De l’autoproduction à la production, le fil rouge de la passion


Après un premier court-métrage réalisé en autoproduction accueilli très favorablement par le public et les professionnels – Tard sur le port, en 2015 –, Maël Diraison se prépare à la réalisation d’un nouveau film pour lequel il rejoint les rails du sérail : Anna Jaouen. Cette fois, cette fiction courte bilingue français-breton est produite par Anna Lincoln chez Kalanna Production. Une nouvelle aventure dans le parcours d’un jeune homme inspiré qui n’aime rien tant que la réalisation. Action !

Promis à une carrière de professeur de français par sa famille finistérienne qui le voit dévorer les livres depuis qu’il est petit, Maël s’ennuie sur les bancs de la fac qu’il a tôt fait d’abandonner pour faire ce qui le tient au corps et à coeur : le jeu, le texte, la scène, la comédie. Du théâtre ! Les répétitions dans les appartements des copains durent un certain temps, joyeux, avant que les effectifs s’étiolent et que Maël se décide à (re)prendre sa carrière en main, résolument. Les limites de l’apprentissage en tant qu’autodidacte se font en effet sentir – « je n’avais pas la force intellectuelle et plus la force tout court pour continuer d’apprendre seul », confie Maël –, et après avoir tenté l’aventure de la vie grandeur nature – il occupe durant quelques mois  différents postes en supermarché, inspiré par la démarche des « Etablis », avant de travailler comme livreur et de récupérer assez de temps et d’énergie pour se remettre à ses écrits – c’est le moment pour lui de se laisser enseigner. Après quelques concours sans entrée à la clé, il rejoint les Conservatoires d’Art dramatique d’Angers, puis de Brest, où il apprend à lire, et à jouer. Intensément. Il retrouve Régine Trotel, professeur de théâtre à Brest, qu’il avait connue quelques temps plus tôt et qui l’avait encouragé à marcher droit. « Elle a été un pygmalion pour moi », avoue Maël, qui dit « continuer depuis à lui envoyer ses projets. » La préparation des concours lui permet de revenir à Pasolini – le dramaturge et le poète, plus que le cinéaste –, dont il avait croisé la route sans encore oser s’arrêter, et c’est avec Affabulazione qu’il découvre une écriture et un univers, intime, familial, qui entre en résonance avec le sien. C’est un choc pour « le monde entier qu’il soulève », se souvient Maël. Pasolini reste pour lui un compagnon/référent durant des années.

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Aucun hasard à ce que l’on retrouve la figure de l’auteur du Frioul dans le premier film que Maël écrit, qui met en scène l’assassinat de Pasolini (sans en faire son personnage principal, et c’est toute l’originalité et l’intérêt du projet). Il en a tourné plus d’un avec son ami Pierre-Manuel Lemarchand, des films comme des expérimentations, tournés à l’instinct, et qui ressemblent parfois vraiment à quelque chose, comme ces Visions, sélectionné à Betton en 2014 (coréalisé avec Tristant Fauvel).  Tard sur le port sera le premier scénario, le premier désir d’un cinéma plus structuré, bientôt la première prise avec ce collectif à l’oeuvre dont Maël dit qu’il ne pourrait plus se passer désormais : « ma meilleure expérience de troupe, c’est au cinéma que je l’ai vécue, à la fois en termes d’exigence artistique, de solidarité, de puissance du collectif. Au cinéma, chacun sait le temps du tournage que c’est maintenant ou jamais, contrairement au théâtre où l’on doit remobiliser toutes les énergies chaque soir et où le désir comme le projet finissent par s’épuiser. C’est sans doute ce qui crée cette synergie et cette magie. ». Une certaine inconscience des conditions de production puis de tournage, et une détermination sans faille permettent à Maël de réunir 5000 euros et 25 forces vives pour 10 jours de tournage (des étudiants de Rennes et de Brest pour la plupart, mais aussi Guillaume Kozakiewiez à l’image et Maude Gallon à la déco, deux professionnels aguerris dont Maël est convaincu qu’ils ont « sauvé le film ».). Un projet low cost si l’on s’en tient à l’aspect financier, mais un court-métrage des plus fortunés eu égard au nombre de jours de tournage, et aux personnes qui ont fait don de leur énergie et de leur temps sans compter pour que ce drame nocturne voit le jour ! Une nouvelle fois sélectionné à Betton, le festival du Film de l’Ouest célèbre le talent du jeune réalisateur. Tard sur le port devient sa carte de visite pour la suite…

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Après celui de l’autoproduction, le temps, « long! » de la production est venu pour Maël Diraison. Il se remet à l’écriture entre deux ateliers théâtre dans l’idée de faire, cette fois, « une comédie solaire ». Il est rattrapé par son histoire familiale et par le destin de sa grand-mère en particulier, noir… « Tout est parti d’une image, celle d’une femme lavant son linge à la main dans un village de Bretagne dans les années 70. J’ai réalisé qu’elle n’avait pas l’électricité, ça a été un choc pour moi, ce retard qu’avait la Bretagne par rapport aux autres régions françaises ! Je me suis intéressé de plus près à cette période de mutation pour la région. » Comme dans Tard sur le port où il abordait la question de l’emploi et l’histoire brestoise par la bande, Maël Diraison raconte l’histoire de sa grand-mère maternelle originaire de Scaër et d’une tentative d’avortement qui lui sera fatale, cela pour rendre compte de l’état de la Bretagne reculée à une époque de mutations économiques et sociétales pour le moins brutales.

On lui fait remarquer que la question de la langue bretonne pourra être un élément important dans son scénario, Maël prend contact avec Anna Lincoln de Kalanna productions pour des questions de traduction : elle a vu Tard sur le port et veut produire son nouveau film, Anna Jaouen.  En effet, la question de la langue est l’un des enjeux du récit : « combien de parents complexés ont volontairement arrêté de parler breton à leurs enfants pour leur permettre d’évoluer dans la société, en français ? Une majorité. Ma mère fait partie de cette génération d’enfants acculturés. », raconte Maël.

Les interprètes du film seront brittophones et l’on entendra parler breton et français, à l’écran comme sur le plateau : « j’aimerais que l’équipe soit à l’image du film, à la fois brittophone et francophone. C’est ça, la modernité ! ».

Rencontré à la fin d’une courte semaine de repérages, Maël a trouvé la plupart des décors du film, qui se situent tous dans les Monts d’Arrée : « si j’ai déplacé l’histoire de ma grand-mère ici, c’est que pour moi c’est un paysage de l’enfance, qui fait vibrer quelque chose de puissant en moi et que je pense pouvoir transmettre par le cinéma. C’est aussi parce que ce sont des paysages que je trouve très beaux, et que j’ai très envie de les filmer. ».

Côté équipe, Maël regrette de ne pas pouvoir embarquer toute celle de Tard sur le port pour recommencer… Seuls les chefs de poste retrouveront leur place dans la troupe ! Et qu’il compte bien payer cette fois !

Quant à savoir ce que pense Maël de cette nouvelle expérience « en » production, il dit apprécier d’avoir « une interlocutrice, pouvoir parler du film de manière différente. C’est reposant. » Ce qu’il ne cesse de déplorer en revanche, c’est cette obstination du temps à ne pas vouloir passer plus vite : « on m’avait dit que le processus serait lent, l’attente, les commissions, et j’ai pu l’éprouver en effet. Ca reste très difficile pour moi! J’ai même eu le temps d’écrire deux scénarios, un projet en  arabe et en français. Un autre en français. Des premiers jets, pour produire ! ».

Notre jeune cinéaste peut à nouveau se réjouir car il passera bientôt à l’action : après les repérages qui viennent de commencer, les premières répétitions avec les comédiens sont prévues cet été. Le tournage, lui, aura lieu en automne, dans le flamboiement ocre-rouge des forêts des Monts d’Arrée.

Gaell B. LERAYS

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