« À MARÉE HAUTE » (par Laurence-Pauline Boileau)


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RETOUR D'ÉCRAN (Par Laurence-Pauline Boileau)

À Marée Haute nous invite à cheminer aux côtés de Maya, une adolescente dont les traits du visage font écho à l’enfance mais sans doute plus pour longtemps. Bientôt sonneront la fin de l’été et le début des années lycée. Le film s’ouvre sur l’horizon d’une plage d’où émerge une jeune fille en maillot de bain une pièce qui s’éponge le visage avec sa serviette. Le souffle court et le pas décidé, Maya rejoint la maison de sa grand-mère chez qui elle séjourne avec son père et sa belle-mère enceinte. On la retrouve dans la cuisine ouvrant ses première huîtres à l’abri d’une fenêtre joliment entrouverte sur le jardin. Un repas de famille se prépare et l’on n’attend plus qu’un invité dont Maya guette l’arrivée.

Vêtue d’un t-shirt rouge vif, une paire de créoles aux oreilles et les yeux cernés de noir, la jeune fille relève le visage lorsqu’elle entend au loin la voix de son oncle Jean. Photographe, ce séduisant trentenaire à peine arrivé parmi les siens demande « Elle est où Maya ? ». Plein cadre sur le visage de la jeune fille, Camille Fleury, la réalisatrice du film, nous dévoile ce que voit Maya dans le reflet des carreaux de cette fenêtre qui sont autant de petits tableaux qui nous immergent avec délicatesse dans l’excitation des retrouvailles estivales, dans l’effervescence de ces repas de famille qui ont jalonné l’histoire du cinéma. Je pense à Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet même si ici on ne verra pas éclater la sonore colère d’un Michel Piccoli qui quittait avec fracas la tablée en gueulant un « Je vous emmerde tous avec vos dimanches et votre gigot à la con ». À l’inverse, ici tout parait pour longtemps calme et sous contrôle. Je ne sais si Camille Fleury aime ou non le cinéma de Diane Kurys mais j’ai parfois retrouvé dans son film cet éclat des couleurs, cette proximité entre légèreté et drame et ce soin à filmer le visage des adolescentes de Diabolo menthe. Il fait beau sur Oléron et les rayons dorées du soleil caressent les peaux hâlées. Les dialogues s’entremêlent au dessus d’une nappe à carreaux que l’on a tous croisée un jour et les cheveux humides de Maya volettent dans la brise au milieu des assiettes qui se garnissent et des regards qui se croisent ou se frôlent. On est à table nous aussi, on se sent à leurs côtés, on suit le va-et-vient des visages mais bientôt on ne s’attache plus qu’aux sourires et aux yeux de Maya et de Jean dont la complicité ne fait aucun doute. Mais qu’a t-on à craindre des doux sourires et des yeux qui brillent dans l’insouciance de l’été ?…

Bientôt les parents de Maya devront partir pour se rapprocher de la maternité. L’adolescente finira sa semaine de vacances chez sa grand-mère auprès de l’oncle à qui ils l’ont confiée, ce qui n’est pas pour déplaire à Maya. La joie, les rires, les balades à vélo, ces deux là s’amusent et profitent des joies simples du bord de mer. Mais il y a aussi ces courses dont ils reviennent en voiture bercés et troublés par la mélopée sensuelle et puissante d’une chanson de Feu! Chatterton que Jean a écouté en boucle depuis Paris. Arthur Teboul y chante de sa voix de poème « À cette heure du jour, à cette heure de la nuit, quand je fais l’amour dans l’après-midi »… et l’on espère alors pour Maya que le désir qui semble naitre entre ces deux passagers ne l’abimera pas.

L’oncle photographe auquel Maxime Roy prête son charisme et son charme inquiétant se promène à présent seul avec sa nièce sur une plage immense. Il capte le charme et la grâce juvénile de la jeune fille dont la silhouette semble fragile face à son objectif.

Magnifiquement interprétée par la jeune Luna Hô Poumey dont certaines expressions du visage m’ont rappelé celles de Sophia Loren ou de Sophie Marceau à leurs débuts, Maya touche par l’ambivalence de ses sentiments et les fragilités intrinsèques de son âge en mutation.

Au-delà de la problématique de l’inceste qui est naturellement sous-jacente, Camille Fleury interroge ici sans équivoque mais avec subtilité et finesse les questions du consentement, de la place et de la responsabilité de l’adulte face à un·e adolescent·e, qui plus est sa jeune nièce.

Il est difficile d’approcher avec justesse l’adolescence au cinéma. Il est encore plus complexe de filmer avec clarté et élégance les jeux de séduction, le trouble, le désir et dans certains contextes les limites contenues ou franchies. Camille Fleury y parvient avec un ton très personnel qui donne envie de découvrir les prochaines étapes de son cinéma.

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Laurence-Pauline Boileau, octobre 2024.


SUR LA RÉALISATRICE : Camille Fleury

A Marée Haute - photo Camille Fleury

Après des études de cinéma et de littérature à Paris, Camille Fleury travaille depuis 15 ans comme assistante réalisateur en France et à l’étranger. Elle a notamment collaboré avec Danielle Arbid, Davy Chou, Bertrand Mandico ou Karim Moussaoui. En 2015, elle écrit et réalise Grand Huit, un court-métrage produit par le GREC et sélectionné dans une quinzaine de festivals.

Produit par les 48° Rugissants, À Marée Haute est son deuxième film. Camille écrit actuellement son premier long métrage.


SUR LE FILM : À MARÉE HAUTE

À Marée Haute de Camille Fleury

Pour Maya, 14 ans, le mois d’août en famille rime avec ennui et frustration. L’arrivée de son oncle Jean est une bouffée d’air. Avec lui, naît l’espoir d’une liberté nouvelle. De jour en jour, leur complicité grandit.

30 minutes • France • 2024

Réalisation et scénario : Camille Fleury • Avec : Luna Hô PoumeyMaxime Roy, Geneviève Le Meur Guisnel, Anaïs Fabre, Elios Noël et Rachel Farmane • Directrice de la photographie : Sarah Blum • Chef opérateur son : Louis-Julien Pannetier • Décorateur·ice·s : Florence Catusse et Boris Reminger • Monteuse image : Margaux Serre • Monteur son et mixeur : Edgar Imbault • Étalonneur : Yannig Willmann

Producteur : Victor Thomas • Une production Les 48° Rugissants