« LA VIE TOTALE » : l’art comme puissance transformatrice 


« La vie totale, c’est l’histoire d’une rencontre entre un écrivain qui n’écrit plus et une peintre qui peint beaucoup » comme le raconte le réalisateur Samuel Poisson-Quinton…

Le point de départ est ainsi posé. Francine et Samuel habitent sur l’île de Groix, à proximité l’un de l’autre. Samuel va souvent aider Francine pour des petits travaux au jardin, pour réparer des trucs cassés, ou tout simplement pour passer un moment avec elle. En échange de ses services rendus, Francine offre des tableaux à Samuel. Parce que Francine peint beaucoup et passionnément. Tous les jours, et de tout : des portraits, des paysages, des chiens, des copies d’œuvres célèbres…Samuel, lui, est écrivain mais traverse un moment où il n’arrive plus à écrire. Alors, il décide de prendre la caméra. Il filme Francine, et raconte son histoire, leur histoire.


RETOUR D'ÉCRAN (PAR Lubna BEAUTEMPS)

L’histoire d’une Rencontre

La vie totale est d’abord un film d’une rencontre, d’un lien d’amitié qui se tisse, au fil du temps. On entrevoit les journées passées chez Francine, leur moment de discussion ou même ces moments de vide qu’ils passent côte-à-côte. Il laisse les moments suspendus et les silences que la voix off ne vient pas combler. Il nous ouvre une fenêtre de leur quotidien que l’on se plait à imaginer…l’envie est là de passer un instant avec eux. Il y a des films où l’on se dit qu’on aimerait bien vivre dedans, même un instant. La vie totale est de ceux-là.

On mesure leur lien au nombre de tableaux accrochés chez Samuel. Leur amitié est étroite, si bien que Francine confie même son journal intime à Samuel pour qu’il le recopie sur ordinateur.

 

Journal intime

La vie totale est une sorte de journal intime filmé. Samuel nous conte l’histoire de Francine par une voix off avec un ton, une diction presque enfantine, simple, comme celle d’un conte. Cela contraste avec la dureté de cette vie racontée. Francine n’a pas eu la vie facile, elle a été adoptée, a eu plusieurs familles d’accueil, a fait des séjours à l’hôpital, elle est sujette à l’angoisse…De cette histoire difficile, il n’en fait pas un documentaire pathos et larmoyant. Au contraire, il y a une douceur, une joie qui émane du film qui est d’ailleurs rempli de couleurs. Celles de la peinture de Francine, vives, chaudes, frappantes ; celles de la nature aussi : le bleu de la mer, le jaune des bottes de foins…ou encore celles des chemises du réalisateur.

Le film est empreint de touches d’humour et de poésie. Comme lorsqu’il recopie le fameux journal et qu’il nous fait entendre la manière d’écrire de Francine, qui « tord le cou à la langue Française » et qu’il retranscrit telle quelle : « Dans son journal, on ne va pas en discothèque, mais en dicoctèque, on écoute pas des disques, mais des diques, on n’enregistre pas des films sur un magnétoscope mais sur un magnétoque ».

Il filme la poésie du quotidien : la mer, un chien avec les oreilles au vent dont elle fera un tableau, les habitant·es de Groix avec chacun·e leur portrait de Francine (même le Maire !)…

Samuel, par cette voix off, ces couleurs, ce verbage assumé, ces gros plans de Francine souriante et apaisée, élève son personnage, ou plutôt met en scène ce qu’elle a réussi à faire elle-même : transformer sa colère, ses angoisses par la peinture qui apaise son âme, et accéder à “sa vie totale”, faite de peinture, de légumes dans le jardin… L’art, comme puissance transformatrice.  

Ce journal intime de Francine, est aussi en filigrane celui du réalisateur et d’une quête.

 

La quête 

Dans la vie totale, Samuel questionne l’acte de création. La vitalité de Francine qui peint tous les jours le fascine, lui qui n’arrive plus à écrire. Comment commence-t-elle à peindre ? A quoi pense-t-elle quand elle peint ? Réfléchit-elle beaucoup avant de se lancer dans un tableau ? Ses réponses désarçonnent par leur simplicité…elle suit son instinct et cette nécessité de peindre. Il la filme dessiner les contours de sa peinture, choisir les couleurs et les appliquer avec soin, il filme ses tableaux en gros plans, nous donnant à voir cette matière…

A travers ces questions, à travers le portrait de Francine, on devine sa quête du moment : celle d’un écrivain cherchant à (re)trouver l’inspiration. Le film est ponctué de scènes où le réalisateur déambule, au sens propre comme au figuré. Il marche, il évoque ses pensées, il chantonne, nous offre des plans de la mer ou de la nature. Au début, on le voit peu à l’écran et jamais nettement : il est loin, de profil, la tête baissée, comme effacé. Il se révèle au fur et à mesure du film, et on le voit enfin plein cadre à la fin, quand Francine peint son portrait. On se plaît à interpréter cela comme s’il s’était enfin (re)trouvé, grâce au miroir que lui tend Francine.


LE FILM

 

Sur l’île de Groix, en Bretagne, vivent une peintre et un écrivain. La peintre peint beaucoup, l’écrivain, lui, est en panne d’inspiration. Tous deux se rencontrent autour d’un jardin. Au fur et à mesure de leurs échanges, une amitié se noue et un film s’invente à partir du journal de vie de la peintre, Francine Guillon, faisant la part belle à son travail artistique.

47 minutes • France • 2022
Prix & Sélections en festivals :  Sélection îles du Ponant FIFIG 2022

Avec Francine Guillon • Réalisation: Samuel Poisson-Quinton • montage : Sarah Turoche-Dromery • Mixage son : Nicolas Javelle • autoproduction

 

 




L'AUTEUR

 

Samuel Poisson-Quinton est né à Paris en 1980.
Auteur et vidéaste, il vit aujourd’hui en Bretagne. Après des études de littérature, il se forme à l’image et réalise plusieurs courts métrages autoproduits ainsi qu’un premier film documentaire
Le jeune homme et la mort sur les résidents d’une maison de retraite où vit sa grand-mère paternelle. Le film est récompensé en 2012 par le prix Qualité du CNC et obtient une mention spéciale du jury au Festival du film d’éducation d’Évreux. Pour gagner sa vie, il exerce différents métiers, comme commis de cuisine, ouvrier ovin ou agricole. En 2016, il intègre le master Création littéraire de l’Université Paris 8. Son premier texte, Un père à la plancha, est paru aux éditions Gallimard dans la collection « L’Arbalète » (2019).
Parallèlement à ses travaux d’écriture, au printemps 2019, il commence un journal filmé relatant les mésaventures d’un auteur en panne d’inspiration.