« NAIG HA ME » : parcours de femme, de mère, d’écrivaine, d’amie…


C’est lors de sa formation en langue bretonne que Claire Villalon, journaliste et réalisatrice, découvre l’œuvre de Naig Rozmor. Dès lors, la réalisatrice ne quittera plus les mots de l’écrivaine. Avec ce premier film Naig ha me, le public est invité à découvrir et à partager la puissance de cette rencontre inattendue.

Entretien avec Claire Villalon, réalisatrice du documentaire en langue bretonne Naig ha me, produit par Les Productions Cercle Bleu, coproduit par France Télévisions – France 3 Bretagne, soutenu par la Région Bretagne, avec la participation de TVR, Tébéo, Tébésud.


Retour d'écran

Films en Bretagne : Dans ce premier film, tu proposes un traitement spécifique des images d’archives. Peux-tu nous parler de ce choix dans ton film ? 

Claire VillalonAu départ, j’avais une peur très présente : celle d’enfermer Naig dans une vision passéiste, à cause de la manière dont le public perçoit les images d’archives justement. Or, Naig était une femme libre, pleine de vie, de rires, de pensées innovantes. J’ai commencé par visionner la totalité des archives qui existaient sur elle en travaillant avec le fonds privé de Kristian Ar Braz, la Cinémathèque de Bretagne et l’INA. Par chance, Naig avait participé à beaucoup d’émissions télévisuelles des années 1970 aux années 2000. Elle avait été filmée sur des plateaux de télévision mais aussi dans des espaces plus intimes, comme chez elle par exemple. Pour choisir les images qui pouvaient avoir une place dans mon film, mon attention s’est toujours portée vers des images « vivantes ». C’est-à-dire des images dans lesquelles on pouvait rencontrer Naig, en train de vivre une émotion, de faire quelque chose dans son quotidien, de partager une idée, etc.  Grâce aux archives, le public peut la suivre dans plein de situations différentes. Ses coupes de cheveux, ses vêtements changent, elle évolue dans le temps du film, elle y est « en vie ». Et c’est l’intention de réalisation que j’ai défendue dès le départ : le personnage de Naig est l’archive. Son point de vue se révèle à travers ces images. C’est assez fou d’ailleurs car en sortant du film, beaucoup de personnes me disent : « On a envie d’aller boire un café avec elle », comme si Naig nous attendait à l’issue de la projection.

Films en Bretagne : Cette notion de rencontre traverse d’ailleurs tout ton film. En quoi ce dispositif était un moteur pour toi dans la réalisation de Naig ha me

Claire VillalonDans la même intention que pour les archives, je souhaitais donc que Naig soit également vivante à travers mes rencontres avec ses proches. Tous et toutes confirment : « c’était une femme exceptionnelle », et cela se sent dans les yeux qui pétillent, dans les sourire, dans les rire des personnes filmées lorsque celles-ci racontent Naig. Bob, Maggie, Maryvonne, Goulc’han, Marcel, Anne, c’est un peu comme si l’on rejoignait une bande d’ami·es. Au départ, j’avais des appréhensions par rapport à ce dispositif de l’entretien posé mais en réalité, c’est bien cela qui permet aux émotions des personnes filmées de se déployer à l’écran. Car se poser dans une rencontre, cela demande du temps et une certaine attention. Une autre rencontre a été fondatrice pour le film : Ronan, le fils de Naig. Il nous parle de « maman », devant la maison de son enfance. Et là encore, la mémoire est si vive que l’on a l’impression que Naig pourrait être à l’intérieur de la maison, prête à nous rejoindre dans le jardin à tout moment. 

Pour montrer à quel point l’œuvre et l’esprit de Naig sont actuels, j’ai également fait le choix de demander à Azenor Kallag de lire des poèmes que j’avais sélectionnés. Azenor est une jeune comédienne dont la langue maternelle est le breton. C’est une femme d’aujourd’hui qui s’empare des mots de l’écrivaine et qui ramène son œuvre littéraire au temps présent avec une grande force. Cette présence partagée est construite dès l’ouverture du film avec nos voix mêlées : celle de Naig en interview, celle d’ Azenor en lecture et la mienne en off qui s’adresse à Naig. Nous sommes toutes les trois, avec le public, ici et maintenant. 

Toutes ces rencontres permettent de construire une grande proximité avec Naig et le travail avec Claude Le Gloux au montage a été incroyable pour cela. Il m’a beaucoup aidé à équilibrer ses différentes voix et à leur donner leur juste place. Grâce à cela, cette femme est vivante en moi et c’est ce que je voulais donner à vivre au public : la rencontre avec elle et son œuvre, avec la même intensité que je l’avais vécu.

Films en Bretagne : Cette puissance semble aussi être celle de Naig Rozmor. Tu l’as décrit comme « une femme libre, courageuse et inspirante ». Elle est la première femme à avoir parler d’amour charnel en breton. Peux-tu nous raconter la place que tu as accordé à l’érotisme dans ton film ? 

Claire VillalonMon premier choc est venu de la découverte de ses poèmes. Naig s’est saisie de sa langue maternelle pour lui donner une autre dimension. Elle a nommé ce qui ne l’était pas. Par ses mots, elle fait exister tout un pan charnel omis jusqu’alors dans cette langue qui a tant de mal à parler d’amour. C’était incroyable de lire des écrits qui parlent clairement du plaisir, de l’orgasme. Je n’avais jamais lu cela auparavant en langue bretonne. Et puis Naig avait 53 ans lorsqu’elle a écrit ses poèmes. Ce n’est pas rien, même encore de nos jours. 

Mais il n’y a pas que l’érotisme. Au tout début, lorsque je pitchais le film, je disais : « c’est l’histoire d’une femme qui écrit de la poésie érotique. » Mais cela était en fait réducteur. Très vite, j’ai compris que ce n’était pas cela que je racontais et que ce n’était pas non plus l’histoire biographique de Naig. Le film raconte en fait le destin d’une femme qui s’affranchit. Elle a aussi écrit des pièces de théâtre, rejoint une troupe de théâtre amateur. La poésie érotique est une étape qui lui a permis de s’affranchir, son coup d’éclat si l’on peut dire. Mais ce n’est pas ce qui la définit. L’enseignante Valérie Kervella a une très belle formule : « Naig est comme une tête artichaut ». À chaque fois que l’on pense avoir découvert quelque chose d’elle, il y a une autre dimension qui apparaît, comme lorsque l’on mange une tête d’artichaut, il y a toujours une nouvelle feuille à se mettre sous la dent ! Là encore, c’est par le montage que nous avons travaillé la multiplicité de ces dimensions. Nous aurions pu choisir un fil chronologique mais ce n’est pas le choix que nous avons fait. Il était important de garder une tension narrative, que toutes les réponses ne soient pas données et pas tout de suite. Le montage raconte la complexité et la richesse de Naig, de son parcours de femme, de mère, d’écrivaine, d’amie.

Propos recueillis par Clara-Luce Pueyo pour Films en Bretagne, juin 2024


Le film

Naig ha me de Claire Villalon

Ce film, c’est l’histoire de Naïg Rozmor, une écrivaine, traductrice, animatrice de radio, figure incontournable de la culture bretonne dont le nom est pourtant souvent méconnu. Ce film, c’est l’histoire d’une femme profondément libre, de son oeuvre atypique et de ses questionnements si contemporains. Ce film, c’est l’histoire d’une rencontre entre une écrivaine et une jeune réalisatrice qui s’émancipe en racontant le destin d’une autre.


© 2024 • Documentaire 52 minutes (en langue Bretonne sous-titrée)
Coproduction Les Productions CERCLE BLEU / France Télévisions
image : Arnaud Le Borgne • son : Patrick Rocher • musique : « Takk Tvil » Natalia Steckel, Tom Rodard, Pierre Goupil • montage • Claude Le Gloux • montage son / mixage : Vincent Texier • étalonnage • Marcello Cilnizo • production Les Productions Cercle Bleu, Sébastien Hembert en coproduction avec France 3 Bretagne, Tébéo/Tébésud et TVR, avec les soutien du CNC, de la Région Bretagne, de la Procirep et de l’Angoa


L'autrice-réalisatrice : Claire Villalon

La curiosité est un vilain défaut dit le proverbe. Pourtant grâce à elle, Claire Villalon a voyagé, étudié… et a cheminé vers le journalisme. Ses thèmes de prédilection sont l’environnement, la société, la santé, la culture et l’international… Mais elle reste ouverte et sensible à l’actualité dans son ensemble.

Après avoir étudié l’histoire, elle aime à se dire qu’elle a la chance désormais de raconter et décrypter par l’image, le son et l’écrit son époque.

Son premier film documentaire « Naig ha me » est un portrait de l’écrivaine Naig Rozmor, la première à avoir parler d’amour charnel en breton. Une femme libre, courageuse et inspirante.