Lancé l’an dernier à Douarnenez, le groupement de producteurs et de diffuseurs réunis sous la bannière « filière audiovisuelle en langue bretonne » présentait la semaine dernière sur le Port Rhu ses plus récentes réalisations. Mais la véritable nouveauté du secteur bretonnant ne se situait probablement pas dans les programmes, mais dans une information qui circulait en marge de la projection : la webTV Brezhoweb vient d’être conventionnée par le CSA.
Ce conventionnement ne semblait pourtant pas acquis. Lors du lancement de Brezhoweb en décembre 2006, Lionel Buannic, son créateur, ne manquait pas de rappeler sur l’antenne d’Europe 1 que les relations entre l’organe de régulation et TV Breizh, son précédent employeur, avaient été particulièrement tendues. On se rappelle des prises de position pour le moins acides de Patrick Le Lay qui n’avait guère apprécié que le CSA refuse à la filiale de TF1 d’émettre sur le territoire breton via une fréquence hertzienne. Comment, quatre ans plus tard, l’ancien présentateur du journal de TV Breizh a-t-il réussi à développer ce qui semble être aujourd’hui la seule chaîne conventionnée diffusant entièrement en langue minoritaire ? Rencontre avec un énergique chef d’entreprise qui n’a probablement pas fini de bousculer le paysage audiovisuel en langue bretonne.
FeB : Pouvez-vous nous résumer les étapes qui ont précédé le lancement de Brezhoweb ?
Lionel Buannic : En 2005, j’ai quitté TV Breizh et j’ai rapidement créé une société qui avait pour objet le conseil en communication. C’était en 2006. Puis la télévision a fini par me manquer et, à la même période, j’ai rencontré Olivier Hamon qui m’a présenté Armor TV, la webTV qu’il avait créée dans les Côtes d’Armor.
J’ai été séduit par la ligne éditoriale et la liberté permise par la diffusion sur internet. Le modèle économique, très différent de celui que j’avais connu en télévision, m’a intéressé. Surtout, j’ai pris conscience qu’avec le web je pouvais toucher un public plus jeune que celui des médias audiovisuels traditionnels dont l’audience vieillit inexorablement.
Armor TV n’avait pas de studio fixe et j’y ai immédiatement vu la possibilité d’aller vers le public des bretonnants. L’idée de créer l’émission Webnoz est née de cette inspiration et nous l’avons coproduite avec la webTV costarmoricaine.
En quoi ce programme était-il différent de ce que proposait alors la télévision régionale en langue bretonne ?
Webnoz est un talkshow mensuel de divertissement tourné dans un lieu différent à chaque émission. Sa principale spécificité est qu’il est la seule émission de télévision en breton réalisée en direct et en public. L’émission dure 120 minutes et reçoit une vingtaine d’invités.
Ce programme a permis de sortir du tête-à-tête qui caractérisait les émissions télévisées bretonnantes sur le service public et d’aller vers des débats de société. Nous avons abordé des sujets aussi divers que l’Amérique d’Obama un an après l’élection, Berlin, 20 ans après la chute du mur ou le problème des algues vertes vu par des Trégorois.
Il existe une demande pour des fictions ou des talk-shows en langue bretonne alors que pendant longtemps c’est surtout la production de documentaires qui a été soutenue.
Quand avez-vous lancé Brezhoweb ?
En 2006, parallèlement à la production de Webnoz. J’ai créé une nouvelle société, Lionel Buannic Krouiñ (« krouiñ » veut dire création en breton, précise-t-il) et, un an après le lancement de la Brezhoweb qui diffusait Webnoz, nous avons décidé de développer la grille.
Nous avons commencé par doubler la série d’animation Corneil et Bernie. Nous ne voulions pas perdre cette filière du doublage en breton alors que TV Breizh commençait à s’en désengager. Avec Kornil et Bernez, nous comptions 800 à 1000 visionnages par épisode pour une cible de 3000 enfants bretonnants.
En mars 2008, nous nous sommes engagés dans la production de la première saison de la série de fictions courtes Ken Tuch’. Je me suis rappelé des propos de mon ancien patron : « pour que ça marche, il faut du cul, du cul, du cul ! ». Nous avons cherché un esprit qui soit plus provocateur que celui qui caractérisait souvent le programme en langue bretonne et l’audience a continué à monter. Canal+ a acheté trois épisodes pour les diffuser dans un de ses programmes et cela a été un encouragement fort. Une vraie fierté !
De quel budget disposiez-vous pour cette première saison ?
Les 42 épisodes de 2 à 3 minutes ont été produits avec 40 000 € apportés par le Fonds Audiovisuel en Langue Bretonne de la Région Bretagne, le Conseil général du Finistère et des partenaires privés.
C’est un budget très limité pour une série de fiction…
Notre modèle économique ne peut pas être comparé à celui d’une production en français. Pour de la fiction francophone, il existe un marché en dehors du territoire de production. En breton, notre audience repose sur 250 000 locuteurs et 15 000 enfants scolarisés en breton. Et seulement 50 000 de nos spectateurs potentiels ont moins de 50 ans !
Autre écueil : Ken Tuch’ est une comédie humoristique et il n’y a pas plus spécifique que l’humour. C’est donc difficilement exportable. Avec Ken Tuch’, je perds de l’argent, mais la société a une activité institutionnelle plus lucrative qui permet d’amortir cet investissement. Pour le moment, notre urgence est de produire pour répondre à la demande locale.
Pourquoi vous limiter aux financements régionaux ? Les aides du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée ne sont pas fermées aux productions en langues minoritaires ?
C’est vrai. Nous avions une vraie crainte vis-à-vis du CNC, sûrement par méconnaissance. Nous avions peur de ne pas être pris au sérieux parce que nous ne produisions pas de programmes en langue française. Mais cela devrait changer. La 3e saison de Ken Tuch’ sera coproduite avec un producteur indépendant (dont-il ne souhaite pas dévoiler le nom pour le moment) qui devrait nous apporter son savoir-faire dans les montages financiers.
Lorsque je regarde vos fictions en breton et, de manière générale, celles que j’ai pu découvrir lors de la projection au Festival de Douarnenez, je ressens parfois comme une « surcharge » de dialogues. Pour le non-bretonnant que je suis, il est souvent difficile de suivre le tempo des comédiens et, de fait, de bien assimiler les sous-titres. N’ayant pas ce problème avec d’autres langues, je me pose la question d’une spécificité de la production en langue bretonne.
Il n’y a pas eu de fiction en breton depuis longtemps. Les créateurs et les comédiens viennent du doublage et du théâtre. Ils n’ont pas de formation spécifique à l’écriture audiovisuelle et à la réalisation. C’est sans doute un défaut de jeunesse.
Le poids de l’oralité dans la diffusion de notre langue explique peut-être aussi ce que vous ressentez comme une surcharge de dialogues. Et puis il y a un tel besoin d’expression, frustré depuis si longtemps…
Il y a également des niveaux d’écriture des dialogues très différents. La qualité du breton dans le programme Mad pell’zo présenté à Douarnenez (produit par la société Kalanna) est superbe et cela donne une musicalité particulière aux dialogues qui sont très agréables à écouter.
Comment allez-vous développer la nouvelle grille de Brezhoweb ?
Nous allons diffuser quotidiennement entre 17h et 23h. Des programmes de flux mais aussi des oeuvres que nous allons acheter et doubler. Nous allons également nous lancer dans une politique de coproduction avec des producteurs indépendants. Nous espérons que le conventionnement avec le CSA nous permettra une pérennisation des relations de la chaîne avec les partenaires institutionnels qui nous soutiennent depuis le début et qu’il sera possible de les associer au financement des programmes via des contrats d’objectifs et de moyens relevant de la politique linguistique.
Propos recueillis par Jean-François Le Corre
> Jeudi 23 septembre, les Rencontres Doc’Ouest consacrent un temps d’échanges et de débats à la création en langue bretonne. L’occasion de voir ou revoir les dernières productions de la filière bretonnante et de questionner les principaux acteurs du secteur.
Photo : Lionel Buannic sur le plateau de Webnoz © Lionel Buannic Krouiñ