Vous avez dit « PROGRAMMER » ?


En juillet dernier, Olivier Calonnec avait souhaité lancer un appel à contributions à tou·tes les adhérent·es de Films en Bretagne autour de la programmation…
Nous livrons ici les retours, que nous alimenterons au fil des mois…

L’APPEL A CONTRIBUTION

Passés les constats d’usage (place des plateformes, changement des comportement des publics…), l’on peut parfois se prendre à croire que le monde autour des cinémas n’a pas vraiment changé depuis 2020. Il semble en effet pertinent de s’intéresser aujourd’hui aux fondements mêmes de l’acte de programmer. Car l’agrégation de contenus, marqueur de notre époque, semble se répandre et répondre à un souci d’efficacité, avec une recherche constante de ce qui va « marcher », de ce qui va « satisfaire » les personnes à qui l’on s’adresse. Mais mettre devant les yeux et à portée d’oreilles des films proposés pour leur potentiel public (et dans le même temps, leur rentabilité) suffit-il à embrasser la richesse et la complexité d’un monde qui s’abîme et semble paradoxalement nous échapper ?
Cela dépend de ce qu’on souhaite pour le cinéma. Peut-être alors que deux voies se télescopent, et brouillent les pistes : le cinéma comme divertissement vs le cinéma comme vecteur de pensée et d’émerveillement.

La première voie semble plus évidente, car « positive », directe, accessible, satisfaisante.
La seconde voie engage davantage les personnes qui programment, autant que les spectateurs·trices qui s’y aventurent. Inventer de nouvelles formes de langage suppose que moins de personnes se laissent tenter par l’inconnu, l’incertain, le nouveau. Et donc moins de succès.

Mais plutôt que de céder à une réflexion binaire, pourquoi ne pas privilégier une troisième voie, celle du désir de cinéma ? On ne peut pas tomber amoureux·se tous les jours, mais le cinéma a cette capacité de nous amener loin quand on le souhaite, loin de soi, loin du monde connu, ou alors tout près de soi, mais toujours avec les autres. Retrouver ce sentiment de lâcher-prise, accepter de perdre le contrôle, se laisser émouvoir sans craindre le regard des autres… Là, ça va mieux !
Programmateurs, programmatrices : engageons notre créativité, créons de l’envie. Nous avons entre les mains une infinité de nouveaux mondes à faire explorer, mettons le monde tangible en sommeil pour mieux le rêver !

Olivier CALONNEC
Directeur de Cinécran, Vannes


« sans distinction, sans préjugés, et surtout sans œillères » par éric Thouvenel, chercheur (novembre 2023)

Comme je ne suis pas programmateur « de métier », je ne sais pas si je peux dire que j’ai une idée de ce que c’est, programmer. Mais je peux raconter un tout petit peu comment je le fais.

À côté de (ou disons plutôt : en contact étroit avec) mon travail d’enseignant à l’université, je programme des films en Bretagne depuis plus de vingt ans (principalement à Rennes, un peu dans le Finistère, et plus occasionnellement ici ou là).

Je l’ai d’abord fait pour une raison très simple, peu avouable à priori mais en fait très importante pour moi : j’ai commencé par programmer des films que j’avais envie de voir. Sur grand écran quand je n’avais eu que le petit, ou même, parfois, pour les découvrir tout court quand il n’y avait ni passage télé, ni édition VHS ou DVD. Étudiant, je suis devenu très curieux de ce qu’on appelle le cinéma expérimental. J’ai beaucoup lu sur ces films, vu des reproductions d’images dans des livres, qui m’intriguaient, mais il n’y avait quasiment aucun moyen de les découvrir à Rennes et au début des années 2000, aucun des cinémas de la ville ne voulait entendre parler de ces images qui grincent et qui clignotent. Alors j’ai rencontré des gens qui voulaient découvrir ça aussi (ma complice Carole Contant en premier lieu), et on a cherché des lieux et des moyens pour montrer des films courts ou très très longs, épileptiques ou hypnotiques, trépidants et parfois ennuyeux, dans des bars, des caves, des lieux associatifs, des galeries, des musées, un peu partout où on pouvait.

Entre-temps, je me suis occupé plusieurs années du ciné-club de l’université Rennes 2.

Là, j’ai pu pendant six ans réaliser un rêve total, qui est à peu près le même que celui d’Antonin Moreau à l’Arvor : montrer chaque mercredi, en double séance, des films très très différents, réunis à partir de l’envie de les frotter l’un à l’autre pour voir à quoi ressembleront les étincelles, mais aussi à partir d’un principe qui est tout simplement celui de l’amour des films, quels que soient leur époque, leur nationalité, leur durée, leur genre, etc. Ce qui ne veut pas dire aimer tout et n’importe quoi… mais aimer sans distinction, sans préjugés, et surtout sans œillères.

Avec les étudiants et les collègues qui m’accompagnaient, on a donc montré des films d’épouvante malaisants, des mélodrames flamboyants, des comédies douce-amères, des documentaires ahurissants, des polars palpitants, des comédies musicales, des dessins animés, des bande-annonces,  de l’expérimental ; on a organisé des ciné-concerts, plongé la salle dans le noir pour des moments d’écoute, on a mis (littéralement) plusieurs films côte-à-côte sur le même écran, utilisé toutes sortes de projecteurs et de formats… et évidemment, on a accueilli avec plaisir un certain nombre de cinéastes, de critiques, d’associations, de festivals, de têtes chercheuses, pour en parler avec elles et eux.

On s’est follement amusés, et à voir l’auditorium du tambour souvent plein ou en tout cas bien rempli, j’ai envie de penser que notre enthousiasme a donné envie au public de nous faire confiance, pour venir voir des « vieux films » ou des choses étranges.

Ces dernières années, j’ai surtout travaillé au TNB avec Stéphanie Jaunay, qui m’a ouvert en grand les portes du lieu pour y montrer régulièrement du cinéma expérimental, mais aussi des westerns. Manière de dire que là encore, ce qui compte est presque moins les films qu’on montre que les gens avec qui on a envie de travailler pour que ce soit possible.

C’est une autre manière d’assouvir un rêve de programmation : rencontrer des gens, des lieux, qui font suffisamment confiance à votre regard pour vous inviter à proposer des choses qu’ils ne connaissent parfois pas du tout, mais qu’ils proposeront à leur public en sachant qu’après une ou deux séances, il reviendra les yeux fermés (façon de parler).

Éric THOUVENEL est professeur en études cinématographiques à l’université Paris Nanterre. Membre de l’unité de recherche « Histoire des arts et des représentations » (HAR), et membre associé à l’unité de recherche « Arts : pratiques et poétiques » (APP), il codirige la collection « PUR-Cinéma » aux Presses universitaires de Rennes. Ses recherches portent notamment sur le cinéma expérimental, l’épistémologie des techniques, les formes télévisuelles, et le western contemporain. Dernières publications d’ouvrages : Gaston Bachelard et le problème-cinéma (Mimesis, 2020), Les arts et la télévision – Discours et pratiques (PUR, 2019, avec Priska Morrissey), Jean Epstein – Actualité et postérités (PUR, 2016, avec Roxane Hamery) et Fabriques du cinéma expérimental (Paris Expérimental, 2014, avec Carole Contant).


« sur l'acte de programmer » par Jeanne Frommer, AFCA / Festival du Films d'Animation de Rennes (octobre 2023)

Il me semble qu’aujourd’hui l’acte de programmer est un acte politique. En tant que programmatrice, je contribue, à mon échelle et à ma façon, à une vision du monde, à une vision de l’art, de la culture et du cinéma. Il s’agit de choisir ce que l’on donne à voir au monde, ce que l’on décide de diffuser au public de manière la plus large possible.

A l’heure où de nombreux débats existent, notamment sur la distinction entre l’homme et l’artiste, sur les représentations des diversités et des minorités à l’écran, j’estime qu’il est de la responsabilité des structures qui programment de défendre et de permettre l’existence de toutes les voix, de tous les actes créateurs et pas seulement ceux d’une majorité dominante. Je suis persuadée que nous ne pouvons pas nous limiter à évaluer les œuvres, nous devons aussi nous intéresser à la façon dont elles sont faites et surtout qui les portent. Une position qui peut parfois entrer en conflit avec nos goûts et nos ressentis face aux œuvres. D’autant que l’acte de programmer relève à la fois de la révélation de soi – chaque programmation appartient à ses programmateur·rices, les représente et offre donc à voir une partie d’eux-mêmes – et de la frustration – celle de devoir faire des choix et donc de renoncer.

Enfin, programmer c’est prendre un plaisir sans cesse renouvelé à découvrir de nouvelles pépites tout en regrettant que ces films ne soient pas plus vus, plus diffusés, particulièrement les courts métrages, les films d’animation, les documentaires. Des films forts qui pourtant resteront souvent confidentiels.

Après une formation de médiation culturelle et d’histoire de l’art, Jeanne FROMMER a pu construire son parcours professionnel autour du cinéma : en passant par les services pédagogiques de la Cinémathèque de Toulouse et de la Cinémathèque Française, par le Festival international du film d’éducation organisé par les CEMÉA, l’Association Française des Cinémas Art et Essai (AFCAE)… Elle fait aujourd’hui partie de l’équipe de l’AFCA (association française pour le cinéma d’animation), en tant que coordinatrice Editoriale du Festival National du Film d’animation.


« Que se propage le virus de la cinéphilie » par Antonin Moreau, cinéma ARVOR de Rennes (septembre 2023)

Au Cinéma Arvor, je programme des séances dédiées en particulier au cinéma de patrimoine (AKA les vieux films), je ne m’exprimerai donc qu’à ce sujet, même si de nombreux ponts seraient à dresser avec la programmation du cinéma contemporain.

Je commencerai par la deuxième question, en disant qu’un de mes rêves de programmation (que je réaliserai probablement un jour) serait de projeter une soirée un double programme Predator de John McTiernan / Tropical Malady d’Apichatpong Weerasethakul, deux films que j’adore et qu’a priori tout oppose en terme d’origine, d’économie, de public, d’esthétique, de régime narratif, mais qui me paraissent dialoguer secrètement sur des motifs et thématiques communes.

La programmation serait donc la création d’un temps et d’un espace où ce dialogue pourrait advenir, et ça me paraît d’autant plus important aujourd’hui où, plus que jamais, les industries présidant à la consommation culturelle ne font que l’empêcher. Les usagers des services de SVOD le savent, l’algorithme propose des recommandations. Vous avez aimé un film d’horreur, on vous propose d’en regarder à l’infini, vous aimez les films d’action, en voilà 20 autres, et ainsi de suite pour les films historiques, les comédies romantiques, les comédies, les films d’horreur, les drames, les documentaires, les films d’animation, les anime, ou cette chose un peu floue qu’on appelle « films d’auteur ».

En confiant notre consommation culturelle à l’algorithme, on peut donc aujourd’hui passer sa vie à ne regarder qu’un seul type de film, alors même que le Cinéma dans toute sa diversité n’a jamais été aussi accessible, en salle ou ailleurs.
Programmer serait donc trouver les moyens de faire exister dans le Cinéma dans toute sa diversité devant une aussi grande diversité de spectateurs.

Ma conviction profonde est que l’amour du Cinéma ne se propage que grâce à la fréquentation de films radicalement différents les uns des autres esthétiquement. C’est ce qui crée du dialogue entre le film et le spectateur, entre les films chez les spectateurs, et in fine entre les spectateurs. En un mot, c’est ce qui propage le virus de la cinéphilie.

J’ajouterai même que c’est créer du dialogue entre les films eux mêmes car ceux-ci souffrent à terme de ne dialoguer qu’avec d’autres films qui leur ressemblent en face de spectateurs « spécialistes » d’un seul type de film. Ces barrières finissent par créer des chapelles de fans et des films consanguins. Le Cinéma est un écosystème, le métissage/hybridation est essentiel à sa santé globale.

Dans les rendez-vous mensuels de programmation que j’anime au Cinéma Arvor, je tente donc d’alterner des films très différents les uns des autres. Pour Le Film du Dimanche Soir (une fois par mois, un film « généreux » en terme de spectacle), on peut donc enchaîner d’un mois sur l’autre Aliens de James Cameron, et Sérénade à trois de Lubitsch. On aura évidemment plus de monde sur le plus bankable Aliens, mais, la fidélité au rendez-vous amènera davantage de monde que la normale sur un film de 1931. Et cette mise en proximité bénéficiera aussi à Aliens en faisant venir des spectateurs allergiques à un certain Cinéma jugé trop commercial. Si on met un Cameron à côté d’un Lubitsch, ça l’anoblit en quelque sorte. De façon voisine, concernant notre rendez-vous MONUMENTAL consacré au Cinéma « grand format », on enchaînera d’un mois sur l’autre Interstellar et Jeanne Dielman.

C’est pourquoi j’essaye de privilégier, plutôt que les programmations thématiques (un genre, un cinéaste, un courant esthétique, une période), des programmations transversales basées sur un motif assez large. Ça permet de faire se côtoyer des films très différents les uns des autres, et donc, peut être, des publics différents.

Ainsi notre dernier cycle hebdomadaire estival Vamos a la Playa ! bâtit autour du motif de la plage permet d’arpenter les cinémas de Bigelow, Lean, Rohmer, Spielberg, Guiraudie, Kitano, Murnau, Fellini, Kechiche et Varda…

A l’Arvor la programmation est donc aussi éditorialisée que possible, ce qui impliquent également des présentations systématiques des films par des spécialistes. On dit souvent que les films doivent être accompagnés mais évidemment les films tiennent debout tout seul. Les spectateur aussi, mais, en leur dévoilant quelques pistes pour arpenter des cartographies imaginaires du Cinéma, on l’invite à trouver ses propres sentiers, pourvu que ceux-ci lui fassent traverser des paysages aussi diversifiés que possible.

Antonin MOREAU travaille au Cinéma Arvor à Rennes où il s’occupe, entre autres, de la programmation et de l’animation de séances spéciales consacrées aux films du patrimoine.
Il est critique de Cinéma, principalement dans l’émission/podcast Le Cinéma est mort qu’il co-anime depuis plus de 15 ans. 


« Une constellation à tisser » par l'équipe de Comptoir du Doc (septembre 2023)

Constellation de Comptoir du Doc… Sept temps forts du cinéma documentaire dans l’année, c’est sept programmations différentes investies par des groupes composés de programmateurs et de bénévoles. On multiplie les regards pour visionner, discuter, sélectionner les films, pour les partager ensuite au plus grand nombre. De cette démarche horizontale et collective émerge nécessairement une myriade d’idées, de points de vue, sur ce que programmer signifie pour nous. 

« Pour moi, programmer c’est une curiosité d’abord. C’est avoir envie de découvrir des cinéastes, des formes, des sujets qu’on ne connaît pas. C’est proposer des films qui ne vont pas juste plaire, mais aussi surprendre. Programmer c’est faire confiance au public dans sa capacité d’apprécier les risques pris par les cinéastes. »
Natalia Gómez-Carvajal, Ré.elles

« J’aime programmer des « films-monstres », des films très longs, donc durs à programmer et qui sont exigeants avec les spectateurs. Mais ces films-là sont importants à conserver, parce qu’ils sont peu accessibles, un peu pénibles à voir tout seul chez soi.  Partager ce moment-là avec d’autres gens dans une salle, en parler après, c’est une expérience du cinéma marquante. »
Pierre Commault, Revers

« Ce qui m’intéresse, c’est de montrer du cinéma là où il n’y en a pas, dans la salle des fêtes d’une petite commune qui montre un film par an, au moment du Mois du Doc, par exemple. Il y a un rôle social dans celui de programmateur.rice, on crée du lien, via le cinéma. »
Agnès Frémont, Le Mois du Doc

« Je suis de l’école des ciné-clubs, c’est ce partage qui m’intéresse. Il y a des gens qui sont très bons pour aller dénicher et farfouiller dans des filmographies. Moi je suis plus intéressé par le groupe de programmation tel que l’imagine Comptoir du Doc : ce rendez-vous régulier pour regarder des films ensemble, manger, boire un coup, en discuter, c’est de l’éducation populaire dans son sens premier. »
Julien Posnic, Vrai de vrai

Un rêve à poursuivre pourrait être d’imaginer une sélection concoctée par les sept programmateur.rice.s. L’année dernière, une proposition de Tënk autour du thème ‘Filmer l’interdit’ a permis de réaliser en partie cette envie : « Nous avons travaillé ensemble pour élaborer une programmation composée de films qui font écho à chacun de nos évènements. C’était intéressant de voir comment était décliné le thème : certain.e.s cinéastes contournent la contrainte quand d’autres se l’approprient. »
Elodie Gabillard, Made in China

Ce rêve pourrait prendre la forme d’une constellation à tisser entre spectateur.rices, cinéastes et les films.
Le lien vers la programmation « Filmer l’interdit » vers Tenk : ICI

En 1998, dans un bistrot rennais, un petit groupe de personnes passionnées lance l’idée de voir des films ensemble et d’en discuter. Autant de regards singuliers portés sur le monde ; autant d’occasions de confronter, de questionner, de nourrir ses propres représentations. En cela, l’association revendique un rôle citoyen, une véritable mission d’éducation populaire. COMPTOIR DU DOC est un véritable collectif, avec une ambition : faire partager ce « goût du doc » au plus grand nombre ! Chaque année, l’association propose plus d’une centaine de séances, une vingtaine d’ateliers, reçoit des dizaines de cinéastes (ou autres professionnels), investit une soixantaine de lieux et mobilise autant de partenaires, réunissant 10 à 15 000 spectateurs…
Toutes les infos : https://comptoirdudoc.org/


« La salle est le lieu de réalité du cinéma » contribution de Pascale Breton (septembre 2023)

Programmer doit (à mon sens) demeurer un geste indépendant de la production des films. 

Même s’il est toujours plaisant que, de façon ponctuelle, un/e cinéaste (ou interprète, technicien, producteur…) se voie offrir une carte blanche ou un rendez-vous, la programmation gagne à se faire sur des films « refroidis », séparés des affects et des collusions de la production mais aussi de la distribution. Le programmateur, la programmatrice, se trouve entre le distributeur et un public qui est « son » public, public qu’il se doit de connaître, y compris quand ce dernier évolue à la faveur de mutations du territoire où se situe la salle (les salles). Connaître son public, ça peut se comparer à une vraie démocratie : ce n’est pas forcément le plus grand nombre qui décide; les désirs des minorités sont entendus; la complaisance envers les plus forts ne vaut pas pour gouvernement. Enfin, par-delà le public, programmer, c’est imprimer un style, c’est transmettre une croyance dans le cinéma comme outil d’appréhension du monde et de l’imaginaire.

Si vous deviez raconter un rêve de programmation, lequel serait-il ?

Oh ce serait bien simple. Chaque mercredi je regarde attentivement les bande-annonces de tous les films et il y en a un ou deux ou trois que je souhaite voir. Ensuite je me mets à espérer qu’ils arrivent un jour ou l’autre dans les salles proches de chez moi. J’habite dans le centre du Finistère, ce qui ne facilite pas les choses. Peu m’importe que les films aient trois semaines ou trois mois de retard. C’est même mieux, car le film arrive purifié de sa gangue de communication et de rumeurs. 

Malheureusement, les quatre cinquièmes de ces films n’arrivent jamais en KreizBreiz, et j’attends dès lors que sortent en VOD ces films que j’aurais aimé découvrir en salle.

En ce qui concerne la programmation de mes propres films (car je ne suis pas sûre d’avoir bien compris la question), je dois dire que malgré le faible nombre de copies sur lesquels les deux seuls long-métrages qui ont réussi à être financés sont sortis, je n’ai eu qu’à me réjouir des exploitants et programmateurs qui les ont transmis au public, et m’ont parfois conviée. 

La salle est le lieu de réalité du cinéma, et la programmation l’art de mettre les films en écho les uns avec les autres pour un public donné.

PS : Je tiens à exprimer, justement parce que mes deux long-métrages sont sortis sur un très faible nombre de copies, ma reconnaissance envers les exploitant·e·s qui ont choisi de les exposer. Et, avant eux, envers ces primo-programmateurs que sont les festivals, sans lesquels mes films seraient restés dans l’obscurité. A un moment où je désespère d’obtenir les maigres financements que nécessitent mes projets de films, c’est avec émotion que je me souviens de ces rencontres avec le public dans le vrai endroit du cinéma qu’est la salle.

Née à Morlaix, Pascale BRETON grandit entre le Finistère et l’Algérie. Cinéphile dès l’enfance, elle étudie les lettres et la géographie, à Rennes puis à Paris. Elle travaille dans la mode, à la radio (Nova), écrit des articles, traduit de l’anglais et est déjà scénariste. Elle réalise son premier film en 1995, un moyen-métrage qui remporte un prix à Angers et le Grand Prix à Clermont-Ferrand. Suivront un court et deux moyens-métrages. Elle quitte Paris en 1999 pour Port-Louis (Morbihan) où elle réalise en 2003 son premier long-métrage, Illumination. Produit par Paulo Branco, il est distingué aux festivals de Turin, Rotterdam et San Francisco. Suite Armoricaine est son deuxième long métrage comme réalisatrice. En compétition internationale au Festival de Locarno (2015), il remporte le Prix FIPRESCI.


« L'AIMER VRAIMENT » contribution de Bénédicte Pagnot (septembre 2023)

Qu’est-ce que programmer ? : C’est aimer le cinéma, l’aimer VRAIMENT et avoir envie de partager cet amour.Programmer oblige à calculer, compter, comptabiliser, je le sais ; comme je sais qu’un cinéma sans spectateurs ne pourra rester un cinéma. Mais quoi de plus terrible pour moi quand je sens que des programmateurs semblent penser uniquement en grilles, en chiffres, et être passivement sous le joug ou l’aile de leur groupement/entente de programmation ; quoi de plus triste et désespérant quand j’ai l’impression que des programmateurs (de cinéma ou de festivals de cinéma) n’aiment pas ou plus le cinéma, à tel point que je me demande s’ils l’ont aimé un jour…

Aimer le cinéma ça veut dire être convaincu que c’est un art, être curieux de son histoire, savoir comment il se fabrique (de l’écriture à la distribution), être heureux de découvrir et redécouvrir des films, être ouvert à tous ses genres et ses possibles, être enthousiaste à l’idée que des inconnus soient réunis dans une salle pour y vivre à la fois une expérience commune et individuelle.

Cet amour et cet enthousiasme doivent être curieux et ouverts c’est-à-dire sans surplomb, sans dogmatisme.

Adolescente et jeune adulte, j’ai trop souffert d’entendre et subir de péremptoires « ce film est un chef d’oeuvre » qui m’obligeait soit à avaler toute crue cette étiquette soit – par esprit de contradiction- à la rejeter. Une argumentation subjective et sensible (et pas seulement académique) aurait pu me permettre de comprendre le fondement de cette (terrifiante) étiquette « chef d’oeuvre ». L’académique et le préremptoire ne peuvent suffire.

Pour programmer, il faut donc avoir le souci constant de nourrir la pensée et la sensibilité des spectateurs (sans surplomb et sans dogmatisme, je le répète), et oeuvrer à maintenir le cinéma (art et lieu) comme un espace-temps à la fois déconnecté (une bulle) mais surtout pas coupé du monde (sa diversité, ses inégalités, ses inquiétudes…). Programmer serait donc aimer profondément le cinéma et fabriquer des bulles qui construisent (chacun) et relient (tout le monde).

Bénédicte PAGNOT naît en 1970 à Elbeuf (Normandie). Après une maîtrise d’études audiovisuelles à l’université Toulouse le Mirail, elle devient assistante de réalisation, régisseuse et chargée de casting sur des tournages en Bretagne où elle a choisi de s’installer. C’est en 2001 qu’elle réalise La petite cérémonie (sélectionné par une vingtaine de festivals et primé par huit d’entre eux, dont le Prix du public au festival Premiers plans d’Angers) ; suivront deux autres fictions courtes La pluie et le beau temps (2008) et Mauvaise graine (2010) et trois documentaires Derrière les arbres (2004), Avril 50 (2006) et Mathilde ou ce qui nous lie (2010). Elle mène en parallèle des ateliers en milieu scolaire, universitaire et pénitentiaire. En 2013 sort au cinéma son premier long métrage de fiction Les lendemains (Prix du public au festival Premiers plans d’Angers) et en 2017 Islam pour mémoire, long métrage documentaire. En 2020 elle co-réalise Contre vents et marées, un documentaire sur le polder de Brest et les projets de parcs éoliens marins en Bretagne avec Nathalie Marcault et Emmanuelle Mougne.


« Des tapis à la mangrove » - contribution de Léo Dazin (août 2023)

Mes expériences avec Travelling, le Festival du Film de l’Ouest, et dorénavant avec Faire Meute sont disparates mais racontent une évolution des questions que me posent l’acte de programmer.

Il y a dix ans à Travelling, lorsque m’en était donné l’occasion, j’étais mu exclusivement par un enthousiasme naïf et spontané de programmation. Lors de cette première expérience, je découvrais alors une moyenne d’âge avancée de spectateur.ices qui m’amena à me poser une série de questions : la fréquentation des salles appartient-elle à une autre génération ? où sont les plus jeunes ? Le cadre d’exposition des œuvres conditionne-t-il la variété des spectateur.ices ?

Avec le FFO, se sédimenta la nécessité de contribuer à l’élaboration d’une histoire territoriale du cinéma qui soit indépendante de l’influence médiatique et professionnelle. Il s’agissait de considérer un ensemble de films quels que soient leurs moyens de production. Il s’agissait, à l’endroit du cinéma, de se rendre compte que se jouait ici aussi une lutte des classes et donc une lutte de pouvoir et que les formes des films avaient rapport avec les contextes de financement et les héritages culturels des producteur.ices et auteur.ices. Dans le cadre de la fiction en prise de vue réelle, les enthousiasmes esthétiques, les inventions, les troubles, se retrouvaient particulièrement chez celle.eux pratiquant l’auto production. Le FFO fut un petit moyen de contre-culture, ce fut un moyen de considérer – entre autres – les films pauvres.

Avec la disparition soudaine du FFO et la naissance de Faire Meute, d’autres questions et aspirations se cristallisèrent. Alors que chacun, tous les jours, est noyé dans un flot d’images, comment croire que les films peuvent encore faire « spectacle » ? Comment se souvenir d’eux ? Quoi de plus banal aujourd’hui que de fabriquer ou de diffuser des images ? N’est-il pas grotesque de croire qu’en fabriquer ou en diffuser aujourd’hui serait « essentiel » ? Paradoxalement, c’est au cœur d’une sensation d’ « inutilité » ou de « non productivité » de pratiques que je trouve désormais plaisir et motivation.

Si vous deviez raconter un rêve de programmation, lequel serait-il ?

La programmation du cinéma Arvor à Rennes est remarquable. Ce cinéma est capable par exemple d’une considération équivalente pour Massacre à la Tronçonneuse ou La Strada. Cet éclectisme, cette absence de distinction et donc de snobisme est trop rare. Je ne crois pas que cela soit sans rapport si, dans ce cinéma en particulier, commence à s’observer une pluralité de spectateur.ices.

Mais pour reprendre les termes du producteur rennais Olivier Marboeuf (Spectre Production), pour moi désormais un rêve de programmation s’accompagne d’un rêve de lieu, d’un rêve d’une « mangrove ingouvernable et sans héros, lieu d’emmêlement et de propagules. »

Je rêve d’un lieu qui n’encouragerait pas les auteur.ices à se prendre pour des héros, les producteur.ices pour des souverain.es, les diffuseurs pour des apôtres culturels, les médiateur.ices pour des profs. Je rêve de lieux suffisamment peu identifiés ou peu institutionnels pour qu’ils permettent aux mauvaises graines d’hier de germer et qui auraient la volonté d’accueillir des spectateur.ices que le mot de « culture » rebute. Je rêve enfin de lieux non contaminés par le management soft qui n’a de cesse de déverser ses totems – entre autres – de « mérite », de « talent », de « résilience » ou de « bienveillance ». Nous habitons également dans des mots, aussi ai-je un désir de vocabulaire, d’argots et de langue vivante, de vulgarités, de précisions, de pensées. Un désir d’air en somme ! Bye Bye les tapis rouges, bonjour les mangroves.

Le cinéma et sa façon de l’exposer, pour paraphraser ce mythomane nébuleux de Malraux, seront ringards ou ne seront pas !

Né à Saint-Brieuc, Léo DAZIN rejoint l’association Equinok Films lors de ses études de cinéma à Rennes 2 et en devient le président en 2013. Il a aussi travaillé tour à tour en tant que réalisateur de fictions, programmateur du festival Travelling et du Festival du film de l’Ouest, animateur radio dans l’émission consacrée au court métrage en Bretagne Un court en dit long, et en tant qu’assistant réalisateur sur de nombreux courts métrages. Léo Dazin a également assuré des ateliers d’initiation à la mise en scène à l’université Rennes 2. En 2018, il se lance dans la réalisation de court métrage avec Gargantua, suivi en 2021 du Petit tailleurEn novembre 2021, il crée le collectif de développement, de production et de diffusion de films Faire meute, avec Owen Morandeau et Antoine Lareyre.