une amie qui m’a mis en contact avec le Théâtre de la Halle Roublot en région parisienne, que j’ai rencontré Adèle Couëtil et Félix Blin Bellomi avec lesquels nous avons fait plusieurs résidences pour aboutir à la création des marionnettes et à leur manipulation. Si la création des marionnettes à fils (4 fils par huître) s’est révélée relativement simple, recréer la membrane intérieure des huîtres nous a demandé plus de recherches pour obtenir ce rendu gélatineux et liquide si spécifique. C’est finalement en sculptant de la cire chauffée pour reproduire la membrane dans la coquille puis en ajoutant un mélange de Slime et de liquide désinfectant que nous avons obtenu le résultat espéré : à savoir une belle huître bien baveuse mais raccord à chaque prise !

Les effets spéciaux numériques, réalisés par JPL à Rennes, sont venus effacer les fils et accompagner l’animation des huîtres. Nous avons effectué plusieurs tests en amont du tournage pour affiner la position des fils sur les huîtres et notre manière de les filmer afin de faciliter la tâche au studio. C’était une étape de préparation exigeante mais passionnante !

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Mathilde : Faire danser les huîtres, c’est fait. Mais pour la chanson, qu’en est-il ?

Sébastien : J’ai eu l’immense plaisir de travailler avec les géniaux Catastrophe à la composition de la bande originale du film ! J’ai écrit les paroles et les Catas ont mis leur fantaisie et leur talent à profit pour composer les chansons. On s’est rencontrés assez tôt dans le processus d’écriture du film ce qui nous a permis de chercher la couleur de la bande originale et de parfaire les chansons jusqu’au tournage. C’était un processus très intuitif et joyeux : on s’échangeait des références, je leur envoyais les paroles avec parfois des idées de mélodie, puis ils m’envoyaient des maquettes et on se retrouvait pour valider les chansons quasiment a capella. On a enregistré des démos de chacune des chansons sur un bpm précis en amont du tournage afin que les marionnettistes puissent s’entraîner à faire chanter les huîtres en synchronisation avec les paroles. C’était un travail méticuleux qui s’est révélé très précieux sur le tournage.

Enfin, j’avais envie que ces chansons évoquent le personnage dont Pablo est amoureux, Darya, qu’elles évoquent un ailleurs méditerranéen désirable mais mystérieux et inaccessible. Le son cristallin du bouzouki (guitare grecque) convoque tout cela, la romance en plus. Ainsi nous avons fait la rencontre du bouzoukiste grec Dimitri Mastrogioglou qui a composé deux instrumentaux et agrémenté les chansons des Catastrophe avec brio !

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Mathilde : Les deux personnages principaux dans ce film sont en quête de synergie amoureuse. Leur histoire répond à la fois aux codes de la comédie romantique qui met toujours en scène une ambition amoureuse qui l’emporte sur tout avec des relations hétéronormés convenues (il est attendu de l’homme qu’il fasse le premier pas, par exemple). Pour autant, Pablo et Darya ont de vraies aspérités dans leur langage/accent, leur apparence, leur attitude, ce qui les rend réalistes et attachants selon moi. Ce décalage des personnages vis à vis de la norme, tout en étant dans un genre de film codifié est-il une intention que tu as eu dès le début ?

Sébastien : Oui, tout à fait ! Il ne t’aura sûrement pas échappé que les huîtres sont particulièrement impertinentes avec Pablo qu’elles ne manquent pas de chambrer sur sa lâcheté. Tout le film est teinté de cette ironie mordante, d’une lecture au second degré que les huîtres proposent dans l’histoire d’amour entre Pablo et Darya que j’ai effectivement construite en jouant avec les canons de la comédie romantique.

Je crois que le silence est plus révélateur de nos émotions que les mots, c’est en tout cas ce que j’ai voulu explorer avec le soudain mutisme de Pablo qui s’abat sur lui à la faveur d’un éclair – motif romantique que je me suis amusé à détourner – comme une malédiction pour le punir de sa déclaration d’amour raté. Ce qui m’intéresse au fond, c’est la question du langage. Qu’il s’agisse de Pablo ou de Darya, chacun a un rapport à la langue qui est empêché : Pablo par son mutisme et Darya par sa maîtrise récente de la langue française. Ils vont devoir apprendre à retrouver leur complicité en dehors des mots.

Si on croit que c’est Pablo qui doit faire le premier pas, on découvre à la fin que Darya l’avait en réalité déjà fait… Et il ne reste à Pablo plus qu’à trouver le courage d’accepter le jeu de Darya et d’y répondre pour sceller leurs destinées, à la faveur d’un glaçon brisé (no spoiler), et sous les jets de glace pilée orchestrés par les huîtres. “Ben voilàààààààà”, chante tonitruante l’huître Castafiore pour clôturer le film !

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Mathilde : Une certaine dose de savoir-faire breton a été mis à contribution dans ce film, peux-tu nous en dire plus ?

Sébastien : Evidemment ! J’ai déjà parlé de notre collaboration avec le Studio JPL, localisé à Rennes, dont le travail d’effets spéciaux en post-production sur le film a été ô combien précieux pour donner vie à nos huîtres chantantes. Nous avons également travaillé avec le studio Transperfect à Rennes pour le mixage et l’étalonnage du film. Tout le son s’est d’ailleurs fait en Bretagne (mise à part la musique) sous la houlette de Pierre-Albert Vivet (ingénieur son, monteur son et bruiteur), et de Damien Tronchot au mixage. Sur le tournage, de nombreux·euses chef·fes de postes et techniciens·nes venaient de Bretagne également, les figurant·es aussi. Également les ostréiculteur·rices qui nous ont ouvert leurs exploitations dans le golfe du Morbihan pour le tournage mais aussi en amont pour nous en apprendre sur leurs métiers. Et enfin, le soutien précieux de la région Bretagne et des chaînes locales bretonnes !

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Mathilde : Pour finir, as-tu d’autres envies de films dont la fabrication t’inviterait à poursuivre dans un cinéma de trucage, de bidouille et d’inventions multiples ?

Sébastien : Oui, j’écris de prochains projets de films qui convoquent le fantastique et pour lesquels je compte poursuivre cette démarche de création artisanale d’effets spéciaux en réalisant un maximum de trucages sur le tournage, en collaboration avec des maquilleurs SFX et des marionnettistes. L’expérience du Chant des huîtres me conforte dans cette voie et m’aide à mieux m’y préparer, dès l’écriture.

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Mathilde : Merci pour ce partage, et on souhaite à ton film une belle vie en festival !

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Entretien mené par Mathilde Gaillard, octobre 2024.


SUR LE RÉALISATEUR : SÉBASTIEN PERRET

PORTRAIT_SEBASTIEN_PERRET

Sébastien se forme en écriture et réalisation pour le cinéma à l’Université La Sorbonne à Paris. Il achève sa formation en écriture au sein du Master Scénario de Paris-Nanterre.

Sébastien aime raconter des histoires intimes au cœur d’univers décalés et oniriques, situer ses récits à la croisée de différents genres cinématographiques. Ses films et projets explorent les conflits intérieurs de personnages souvent débordés par leurs émotions, qui cherchent à les étouffer, voire les fuir.

Le Chant des Huitres, produit par Avenue B Productions, est son premier film. Sébastien travaille également sur d’autres projets, notamment une série Life on mars, récompensée de la bourse du CNC, et un long métrage, La Mémoire de l’eau, sélectionné à la résidence de l’Atelier Long Métrage de la Scénaristerie.


SUR LE FILM : LE CHANT DES HUÎTRES

Le Chant des huîtres de Sébastien Perret

Morbihan. Pablo cherche à déclarer sa flamme à Darya mais il panique… La foudre s’abat alors impitoyablement sur lui et lui ôte la voix. Dès lors, un quatuor d’huîtres se met à chanter pour l’exhorter à rejouer ce rendez-vous manqué.

22 minutes • France • 2024

Réalisation et scénario : Sébastien Perret • Avec : Andranic Manet, Yovel Lewkowski et Louisiane Gouverneur • Directrice de la photographie : Margot Besson • Monteur image : Youri Tchao Debats • Mixeur : Damien Tronchot • Étalonneuses : Marina Amaro et Johanna Dalmede • Compositeurs : Catastrophe avec la participation de Dimitrios Mastrogioglou et de Sébastien Perret

Une production Avenue B ProductionsAudrey Smadja Iritz