Violette Gitton a grandi à Rennes avant de s’installer à Paris. Il y a deux ans, elle a tourné dans les Vosges le court métrage de 18 minutes Ce qui appartient à César. Le film, produit par Films Grand Huit, est largement inspiré d’une agression sexuelle qu’elle a vécue.
Il a récemment été présenté en compétition au Festival européen du film court de Brest (Prix Alice Guy et Mention Jury Jeune France) après avoir gagné le 22ème Prix Unifrance du court métrage ainsi que plusieurs prix aux festivals de Saint-Jean-de-Luz et de Strasbourg. Il fait partie des courts métrages présélectionnés pour les 50èmes César 2025.
Entretien avec Violette Gitton, réalisatrice du film
Eric Ellena : Pourquoi raconter ton histoire du point de vue du petit frère ?
Violette Gitton : Au début, j’avais envisagé des regards croisés. J’avais envie de mettre en parallèle la réalité de la sœur avec celle du frère, et comment elles se répondaient. Mais, au fur et à mesure de l’écriture, je me suis rendue compte que j’étais plus juste lorsque je prenais le point de vue du petit frère. D’ailleurs, j’ai toujours été plus intéressée par l’ « ombre de choc » que par le choc lui-même, et par les victimes collatérales. Prendre le point de vue du petit frère était aussi moins douloureux, j’arrivais à m’extraire du statut de victime, à prendre de la distance avec les faits, me permettre d’ajouter de la fiction. Avoir un nouveau récit qui met en avant notre résilience a été réparateur pour moi, mon frère et toute ma famille. La première du film a eu lieu au festival Travelling, à Rennes. Ils étaient là avec mon avocate de l’époque. J’ai toujours tenu à convier les personnes qui avaient joué un rôle dans la vraie histoire, partager ce film avec eux, qu’ils comprennent où j’en étais dix ans plus tard…
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Eric : Connaissais-tu toutes les réactions qu’avait eues ton frère à l’époque ?
Violette : Il y a plein de choses que j’ai découvert. Mon frère a développé une passion pour les armes très peu de temps après l’agression, il a emmené une espèce d’arc à l’école. Je vais le chercher à la sortie des cours, il se met devant moi et, à chaque fois qu’un homme nous dépasse, il le pointe avec son arc et fait semblant de le tirer. Et là, je me suis dit : « Ouh là, il y a un truc ! ». J’ai réalisé que je n’avais jamais su ce qu’il avait ressenti, ni la clarté avec laquelle il avait compris les choses à l’époque. Dans le film, un interlocuteur corrige César : « Non, on ne l’a pas frappé, c’est une agression. ». On a pu mettre des mots ensemble sur ce ressenti. Il avait réalisé être un homme mais s’est aussi vu comme une menace potentielle. Je n’avais pas pleinement pris conscience que ça le travaillait autant.
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Eric : Pourquoi le milieu de l’escrime ?
Violette : Depuis longtemps, j’ai un attrait fort pour ce sport sans le connaître. J’avais l’intuition que l’escrime allait être pleine de symbolisme. Dans l’escrime, il y déjà ce rapport à l’arme, aussi cette androgynie, des tenues toutes blanches derrière lesquelles on s’efface, de collectif un peu impersonnel. Il y a aussi tout le poids de la tradition, les règles, le cadre, les conventions. Ce que j’adore dans le cinéma, c’est de pouvoir s’infiltrer dans des milieux très loin de nous et d’y avoir une espèce de passe-droit. On a le droit de tout voir simplement parce qu’on va raconter une histoire qui s’y déroule. J’ai suivi pendant deux ans des cours d’enfants de 12 ans. J’allais les regarder, les dessiner, noter ce qu’ils se disaient. Et j’ai choisi les vestiaires car c’est un des seuls endroits où les enfants se retrouvent sans adultes, en non-mixité, et de manière récurrente.
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Eric : Comment as-tu trouvé tes comédiens ?
Violette : On a vu plein d’enfants, en prenant à chaque fois le temps de discuter avec eux pendant une heure. C’était un gros investissement mais on les a trouvés à peu près tous de cette manière-là. À part Marius, qui joue César, un enfant que j’avais eu en colonie de vacances, en tant que monitrice, pendant plusieurs années, mais qui était très farouche. Je l’ai revu en colo l’été du casting et je me suis dit « C’est lui. » C’était assez évident et flagrant. Il avait grandi, il s’était assagi un peu. On a beaucoup travaillé parce qu’il était très loin de cet univers-là. Je suis très fière de l’avoir choisi, ça a été une expérience assez fabuleuse pour lui autant que pour nous. Je suis hyper fière de ce qu’on a réussi avec tous ces jeunes comédiens, seul un avait fait de l’escrime, tous les autres ont dû l’apprendre. Le tournage est devenu comme une colo. Ça s’est avéré très précieux.
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Eric : Qu’exprime tes choix de décors ?
Violette : J’avais envie de montrer les complexes sportifs hyper massifs, pensés pour le collectif, assez impersonnels, souvent en béton, qui contrastent avec la solitude d’un enfant, d’un ado un peu paumé, qui est ballotté entre tout ça. J’avais envie qu’on sente cette espèce de rythme de l’enfant qui n’est jamais seul, qui passe de l’école à l’activité, au centre aéré.
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Eric : D’où est venue l’idée de cette scène, forte visuellement, où César voit son entraîneur effectuer une chorégraphie avec d’autres escrimeurs adultes ?
Violette : Cette scène est mystérieuse, abstraite et conceptuelle, même pour moi. On a pris un danseur pour diriger de vrais escrimeurs. En arrivant sur le tournage, ils pensaient qu’ils allaient faire de l’escrime mais on leur a dit que ça allait être dansé. Ils se sont échauffés sans les armes, bougeant lentement dans l’espace. Jalal, qui joue Maître Hendrix, a dansé pendant des heures, il n’arrivait plus à s’arrêter. Il m’a dit que ça lui a fait un bien fou. On sentait ces hommes qui se permettaient quelque chose qu’ils n’avaient peut-être jamais expérimenté. Ça m’a provoqué beaucoup d’émotions, j’ai parié sur elle et j’en suis fière car c’est une séquence qui est souvent la préférée. Pour moi, César accède à un nouveau regard. Il comprend qu’il se trouve dans une fabrique de la masculinité et découvre ces notions de vulnérabilité et de sensibilité qui sont étonnantes pour lui mais qui vont l’amener à se positionner dans ce que cela signifie être un homme.
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Eric : Ton cinéma est fort en symbolisme et en nuances. À quel stade te viennent-ils ?
Violette : Franchement, c’est très empirique. Je comprends les choses au fur et à mesure. Les symboles et les métaphores étaient très présents dès l’écriture puis de nouveau au tournage. Et au montage, on fait le tri entre ceux qui fonctionnent et ceux qui ne fonctionnent pas. C’est un peu douloureux de sentir qu’il y en a qui ne marchent pas alors qu’on y était attachés. Mais, comme il y en avait beaucoup, je ne me suis pas sentie trop frustrée. On coupe et on épure mais le plus important était de rester sur le point de vue de César. Il y avait plus de scènes avec la sœur mais elles marchaient moins bien. Il fallait coller aux basques de César et c’est tout. Ca explique tout le de temps qu’on a mis pour finir ce film.
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Entretien mené par Eric Ellena, novembre 2024.
SUR LA RÉALISATRICE : VIOLETTE GITTON
Violette découvre le cinéma très jeune, à travers le monde associatif. Après plusieurs projets entrepris seule ou co-réalisés, elle décide d’accorder plus de temps à l’écriture et au travail de documentation afin de repérer et d’affiner son style. En parallèle, elle exerce en tant que coach enfant : veille à la sécurité physique et morale des comédien·nes mineur·es, et conseille l’équipe mise en scène quant à leur direction. Cette activité lui permet aujourd’hui, en tant qu’auteure réalisatrice, d’aborder avec acuité les thèmes de l’enfance et l’adolescence qui lui sont chers.
SUR LE FILM : CE QUI APPARTIENT À CÉSAR
Ce qui appartient à César de Violette Gitton
César a douze ans lorsque sa grande sœur est victime d’une agression sexuelle. Dans les vestiaires des cours d’escrime qu’il fréquente, tout se mesure à l’aune de la violence. César voudrait prendre part à tous les combats mais n’a pas les armes.
18 minutes • France • 2024
Réalisation et scénario : Violette Gitton • Avec : Marius Plard, Billie Blain, Jala Altawil, Aliocha Reinert, Alioche Delmotte, Elias Nobili, Idrissa Soumare, Luc Verdiel Armand, Mathieu Perotto, Aurélie Vérillon, Céline Duval Crouvizier • Directeur de la photographie : Martin Laugery • Chef opérateur du son : Elias Graziani • Monteuses image : Cyrielle Thélot et Clémentine Lacroux • Monteur son : Matthieu Frelin • Mixeur : Sébastien Crueghe • Étalonneur : Alexis Lambotte • Compositrice : Delphine Malausséna
Une production Films Grand Huit