« CHERCHEZ LE GARÇON »  : demeure la colère…


« Cherchez le garçon »… évidemment c’est Taxi Girl, et le destin presque bipolaire du duo qui portait ce groupe idolâtré…
En empruntant ce titre au patrimoine musical français, Paulin.e Goasmat ce sont mille clins d’yeux qu’ielle déclenche d’un seul coup, avec leurs joies, leurs peines, leurs ambiguïtés, leurs malices et leurs connivences, leurs colères et leurs complicités.

L’histoire est banale sur le fond : un deuil, son injustice au regard d’une jeunesse enlevée, des ami·es et une famille éploré·es. Elle l’est beaucoup moins tout à coup dans le secret que tout le monde connait… Mais qui demeure « non-partagé ».
Et c’est avec subtilité, et même beaucoup de délicatesse que le film travaille la colère et l’irrésolu, en aspirant à une normalité concernant le genre, les identités sexuelles et leur acceptation, la jeunesse aussi, avec son insouciance confisquée.

Le film est beau, ample (tourné en Scope), et pourrait-on dire « amblyope » tant son regard parvient à fendre la noirceur.
Réjouissons-nous de pouvoir le découvrir tantôt sur les écrans des festivals… En attendant, j’ai choisi d’écrire un retour d’écran épistolaire à son auteur.e (message envoyé comme à un·e double bienvenu·e).


Retour d'écran

Cher.e ami.e,

Pour commencer, il convient de préciser que j’ai eu la chance de découvrir ton film deux fois… Une première fois dans une copie de travail, en visionnant un écran de 13 pouces, autrement dit à l’arrache : je me suis laissé surprendre par les personnages, le beau casting du film, et son iconographie passionnée. La seconde fois, en projection privée, sur grand écran, avec la claque du cadre et de la lumière en plus… la claque du cinéma quoi!

Je souhaite revenir d’abord sur le premier visionnage, sur écran 13 pouces, donc… rongé par l’impatience de découvrir ce Cherchez le garçon dont nous avions tant parlé, et si longtemps… dès l’écriture, puis dans le processus de l’European Short Pitch, puis dans la suite du développement, puis juste avant son tournage… bref, à chaque fois que nos chemins se croisaient, dans un plaisir régulièrement renouvelé je dois dire, voire joueur… m’y voilà plongé.

D’emblée, quelques de teenage movies se bousculent dans ma mémoire, d’autres films aussi que l’histoire et son sujet sérieux télescopent. En vrac, me voilà du côté de :

  • Le Monde selon Charlie de Stephen Chbosky, avec lequel j’ai eu l’impression d’écouter pour la première fois le Heroes de Bowie lorsque Charlie s’abandonne à la transe, Walkman vissé sur les oreilles, à l’arrière d’un pick up qui file à tombeau ouvert dans la nuit électrique d’un tunnel…
  • Juno de Jason Reitman, parce que dans l’apparente légèreté de la jeunesse, il y a souvent beaucoup de courage.
  • Donnie Darko de Richard Kelly, pour le mystère et le mystique.
  • My Own Private Idaho de Gus Van Sant, pour la beauté pure des acteurs et parce que, jeunot que j’étais à la sortie de ce film, il m’avait troublé pour longtemps.
  • Ken Park de Larry Clark, pour la beauté pure des acteurs et des actrices et parce que ça travaille le sexe des anges
  • Eastern Boys de Robin Campillo, pour la bande et ce qui lie
  • Call Me by Your Name de Luca Guadagnino, pour la découverte de l’amour, du puissant amour, flagrant, celui qui vous accidente, qu’on doit contenir tellement il est féroce, qui vous met en état de grâce autant qu’en état d’urgence.
  • Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton et Valerie Faris, pour ce qui ne se dit pas et qui abîme, pour les grands avortements que l’on traverse tant bien que mal, seul.e.

En regardant le film une seconde fois, sur grand écran, le sentiment paradoxal de retrouver un film « doudou » s’est amplifié… Pourquoi paradoxal ? Parce qu’au fond ce film n’a rien de rassurant, ni de joyeux, ni même de rattaché directement à mon expérience intime.
Pourtant, il y a quelque chose qui remue fort, PAR le cinéma, PAR ce que peux transformer le cinéma de colère contenue, organisée, traduite en autre chose.

Je me souviens de ce moment très précis de ma vie de cinéphile où, au sortir de la projection de Happy Together de Wong Kar Wai (un cinéaste dont j’étais un fan inconditionnel, à une époque où être fan était une occupation en soi), nous étions en 1998… J’étais sûr et certain que le cinéaste ouvrait une nouvelle ère de récit sur l’amour, où une relation homosexuelle n’était plus un sujet, où le sentiment était capable de transcender l’exception, parce que le cinéma est capable de le rendre tout puissant.
Et c’est bien là, de mon point de vue, que se joue Cherchez le garçon. Parce que nous avons régulièrement parlé de ta colère, de ce qui te semble irrépressible, indispensable à raconter des identités sexuelles réelles ou prétendues, vécues et/ou subies, assumées et/ou traquées. A l’instar de séries comme Sex Education ou It’s a sin (dont je te concède qu’il y a un gap sérieux entre les deux à plusieurs égards), qui se sont emparé de ces sujets, qui sont parvenues à intégré des codes et une iconographie qui trouvent leur place dans la création et le paysage culturel actuel.
En fait de colère, c’est ta conviction chevillée au corps qu’un monde ne peut être que meilleur s’il n’est pas artificiellement normalisé, qu’un monde ne peut-être que meilleur s’il ne se ment pas à lui même, ivre du mirage de la standardisation, qui constitue la belle énergie du film. Une énergie que je pense hautement communicative et positive. Une énergie qui transcende, par le cinéma, comme ont pu le faire des films comme le remarquable Coby de Christian Sonderreger ou le fabuleux 
Girl de Lukas Dhont (pour ne citer que ces deux là qui restent longtemps et dans la tête et dans le ventre !), les questions d’individu et de communauté(s).

Pour finir, très chère.e ami.e, je tenais à te dire que je retrouve avec le plus grand plaisir ton savoir-faire, et ton exigence, de photographe dans chacun des plans du film. Comme quoi, il est possible et profitable de joindre la forme au fond. Parce que, plastiquement, le film est très beau, occasionnellement gracieux… et les rencontres esthétiques sont un bon moyen de partager des idées.

Avec toute mon amitié,

 

Franck Vialle, Directeur de Films en Bretagne (mai 2024)

 


Le film

CHERCHEZ LE GARÇON
un roller movie funèbre de Paulin.e Goasmat

Tandis que Charly, jeune homme trans, est inhumé sous son prénom de naissance, Tom, Louise et BB, ses potes queer, décident de lui rendre un dernier hommage à son image dans un lieu où ils avaient l’habitude de se retrouver, la maison d’enfance de Charly. Mais Victor, son frère, et sa femme Iris débarquent à l’improviste…

avec Sohan Pague, Arnaud Stephan, Mélodie Lauret, Judikaël Goater, Gabrielle Pichon et Charlie Pietrantoni
scénario & réalisation : Paulin.e Goasmat • image : Amandine Klee • son : Lionel Vinck • décors : Alix Bettinger • costume : Hélène Honhon • montage image : Frédérique Broos • montage son : Lise Bouchez • mixage : Aline Gavroy
produit par Stephen Seznec pour National 12 (Rennes) & Marie Enthoven pour Taste it productions (Belgique) avec les soutien de la Région Bretagne, de l’European Short Pitch, de la Commission cinema de Wallonie, du Groupe Ouest développement, de France Télévisions, des Télés Locales de Bretagne (TébéO/TébéSud, TVR)


L'auteur.e : Paulin.e Goasmat

Diplomé·e des Beaux-Arts de Paris-Cergy avec les félicitations du jury, Paulin·e Goasmat a réalisé des courts-métrages sélectionnés dans plusieurs festivals et a remporté le prix de la meilleure réalisation au festival de St Etienne pour Autopsie et une sélection au Festival Nikon, à Clermont Ferrant et à Brest pour GAST.
Tout en poursuivant ses projets de fiction, iel réalise des formats courts pour la télévision, le luxe, des vidéoclips et réalise le making of de 8, un film choral réalisé par Jane Campion, Jan Kounen, Gus Van Sant, Gael García Bernal, Wim Wenders, Gaspar Noén, Mira Nair et Adberrahmane Sissako.
Actuellement, Paulin·e vient de terminer son nouveau court-métrage Cherchez le garçon avec le producteur Stephen Seznec de Nationale 12, développe le téléfilm Drag Kouign, finaliste du projet des chaînes bretonnes Far Ouest et commence l’écriture de son premier long métrage Le chemin de douleur.

Paulin·e est également photographe.