GILLES MOUËLLIC : Il est des rencontres que l'on fait dans une vie…


Nous avons appris la semaine dernière avec beaucoup d’émotion le décès de Gilles Mouëllic, enseignant – chercheur en études cinématographiques à l’Université Rennes 2 depuis de nombreuses années. 

Gilles Mouëllic a intégré l’Université Rennes 2 en 1998 en tant qu’ATER (Adjoint Temporaire d’Enseignement et de Recherche), puis est devenu Maître de conférences en Etudes cinématographiques et Musique, avant d’accéder au titre de Professeur en Etudes cinématographiques en 2006. 

Il a dirigé le département de Musique et le département des Arts du spectacle, il était également Directeur de la section française du partenariat international de recherche TECHNÈS (Montréal, Rennes, Lausanne, 2015/2022), responsable scientifique et porteur, avec Jean-Baptiste Massuet, du programme de recherche Beauviatech (ANR, 2018-2021)…ainsi que chercheur associé à l’ARIAS et au GRAFICS (plus d’informations dans le lien ci-dessous). 

Outre de nombreux articles et conférences consacrés aux rapports entre la musique et le cinéma en général – et le jazz et le cinéma en particulier – il est l’auteur de plusieurs ouvrages qui ont marqué la recherche cinématographique : 

  • Meurtre d’un bookmaker chinois de John Cassavetes – 2017 – Crisnée
  • La Musique de film – 2003 – Cahiers du cinéma
  • Le Jazz. Une esthétique du XXème siècle – 2000 – Presses Universitaires de Rennes
  • Jazz et cinéma – 2000 – Cahiers du cinéma

Son abondante activité de recherche était accompagnée par son travail de Professeur à l’Université Rennes 2 où il enseignait le jazz et le cinéma en Licence et Master avec des cours comme Analyse de film, Musique de film, L’improvisation, séminaire autour de l’histoire des techniques de prises de son, séminaire sur les relations entre techniques et esthétiques, etc. Il a également accompagné 12 thèses, 19 mémoires de maîtrise et 50 mémoires de master 2. 

Beaucoup d’étudiant·es sont passé·es par le département Arts du Spectacle de Rennes 2, nombre d’entre eux·elles ont été imprégné·es par ses enseignements et sa pensée vivifiante du cinéma qui a marqué plusieurs générations de cinéphiles, qui pour certain·es travaillent aujourd’hui dans le cinéma ou font vivre la cinéphilie rennaise et ailleurs… 

Suite à sa disparition, pour lui rendre hommage, voici plusieurs témoignages d’ancien·es étudiant·es qui ont souhaité exprimer la trace qu’il avait laissé en eux·elles.  

Liens connexes pour connaître toute son activité de recherche et son parcours : ICI


Comme beaucoup d’étudiants et d’étudiantes passé·es par la fac Arts du spectacle, je garde un souvenir fort des enseignements de Gilles Mouëllic. Arrivée à la fac par amour du cinéma et par curiosité d’en apprendre plus, il a été l’un de ceux et celles qui m’a appris à réfléchir sur cet art, à mettre des mots sur des sensations, des intuitions, il m’a appris à analyser un film, à le voir en profondeur, pour souvent, l’apprécier encore davantage.

Ses cours sur l’improvisation au cinéma m’ont beaucoup marqué et m’ont fait découvrir le cinéma de Cassavetes, Pialat, Kechiche, Rabah Ameur-Zaïmeche, cinéaste que j’affectionne particulièrement. Improviser à l’intérieur du cadre, créer les conditions pour faire surgir des formes nouvelles…que ce soit dans le Jazz, le cinéma, ou même la vie, c’est une manière d’être au monde, et de le donner à voir, à le (res)sentir. 

Cela sonne aussi comme une certaine philosophie de la vie, dont j’aime me rappeler. 

Bel orateur, je buvais ses paroles, curieuse d’écouter sa prochaine leçon de cinéma qui parfois destabilisait par le prisme qu’il empruntait pour nous faire voir autrement une œuvre. Il nous poussait à la réflexion et avait une certaine exigence qui nous donnait envie d’aller plus loin, dans notre analyse, notre manière de penser le cinéma. Il fût aussi celui qui m’a fait découvrir Millenium Mambo, de Hou Hsia-Hsien une oeuvre qui reste aujourd’hui l’une de mes préférées, imprégnée en moi, tout comme la musique qui traverse tout le film. 

Gilles Mouëllic a laissé son empreinte. 

Toutes mes pensées à sa famille, ses proches et à l’ensemble des professeur·es qui ont évolué à ses côtés. 

Lubna Beautemps, Films en Bretagne ; Animatrice de l’émission Un Court en dit long.

Gilles a été l’un des meilleurs professeurs que j’ai rencontré, pour la simple raison qu’il nous a appris l’improvisation au cinéma, mais il nous a aussi appris à improviser notre vie pour la vivre entièrement, et passionnément comme il avait pu le faire.

Je me souviendrai toujours d’une journée de travail et de communications un samedi à Rennes II où il est venu me voir pendant le déjeuner pour me dire « Mais que fais-tu là ? Il fait beau, on est samedi, va vivre autre chose, c’est maintenant ou jamais ! ». Je ne l’ai pas fait évidemment mais sa sagesse, mélangée à sa fougue, a été essentielle dans mon parcours.

La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était avec un autre passionné de jazz, Thierry Jousse, autour d’un whisky sec, où encore une fois je l’écoutais si attentivement, et j’apprenais encore et encore.

Je pense très fort à sa famille, à ses amis, et toutes ces personnes comme moi qui ont grandi grâce à lui.

Pascaline Bonnet, assistante de production chez France culture 

D’après le souvenir que j’en garde, M. Mouëllic était quelqu’un de brillant et d’érudit. Il était capable d’éclairer ses étudiants sur de nombreux sujets, de les conseiller de manière avisée dans leurs travaux de recherche et de nous partager son goût du cinéma et de la musique, le tout avec une éloquence naturelle. Je n’oublierai jamais ce cours où il analysait Les Lumières de la ville de Chaplin. Alors même que je tenais déjà le film en grande estime, en portant notre regard sur une portière de voiture ou sur les cabrioles de Charlot sur une statue commémorative, je suis ressorti de l’amphithéâtre en aimant le film plus encore que lorsque que j’y suis rentré, tant mon regard s’était étendu en l’écoutant nous en parler. C’est pour ces instants où il réussissait à faire grandir notre amour et notre compréhension des films, pour ces encouragements et pour sa générosité intellectuelle que je conserverais une haute idée de ce professeur, duquel je suis pourtant resté assez distant durant mes études de cinéma à Rennes 2.

Alexandre Caoudal, Critique de cinéma pour la revue Apaches et les podcasts En Intervalle et Toute une nuit. 

C’est avec une grande peine et une profonde affliction que nous avons appris le décès de Gilles Mouellic. Tous les membres de notre émission ont « eu affaire » à Gilles à un moment donné de notre vie. Beaucoup l’ont eu comme professeur, certains sont devenus ses collègues, et même des amis. Gilles a été pour beaucoup d’entre nous un choc intellectuel, il était si passionné, passionnant, plein de vie et d’enthousiasme sur le cinéma, la musique… Plus qu’une parole professorale, Gilles encourageait au dialogue et au débat il ne voulait pas monologuer mais provoquer la réaction, le verbe, stimuler ses étudiants. S’il nous rentrait dedans, nous poussait dans nos retranchements et nos réflexions, ce n’était jamais pour nous faire croire que lui savait, mais parce que nous aussi nous pouvions le savoir. Il était inlassablement curieux. Il avait probablement son « numéro » de professeur, qui tous les ans répète le même discours, mais toujours dans des variations de jazzmen. Ce qui nous a tous marqués, alors que nous étions dans un milieu universitaire où tout le monde a la tête dans des films et des écrits, c’est ce qu’il nous avait répété, avec croyance, avec insistance, avec une lueur dans le regard, qu’étudier, voir, écouter, lire, analyser des œuvres d’arts était quelque chose de beau, de digne, mais que surtout il ne fallait pas oublier de vivre autre chose. De sortir, de ressentir, d’aimer. Pour mieux aimer le reste. Car la vie est « ce qui arrive quand on a appris tout le reste ».

Si la tristesse durera toujours, son souvenir nous accompagnera également pour le reste de nos existences. 

L’Équipe d’En Attendant Godard, présente et passée – Emission de radio de cinéma diffusée sur C-LAB 

Comme beaucoup de ses étudiants, j’ai d’abord et avant tout appris de ses cours. Et de ses livres.
Sa parole fonctionnait comme une invitation au dialogue.
À l’amour des films.
De leurs musiques.
Intérieures.

Apprendre / découvrir avec lui, en cours, ce que peut l’analyse filmique.

Autodidacte amoureux de Millennium Mambo de Hou Hsiao-Hsien (2001) avant de découvrir les études de cinéma en 3ème année (je venais d’histoire) à Rennes 2, je comprends au fur et à mesure du cours de Gilles pourquoi. Comment.

Assister et participer à son séminaire de Master autour de l’improvisation au cinéma fut et reste un moment inoubliable de mon rapport au cinéma. Et à la parole sur.

Cette manière de nous parler de « direction de l’intérieur », en discutant de séquences de films de John Cassavetes, Jean Renoir ou Rabah Ameur-Zaïmeche, fait partie de moi.
De ma manière de penser les films.

Ce séminaire accompagnait la fin de la rédaction de son magnifique livre, « Improviser le cinéma » chez Yellow Now.

Je me revois l’employer, cette idée, « diriger de l’intérieur » , au cours d’une Masterclass et d’un entretien pour la revue Répliques avec Noémie Lvovski et comprendre combien elle pouvait être opérante. De même avec Bruno Podalydès. Et d’autres.

Dans le travail concret d’un film, de l’écriture au tournage, combien ses idées / concepts ont forgé mon rapport à la théorie sur la pratique du cinéma.

De nos discussions en marge des cours, des journées d’études, des colloques, je me souviens de sa curiosité de tous les instants. Insatiable.

Gilles était au présent.
Et au présent, toujours, pour moi.
À l’écoute.

Erwan Floch’lay, programmateur et exploitant, Critique de cinéma pour la revue Répliques 

Un des meilleurs profs de Cinéma que j’ai eu à Rennes 2.
Souvenir incroyable d’un cours sur Conte d’été de Rohmer où je rentrai en ricanant pour en sortir avec l’impression d’être moins con.
Je l’ai croisé par hasard l’année dernière sur les lieux même du tournage du film et j’avais été heureux de pouvoir lui dire tout le plaisir que j’avais pris à ce cours en particulier. Malheureusement, je suis encore plus heureux aujourd’hui d’avoir eu l’occasion de lui dire de vive voix. On ne dit jamais assez aux professeurs à quel point un bon enseignement peut avoir un impact sur des vies.
Je lui dois aussi ma découverte du Cinéma de Jean-François Stévenin qu’il avait fait venir à Rennes il y a 20 ans pour un entretien et une projection mémorables. J’y pense beaucoup car à l’image du cinéma de Stévenin, l’enseignement de Gilles Mouëllic donnait envie de vivre.
Toujours curieux du cinéma contemporain, ses visites régulières au Cinéma Arvor marquées par des enthousiasmes et des énervements vont me manquer.

Antonin Moreau, programmateur et critique de cinéma (Cinéma Arvor / Emission Le Cinéma est mort)

Gilles Mouëllic avait 61 ans. Ses obsèques ont eu lieu le mardi 20 juin 2023.