Pour un véritable audiovisuel public décentralisé


Lors des dernières Rencontres Doc’Ouest, Jean-Michel Le Boulanger, le vice-président de la Région, en charge de la culture, a invité les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel à lui faire des propositions dans le cadre de l’acte III de la décentralisation. La Bretagne va, en effet, demander au gouvernement un droit à l’expérimentation, notamment dans le domaine culturel. Cette motion sera discutée par l’assemblée régionale en décembre et le nouveau projet de loi sur la décentralisation présenté au Parlement début 2013. La profession, réunie au sein de Films en Bretagne, s’est mobilisée et a mené une large concertation dont voici la synthèse.

La création cinématographique et audiovisuelle en région est un « territoire oublié » de la décentralisation. Une seule région, l’Île-de-France, prime dans une organisation qui fragilise les professionnels implantés ailleurs. Aucune autre forme d’expression artistique n’a concentré à ce point son mode de financement et de décision. Tous les télédiffuseurs, publics et privés, restent concentrés sur Paris et sa couronne. France 3, la « chaine des régions », offre à ces régions généreusement deux heures de décrochage quotidien et moins de 5% de la conception de ses programmes.
Aujourd’hui, la création audiovisuelle en régions compte pourtant de nombreuses sociétés de production et s’appuie sur des centaines de réalisateurs, techniciens et comédiens. En Bretagne, la mutualisation de programmes par les télévisions locales avec le soutien de la Région a permis d’expérimenter une proposition alternative et complémentaire de celle de France Télévisions, mais l’économie de ce projet reste fragile. Sans diffuseurs régionaux de plein exercice, la consolidation d’un secteur audiovisuel hors Île-de-France semble illusoire.
Pour le cinéma, la situation apparaît encore plus sombre. La fiction d’initiative régionale se limite très largement à la production de courts métrages. Si les collectivités territoriales sont devenues des acteurs financiers importants pour la production cinématographique hexagonale, la totalité des autres sources de financement habituelles du long métrage de fiction (et par extension de la fiction TV et de l’animation) est regroupée en Île-de-France.
L’enjeu ne se limite pas à une problématique d’aménagement du territoire. La pluralité des points de vue, l’expression de la diversité culturelle d’un pays sont questionnées par cette situation que ne connaissent pas nos voisins allemands, espagnols ou britanniques.
Les professionnels de l’audiovisuel et du cinéma fédérés au sein de Films en Bretagne appellent à une véritable décentralisation de leur secteur d’activité s’appuyant sur l’existence d’un nouveau service public régional doté de budgets et d’espaces de diffusion – correspondant à la réalité et aux besoins du territoire – et sur la création d’outils financiers permettant le développement d’œuvres cinématographiques ambitieuses.
La Bretagne, dont le volontarisme politique a permis le développement de notre tissu professionnel, a également favorisé des innovations, et leurs applications, dans le domaine des technologies de l’information et communication. Tout cela est propice à une expérimentation audacieuse à l’écoute de la diversité des territoires composant la Bretagne, des personnes qui les animent et de leurs initiatives.

1. DÉVELOPPER UNE PLATEFORME AUDIOVISUELLE « BRETAGNE »

Contexte
Expérimenter en région, c’est innover. Pour les professionnels du secteur cinématographique et audiovisuel unis au sein de Films en Bretagne, le développement d’un service public sur le web, permettant d’échapper à l’obsolescence programmée de la télévision, est une priorité. À l’heure de la convergence numérique, il nous semble nécessaire de penser le développement de la télévision régionale de plein exercice en ne la limitant pas à un projet diffusé par voie hertzienne. Nous proposons un portail audiovisuel public connecté, estampillé « Bretagne », qui diffuse, coproduit et éditorialise des contenus à toute heure et dans la durée. Cette plateforme participative sera accessible depuis tous les écrans connectés : du téléviseur nouvelle génération au smartphone, en passant par l’ordinateur et la salle de cinéma.
Objectifs
Il s’agit pour la puissance publique de constituer un espace sur internet : un service public régional de l’audiovisuel connecté qui représente en soi un projet politique, économique et territorial réunissant plusieurs objectifs transversaux :
· Un audiovisuel régional bien visible de la population et facilement accessible à tous
· La valorisation d’une diversité tant territoriale que sociale dans les sujets et les points de vue
· La consolidation d’une filière de création et le développement d’un secteur économique
Contenu
Sous le vocable « audiovisuel », nous rassemblons : le cinéma et la création audiovisuelle tous genres confondus (fiction, animation, documentaire, créations hybrides…), ainsi que les programmes journalistiques et éducatifs (talk show, magazines, émissions de plateaux). La création en langue bretonne et les programmes utiles à sa promotion (films et séries doublées, reportages,…) participent à la diversité des regards proposés.
La plateforme mettra à disposition de tous les publics, bien au-delà du territoire régional, des contenus reliés par un travail éditorial. Elle aura vocation à exposer des œuvres audiovisuelles, mais aussi à les accompagner, les mettre en perspective avec l’actualité et ses divers commentateurs, à recommander des manifestations ou parutions, analyser la marche du monde, solliciter la participation des publics et faciliter leurs recherches thématiques. La plateforme proposera de manière sélective des ramifications vers tous les médias en accès libre sur le web : presse, radio, blogs, etc. et sera accessible, selon des règles à définir, à tous les acteurs du territoire, les particuliers bien sûr, mais aussi les salles de diffusion, les médiathèques, écoles, collèges, lycées, universités, etc. Ces acteurs auront également la possibilité de contribuer aux contenus de la plateforme participative.

Au-delà de son travail quotidien d’éditorialisation, la plateforme aura vocation à coproduire des œuvres originales, tous genres confondus, moyennant l’agrément du CSA (permettant d’avoir accès aux soutiens audiovisuels du CNC) ainsi que des programmes de flux. Ces contenus, portés par des producteurs indépendants, marqueront l’identité de la plateforme. Ils seront reliés à des contenus « invités » ou préexistants : émissions des télévisions locales et régionales, articles de presse, textes divers, expressions libres ainsi que des œuvres existantes dont la plateforme aura acquis les droits.
Il s’agira également pour ce média d’être présent auprès de tous les acteurs de la société, afin de valoriser leurs productions et rendre compte des mutations sociales, historiques et culturelles : arts, spectacle vivant, sciences, vie quotidienne, politique, économie, mouvements sociaux… Mais l’audiovisuel public doit lui-même constituer une pratique artistique : affirmation de points de vue, expression poétique pour rendre compte de l’intérieur des grands ébranlements du monde, invention des formes originales et expérimentation de dispositifs de récits singuliers. Il s’agit par-là d’amener le spectateur à devenir plus actif dans la lecture des œuvres, de stimuler ses facultés interprétatives et de l’inciter à prendre position.
Gouvernance
La plateforme pourrait être gérée par une SCIC, société coopérative d’intérêt collectif. C’est une coopérative de participation fondée sur un projet de territoire qui peut accueillir en sociétaires :
– les contributeurs (association, collectivités, entreprises, bénévoles, etc.)
– les salariés
– les bénéficiaires (société civile ou autre)
La plateforme serait placée sous la tutelle de la Région et sa gouvernance, c’est-à-dire les administrateurs et dirigeants, serait nommée par l’assemblée des associés.
Financements
Le meilleur moyen pour les Régions d’avoir les mains libres pour construire un audiovisuel public décentralisé, c’est de pouvoir percevoir directement une part de la Contribution à l’Audiovisuel Public, comme c’est le cas dans d’autres pays de l’UE. À l’Etat l’audiovisuel public national et international, aux Régions le service public décentralisé. D’autre part, ce nouveau service pourra recevoir le soutien d’investisseurs privés, en imaginant qu’ils en tirent des avantages fiscaux. Evidemment, ces participations resteraient minoritaires.

2. ACCOMPAGNER LA PHASE DE TRANSITION : ÉLARGIR LES COMPÉTENCES
DES TÉLÉVISIONS EN RÉGIONS

Dans la mesure où une part significative de la population ne peut encore accéder à Internet, une part de l’audiovisuel public passera encore un certain temps par la TNT et ses opérateurs de télédiffusion. Il faut donc aussi pouvoir agir pour une augmentation de la capacité de coproduction régionale des chaînes de télévision existantes.
Assortir le financement régional d’obligations
Concernant France 3, l’expérience nous a démontré à de multiples reprises depuis 30 ans, que lorsqu’un mouvement de décentralisation de France Télévisions est mené depuis Paris, et même s’il est inscrit dans la loi, il n’aboutit pas. Mais dans l’hypothèse d’une augmentation sensible du temps d’antenne ou d’une expérimentation de chaînes régionales de plein exercice, il y aurait nécessité pour la Région, d’accompagner son implication financière d’obligations contractualisées, voire d’intégrer la tutelle de la chaîne, afin de s’assurer de l’application de ses objectifs.
Concernant les télévisions locales, dans son économie actuelle, la production de programmes reste ancrée dans un modèle économique que l’on peut définir comme « low cost ». Le développement de la filière régionale ne peut s’appuyer uniquement sur ce type de production et de programmes : documentaires, courts métrages, captations. Néanmoins, une dynamique nouvelle est apparue grâce à leur travail de proximité et d’écoute des acteurs et des initiatives locales. Elle démontre l’intérêt et l’adhésion que pourrait susciter le projet fédérateur de la plate-forme « Bretagne ».
Il faut envisager des modèles économiques permettant l’émergence d’une fiction TV, de programmes en animation, de magazines pouvant s’appuyer sur un socle économique régional. Il ne s’agit pas d’envisager des plans de financement reposant uniquement sur l’apport des diffuseurs locaux ou régionaux, mais, pour séduire des partenaires hors Bretagne (et ainsi compléter leurs financements), de tels programmes coproduits avec ces diffuseurs doivent avoir un niveau de qualité élevé. Or, cette qualité a un coût incompressible.
Préparer la mise en place de la plateforme
Ce renforcement est complémentaire du projet de plateforme au sein de laquelle une grande part des programmes de France 3 Bretagne et des télévisions locales seront réexposés. La Région pourrait – en vue de la création de la plateforme – ajouter une clause à son COM de diffusion en deux temps. Les programmes coproduits par les télés locales dans le cadre de l’UPR pourraient par exemple avoir une première diffusion sur la TNT, et dans un second temps être disponibles sur la plateforme « Bretagne ».
Des partenariats seront ensuite à développer. Certains programmes pourront être coproduits par les deux, voire les trois entités. Des complémentarités de programmes pourraient également être étudiées.

3- AGIR POUR LE CINEMA EN BRETAGNE

Nous soutenons fortement le projet de SOFICA Bretagne tel qu’il est déjà porté par des professionnels bretons et inscrit dans la politique audiovisuelle régionale. En complément, un organisme de financement tel qu’une « Fondation Bretagne pour le cinéma », puisant majoritairement ses ressources dans le mécénat, pourrait voir le jour. Le couplage de ces deux dispositifs à des financements émanant des diffuseurs régionaux favoriserait le développement de longs métrages (fiction, animation, documentaire) mais aussi des formats audiovisuels nécessitant des investissements élevés comme les séries d’animation, les séries et grands formats documentaires ou encore la fiction TV. Soumis à des obligations de dépenses en région (tournages, post-production), ces dispositifs participeraient de fait à l’attractivité du territoire et à l’augmentation du volume de tournages sur la région.
Nous sommes convaincus que cette initiative de décentralisation peut provoquer un réel engouement public et professionnel. Cette plate-forme « Bretagne » permettra de réunir les générations, de fédérer autour d’un territoire, d’ouvrir un large espace éditorial, et de revaloriser le patrimoine audiovisuel. Outre le fait d’être en phase avec la révolution technologique en cours, ce projet redonne du sens à un service public audiovisuel fort et responsable, et répond à une nécessité : refaire du spectateur un citoyen.
Films en Bretagne.