Femme prisonnière d’un tableau, asticots marionnettistes, bouton à visage humain… Pas de doute, la programmation de Court Métrange ne s’est toujours pas assagie malgré ses treize années de sévices. A l’approche d’Halloween, le festival rennais va à nouveau ouvrir ses portes, libérant son flot de cauchemars en tous genres. A la tête de cette monstrueuse parade, Steven Pravong, président et co-fondateur du festival, trépigne d’impatience avant de rendosser son costume de Monsieur Loyal pour une édition qui s’annonce riche en déviances cinématographiques… 

 

« J’ai toujours eu un goût très prononcé pour le fantastique. Lorsque j’arpentais les festivals comme réalisateur invité ou simple spectateur, j’ai remarqué que ce genre de films était peu représenté par rapport à son réel impact sur le public. Quant aux palmarès, ils les ignoraient superbement. »
C’est de cette frustration de spectateur qu’est né Court Métrange, une manifestation entièrement dédiée au genre que Steven Pravong chérit depuis longtemps : le fantastique. Une appellation assez vaste où se retrouve une multitude de registres variés, mais que Steven définit assez simplement : « Le cinéma traditionnel vous prend généralement par la main pour vous emmener dans ses récits, tandis que le cinéma de genre vous saisit plus directement à la gorge. » Les amateurs de films bien élevés et propres sur eux sont prévenus.

Créé en 2004 avec Hélène Pravong, l’épouse de Steven, Court Métrange a fait ses première armes au Triangle, avant de s’installer au TNB, s’enrichissant au fil des années d’expositions, de conférences, de séances de pitch dating (1)… Des noms aussi respectables que Marc Caro, Lars Lundström ou Jean-Pierre Dionnet ont intégré les jurys successifs. Et, depuis son dixième anniversaire, la manifestation fait partie de la Fédération européenne des festivals de films fantastiques et propose à ce titre une compétition Méliès d’argent (2). Pourtant, quand l’idée de Court Métrange a germé dans l’esprit de Steven Pravong, la partie était loin d’être gagnée.

C’est au cours d’une banale conversation avec un ami qu’il envisage pour la première fois la création de son festival. Un désir rapidement terni par son interlocuteur : « On sortait du Cinéma des cinéastes, place de clichy, à Paris », se souvient-il. « On discutait de la programmation de la soirée. Alors que j’évoquais l’idée d’un festival de courts se consacrant aux films de genre, mon ami m’a froidement rétorqué qu’il n’y avait ni production ni public en France pour ce type de manifestation. Et il avait parfaitement raison ! » Mais nous sommes alors à l’aube des années 2000, époque où le cinéma de genre français moribond va être soudainement investi avec plus ou moins de bonheur par des réalisateurs tels que Christophe Gans, Pitof, ou encore Matthieu Kassovitz. Le vent tourne, et Court Métrange va s’en faire naturellement l’écho. « La production a beaucoup évolué, les outils se sont démocratisés. Aux débuts du festival, on a vu arriver des films à l’économie très modeste portés par de belles idées, d’autres beaucoup plus soutenus financièrement, très efficaces visuellement, mais qui n’étaient que des régurgitations malhabiles de ce que proposait la production américaine. Peu à peu, le fond et la forme des œuvres se sont conjugués. Phénomène étonnant, le public a répondu présent tout de suite. »

 

Les fauteuils vides sont effectivement rares à Court Métrange. Le secret de ce succès ? « La jauge de la salle, trop petite ! », ironise Steven. Peut-être, mais la réponse se trouve aussi dans la qualité de la programmation, choisie par des fantasticophiles gourmets qui veillent à représenter le genre dans sa plus belle diversité : gore qui tache, conte morbide, satire sociale, délire surréaliste… « Nous sommes amateurs de tout : des têtes joyeusement décapitées comme des envolées les plus poétiques. Le Fantastique offre une grande variété de tons. Les films plus superficiels, on les consomme et on les rote instantanément. L’important, pour nous, c’est de nous retrouver en présence d’un auteur. »

Composé de sept personnes, le comité de sélection se met au travail dès le mois de janvier, cherchant les perles rares dans les festivals et sur leur plate-forme de visionnage. Puis vient le temps des débats et des négociations pour définir la programmation définitive. « Ça donne parfois lieu à de belles empoignades, parce qu’on est tous passionnés. Si on aime un film, on cherche ardemment à le défendre. Mais ce qui compte, c’est l’équilibre général de la sélection. On essaie d’offrir la vision la plus panoramique du genre. »
S’ils sont des spectateurs assidus, la plupart des membres de l’équipe Court métrange ont aussi un pied de l’autre côté du miroir : réalisateurs, comédiens, directeurs de production… Steven lui-même est passé plusieurs fois derrière la caméra. Mais, étrangement, ce n’est qu’à l’occasion de son dernier court métrage, Un jour sang, qu’il s’est directement confronté au genre à travers une sombre histoire d’amour et de torture.

 

« Les chaînes me répondaient : c’est… c’est intéressant », sourit-il, « mais je savais très bien que les comités de visionnage n’accepteraient pas un tel film ! Ça ne correspondait pas à leur ligne éditoriale. Peu importe, le film existe, il a eu une belle vie, avec de nombreuses sélections en festivals, notamment à Montréal et Atlanta. Il a même été primé ! »
S’il cumule les casquettes de président, co-fondateur et sélectionneur de Court Métrange, Steven affectionne tout particulièrement celle de présentateur. Une tâche qu’il partage avec son ami Cédric Courtoux. « On est les deux crétins. C’est notre petit plaisir à nous. On se coltine la matière organique du public. Notre humour nous est parfois reproché, mais il fait partie de l’identité du festival. »

 

Jeux de mots potaches, premier degré ironique, cabotinage… Les duettistes s’en donnent à cœur joie et ne se refusent aucune vanne. « De nous deux, c’est Cédric le vrai comédien. La preuve, il joue dans mon dernier film ! Moi, je suis juste un rigolo qui aime dire des âneries … » Le couple est depuis peu rejoint par un troisième larron, l’acteur Benji Leblay : « Il a une tête d’imbécile, comme nous, il était bien naturel qu’il nous rejoigne. » Un critère de recrutement simple et objectif qui augure de saines relations professionnelles.

 

Depuis peu, la belle affiche réalisée par le studio Kerozen a fait son apparition, annonçant l’ouverture prochaine du festival. Steven se frotte les mains, prêt à savourer avec ses complices la semaine intense qui s’annonce. Puis l’équipe se remettra au travail afin de mettre sur pied le prochain Court Métrange. Une sorte d’éternelle résurrection, à l’image de celles des croque- mitaines de séries B.

Jean-Claude Rozec

Court Métrange, le festival international du court métrage insolite et fantastique, du 19 au 23 Octobre : demandez le programme.
(1)  Le pitch dating propose à des auteurs sélectionnés sur dossiers de présenter leur projets à une dizaine de producteurs invités.
(2)  Le Méliès d’argent permet au lauréat de concourir au Méliès d’or, prix du meilleur film fantastique européen, remis tous les ans au BIFF, le festival international du film fantastique de Bruxelles.

 

A suivre parmi les rendez-vous professionnels mis en place dans le cadre du festival : « Écrire et produire du cinéma de genre en France », en présence de producteurs et de scénaristes. Un rendez-vous initié par le CNC en partenariat avec Films en Bretagne.

Jeudi 20 octobre – de 17.30 à 19.00. Plus d’informations et inscriptions ici