À l’occasion du prochain festival Travelling, .Mille et Une. Films fête son vingtième anniversaire en proposant une sélection de ses films les plus emblématiques. Depuis 1995, la société de production rennaise a donné naissance à près de soixante-dix films, brassant les genres et les thèmes avec éclectisme et singularité. Documentaires, fictions courtes, longs métrages… Un parcours prolifique et exigeant sur lequel revient le créateur de la société, Gilles Padovani.

 

– Vous souvenez-vous de votre état d’esprit au moment de la création de .Mille et Une. Films  ?

Gilles Padovani  : Je n’avais pas vraiment de cible dans le viseur. Je ne suis pas quelqu’un qui se fixe des objectifs à long terme. Bien s’occuper du présent me paraît déjà être un joli programme. À l’époque, fin 1995, je gagnais ma vie comme directeur de production et régisseur sur des longs métrages. L’idée de produire des films me taraudait depuis un moment. Je ne réalisais pas vraiment toute la complexité de ce métier, et heureusement d’ailleurs, sinon j’aurais peut-être hésité ! Quand je suis venu vivre à Rennes, après avoir travaillé à Paris, j’ai décidé de sauter le pas. Il se trouve qu’à ce moment là je lisais les contes des Mille et une Nuits qui mêlent magnifiquement aventure et poésie et qui dégagent je trouve une profonde volupté. J’ai donc baptisé la société .Mille et Une. Films.

– On imagine que travailler sur des longs métrages constitue un solide bagage pour devenir producteur.

Pour l’aspect logistique, sans aucun doute, j’ai pu mettre à profit mon expérience, mais j’avais rarement été mêlé aux considérations artistiques en tant que directeur de production. J’avais aussi une petite expérience de réalisateur, puisque j’avais signé un film documentaire : Humanitaires anonymes, que j’ai vendu à l’époque avec une certaine fierté à Planète. Mais j’ai vite compris que je ne serais jamais un bon réalisateur, c’est beaucoup trop difficile… Et c’est surtout la production qui m’attirait. J’ai eu la chance de suivre, avec pas mal de Bretons, la formation « Produire en région », encadrée par le producteur Jacques Bidou et le réalisateur Jean-Marie Barbe.  Ça nous a fait gagner beaucoup de temps en nous donnant de nombreuses ficelles. L’un des projets que j’avais dans mes cartons, Clean time, le soleil en plein hiver de Didier Nion, a ainsi vu le jour en 96. C’est le premier film produit par la société, et il a été déterminant dans son histoire, il fait partie de son A.D.N.

 

– Aviez-vous une ligne éditoriale à l’époque ? Comment avez-vous choisi vos projets ?

Il n’y avait pas réellement de ligne éditoriale, il n’y en a toujours pas. Je fonctionne aux coups de cœur, aux rencontres. J’aime être séduit par un sujet, un auteur. Un film ça peut être très long à faire, donc il faut qu’il y ait un désir fort de le porter. Ce qui m’intéresse, c’est avant tout l’humanité d’un sujet, les questionnements qu’il soulève. Bien entendu, en vingt ans, la situation a évolué. Il y a des documentaires qu’on faisait encore il y a cinq ou six ans qu’on ne peut plus faire aujourd’hui. Il faut savoir louvoyer, avoir à l’esprit que certains projets qui me tiennent à cœur ne vont pas rapporter d’argent. Heureusement, je parviens à compenser avec d’autres productions plus rentables. C’est un équilibre délicat à trouver.

– Votre approche du métier de producteur a-t-elle évolué durant toutes ces années ?

Je ne crois pas. Bien sûr, on apprend au fur et à mesure. Mais je pense que je suis resté assez cohérent avec mes débuts. Je fais parfois des propositions aux réalisateurs avec qui je travaille, je remets en cause les choses, j’essaie d’aller le plus loin possible dans l’écriture. Producteur est un métier qui demande pas mal de compétences  : il faut être à la fois financier, manager, un peu artiste, psychologue… Je suis avant tout cinéphile, je suis entré dans ce métier parce que j’aimais le cinéma, et ça n’a pas changé.

– Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru, vos réussites, vos échecs… ?

Je suis très fier de certains films et également des relations de fidélité que j’ai tissées avec certains réalisateurs comme Didier Nion, avec qui nous avons aussi fait Juillet et Dix-sept ans. Trois films qui ont profondément dessiné l’image de .Mille et Une. J’ai énormément appris en travaillant avec lui : l’exigence, la rigueur, l’acharnement… J’ai aussi beaucoup d’affection pour les longues histoires construites avec Hubert Budor, Bénédicte Pagnot, Gulya Mirzoeva, Jean-Jacques Rault

 

En ce qui concerne les échecs, il est parfois arrivé que je ne réussisse pas à bien accompagner certains réalisateurs, qu’une relation satisfaisante et constructive ne s’établisse pas, ce qui ne veut pas dire que les films n’ont pas été de belles réussites, mais il y a eu moins de plaisir. Et puis bien sûr, il y a des films plus réussis que d’autres…

– Pendant près de cinq ans, .Mille et Une. Films a produit exclusivement des films documentaires. Puis, à partir des années 2000, vous vous êtes ouverts à la fiction…

C’était un désir un peu enfoui. Je m’étais cantonné au documentaire par goût, mais aussi parce que j’avais très vite compris que pour vivre du court métrage, il fallait en produire beaucoup. Le travail sur les documentaires m’apportait énormément de satisfaction et me permettait de commencer à faire vivre la société. Mais la fiction s’est tout de même petit à petit immiscée, tout d’abord avec Dourga d’Antoine Vaton, puis ensuite avec la rencontre avec Bénédicte Pagnot

 

– Vous avez eu une relation très fructueuse avec elle : Mauvaise graine, La pluie et le beau temps, puis dernièrement Les lendemains, votre premier long métrage.

Oui il y avait d’abord eu un doc : Derrière les arbres et puis très vite le projet qui deviendra Les lendemains. Elle a réalisé les courts métrages pendant l’écriture du scénario. Produire Les lendemains fut une expérience intense ; à la fois une espèce d’aboutissement et bien sûr un nouveau départ vers la fiction longue avec Melody de Bernard Bellefroid et Dégradé des frères Nasser, même si je ne suis que coproducteur de ces films.

 

Pour en revenir à Bénédicte, nous commençons le montage de son nouveau long métrage, documentaire cette fois, et qui s’intitule L’ invitation au voyage. C’est un voyage intimiste en Islam.

– Le long métrage a donc pris aujourd’hui une place prépondérante dans la production de .Mille et Une. Films.

Prépondérante  ? Non. Mais l’équipe s’est agrandie. Jean-Philippe Lecomte prend en charge la production de nombreux documentaires et commence à développer ses propres projets. Ça me permet de passer du temps sur le développement de la fiction. Un nouveau défi, de nouvelles pages à écrire pour Mille et Une, car comme Shéhérazade, une société de production doit sans cesse continuer à raconter des histoires, sinon, elle disparaît.

Propos recueillis et mis en forme par Jean-Claude Rozec

 

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Les vingt ans de .Mille et Une. Films, du 4 au 9 février 2016 au festival Travelling, programme complet ici.Et notamment les films en illustration de l’article :

  • Didier Nion et .Mille et Une. Films présentent en accès libre une version inédite de son film Clean Time, le soleil en plein hiver, sur le Blog Documentaire
  • Sept jours de la vie du Père Noël de Gulya Mirzoeva sera projeté le 6 février à 17h30 à la Parcheminerie, en présence de la réalisatrice. En partenariat avec Comptoir du Doc. 
  • Dégradé d’Arab et Tarzan Nasser sera projeté en avant-première le 5 février à 20h45 au Ciné-TNB, en présence des réalisateurs.
  • Les lendemains, de Bénédicte Pagnot, sera diffusée sur TVR, Tébéo et TébéSud, le 4 février à 20H30.

 

Travelling crée l’événement avec la présence de nombreuses équipes de films en avant-premières, une douzaine au total, dont quatre productions ancrées à l’Ouest : Dégradé des frères Nasser, Marie et les naufragés de Sébastien Betbeder, Crache cœur de Julia Kowalski & Suite armoricaine de Pascale Breton. Plus d’infos, les horaires et lieux ici.

Autre rendez-vous cette fois avec des courts-métrages : Courts à l’Ouest, le Samedi 6/02 à 17h45 au Gaumont, pour découvrir Miaou miaou fourrure d’Erwan Le Duc, Tu tournes en rond dans la nuit et tu es dévoré par le feu de Jonathan Millet, Lueurs d’Olivier Broudeur et Anthony Quéré, Dublin II de Basile Remaury, Ma maison de Lisa Diaz et D’ombres et d’ailes d’Eleonora Marinoni et Elice Meng.

Et côté documentaire, une avant-première, Ma famille entre deux terres de Nadja Harek et un film en écho avec la saison Fendre les flots de la Criée, Les Hommes d’Ariane Michel. Plus d’infos, les horaires et lieux ici.