VASSILI SILOVIC lors du workshop en Flandres © Iulia Rugina
“Fabriquer de l’infini dans un espace réduit”. La formule lancée par Antoine Le Bos peut résumer l’idée LIM, cette plate-forme européenne de développement de long métrage à budget limité lancée au sein du Groupe Ouest en octobre 2016. Le réalisateur Vassili Silovic assure la direction de ce projet qui se construit déjà sur le terrain.
Vassili Silovic est un nouvel arrivé au sein de l’équipe du Groupe Ouest implantée à Plounéour-Brignogan-Plages. Il prend tout simplement la direction de la dernière initiative née au sein des bureaux de la côte nord-finistérienne en vue de favoriser l’émergence de nouveaux talents dans le monde du cinéma. Il s’agit de LIM – pour Less Is More – une plate-forme européenne de développement de films de long métrage à budget limité. Le Groupe Ouest porte le projet qui est soutenu par le volet Media du programme Creative Europe de l’Union européenne en partenariat avec l’association culturelle Control N en Roumanie, le Vlaams Audiovisueel Fonds – VAF en Belgique, le Krakow Festival Office – KBF en Pologne et le Transilvania International Film Festival – TIFF en Roumanie.
Si l’on s’attarde sur son parcours que Vassili Silovic qualifie lui-même de compliqué, on peut comprendre comment ce réalisateur de films documentaires, polyglotte, né en Slovénie du temps de l’ancienne Yougoslavie et parisien depuis le début des années 1990, se retrouve à la tête d’un projet d’envergure né en Bretagne et dont les premières fondations ont été posées en mars 2017 du côté de la frontière belgo-néerlandaise, dans une petite localité au nom prédestiné de Limbourg.
Vassili Silovic a grandi en Allemagne, le pays où il a fait ses premières armes au cinéma. En production puis bientôt en réalisation de portraits d’artistes comme celui du musicien Nino Rota coproduit par Arte. “Je suis en fait un enfant de la chaîne de télévision franco-allemande, tient-il à préciser. C’est un projet ouvert sur l’Europe qui fait rêver. Je me considère comme un Européen dans l’âme et aujourd’hui c’est aussi cette dimension qui m’attire dans LIM.” Vassili Silovic avoue aussi être tombé amoureux de la culture française avant qu’il ne débarque à Paris en 1993 portant sous le bras un projet d’envergure. À partir des images d’œuvres non abouties qu’Oja Kodar, la veuve du cinéaste, lui a confiées, il cherche à témoigner des dernières années de la vie d’Orson Welles. Ces archives sont entre de bonnes mains : cela devient l’heure et demie du remarqué Orson Welles, l’homme-orchestre, présenté au festival de Venise en 1995. C’est à cette époque déjà qu’il croise Antoine Le Bos qui reprend alors des études de philosophie. Il le sollicite pour écrire la trame du texte dit en voix off de son film. “Des conseils pour donner de la vie à la langue” se rappelle Vassili Silovic.
Par la suite, le réalisateur itinérant s’installe à Paris et continue de travailler en France en réalisant une vingtaine de films où il aborde des thèmes aussi variés que manger, écrire, escroquer, faire du foot ou des affaires. “Ma démarche de documentariste est d’apprendre, de me mettre dans la situation de celui qui regarde et s’approprie les choses en faisant.” À la fois curieux, touche-à-tout et prêt à s’embarquer à la moindre sollicitation qui aiguise son intérêt, il aime interroger ses contemporains. Son dernier film Only New Orleans, diffusé en septembre 2016 sur Arte, est un retour sur la ville américaine dix ans après le passage de l’ouragan Katrina. Un questionnement teinté d’optimisme pour mettre en lumière comment la culture et la musique ont pu sauver une ville que plus d’un avait condamnée.
L’aventure de LIM entre très naturellement dans cet itinéraire de vie professionnelle. “Antoine Le Bos cherchait une personne compétente et à l’aise dans le milieu du cinéma européen. Et ce qui m’a touché, c’est la vision qu’il voulait donner à cette expérience qui n’a pas de frontières et qui s’est située, dès les premières réflexions, à un niveau européen. Je suis à l’aise quand on ne parle pas de frontières naturelles. Les cultures se nourrissent mutuellement. J’ai moi-même cherché à me nourrir comme cela.”
Antoine Le Bos présente LIM au public des Rencontres de Films en Bretagne @ YLM Picture
Le projet LIM a vu le jour en octobre dernier à l’occasion des Rencontres de Films en Bretagne à Saint-Quay-Portrieux. Antoine Le Bos, toujours volontaire afin de créer “une dynamique décentralisée pour la fabrication de longs métrages” et fort, au bout de dix années d’existence du Groupe Ouest, du passage du cap des cinq cents auteurs accueillis en résidence à Plounéour-Brignogan-Plages, l’a lancé en défendant “le budget limité comme levier de créativité et d’inventivité narrative.” Son invitation a surpris en raison de l’écho reçu chez de jeunes cinéastes en manque d’expérience ou en quête de soutien à l’écriture, mais tous capables de s’exprimer en anglais la langue en usage au sein de LIM. Trois cents demandes ont été enregistrées en provenance de cinquante-neuf pays et pas seulement européens. Des lecteurs répartis sur l’ensemble du territoire européen – avec lesquels le Groupe Ouest collabore déjà – ont retenu cinquante propositions qui ont abouti à une sélection finale de seize projets à laquelle Vassili Silovic a été associé. “Au final, c’est une belle palette européenne mais elle comprend également un Brésilien, un Vénézuélien, un Indien…, ce que permet l’Union européenne puisque 20% des participants peuvent être originaires d’un pays hors-UE. Il y a aussi deux Belges et l’un deux travaille sur un film d’animation. Nous avons osé franchir le pas en le retenant parce qu’il s’agit d’une histoire à fort potentiel qui donne également de la place au processus de création du dessin lui-même…”
Les tuteurs lors du workshop en Flandres © Iulia Rugina
LIM fonctionne avec quatre tuteurs-consultants aux parcours professionnels très différents, Marcel Beaulieu, Pierre Hodgson, Antoine Le Bos et Leonardo Staglianò. “Chacun est tuteur principal de quatre auteurs, mais on essaie le plus souvent possible de les faire fonctionner en duo. L’idée est d’éviter d’avoir un seul regard, un seul point de vue sur les projets”, résume Vassili Silovic. Trois sessions principales ont été programmées pour rassembler tous les acteurs concernés par cette première expérience de LIM qui accompagne en fait dix-huit personnes puisque deux projets sont en coécriture. Limbourg a essuyé les plâtres d’une aventure où le Groupe Ouest se risquait pour la première fois hors de ses repères finistériens. “Rien ne garantissait que cela fonctionne immédiatement mais le groupe s’est soudé très vite.” Le choix du village isolé peut perturber au départ mais la recette expérimentée de longue date au sein du Groupe Ouest continue de favoriser l’alchimie propice à la capacité d’écoute et à la bienveillance. “Il y a quelque chose qui est propre au Groupe Ouest, c’est tout l’amour et toute l’énergie donnés aux auteurs. Cela se ressent chez ceux-ci immédiatement. C’est une chaleur qui enveloppe. On peut se livrer plus facilement ”, analyse Vassili Silovic. Entre travail en grand groupe ou en demi-groupes, échanges individuels avec son tuteur – en direct ou par Skype une fois la session principale achevée – le projet d’écriture s’affine au fil des semaines. Chacun peut en mesurer l’évolution à l’aide de l’outil du Raconte-moi qui est un peu la marque de fabrique du Groupe Ouest. Plus personnel que le pitch d’un film, il mélange à la fois la personnalité de l’auteur et sa façon de raconter une histoire. Chaque session du LIM démarre et s’achève par un Raconte-Moi. À Cluj en Transylvanie, pour le rendez-vous de juin, un nouvel ingrédient a été introduit dans la démarche. Après deux jours à élaborer de nouveaux Raconte-Moi, la présentation de seize projets s’est faite, dans le cadre du Transilvania International Film Festival, devant un parterre de professionnels du cinéma, producteurs et distributeurs notamment, invités à échanger avec les auteurs après avoir été au préalable informés de la démarche du LIM. “Cluj va nous mettre dans le bain pour une phase ultérieure, explique Vassili Silovic. LIM, ce n’est pas seulement un accompagnement des auteurs en écriture, mais la volonté d’aller plus loin jusqu’à la pré-production voire la co-production. On bâtit LIM étape par étape. Nous sommes à la fois acteurs et protecteurs des projets.”
Les auteurs lors du workshop en Flandres © Iulia Rugina
Le dernier rendez-vous à l’automne 2017 à Plounéour-Brignogan-Plages va se construire en fonction des retours d’expérience tirés du passage à Cluj. “On espère quitter les auteurs avec un projet pas encore totalement abouti, mais un traitement, une continuité où la part dramaturgique du récit aura pris une place importante en terme d’efficacité comme aura progressé la réflexion sur la notion de budget limité.” Une dimension où l’expérience de Vassili Silovic dans le documentaire pourra s’avérer précieuse. “C’est un genre cinématographique qui ne connaît pas l’opulence. On est en permanence obligé de trouver des solutions pour contourner les obstacles. C’est une gymnastique imposée par le genre.”
Dans ce troisième workshop, le travail d’accompagnement de quatre jeunes producteurs européens choisis pour participer l’aventure du premier LIM – Jelena Miseljic, Fred Prémel, Gabi Suciu, Aneta Zagórska – pourra aussi mieux se concrétiser. “Nous leur offrons l’opportunité de suivre un processus artistique comme un producteur le fait rarement. De vivre de l’intérieur toutes les étapes de la création, les tourments, les difficultés… L’idée est aussi de leur laisser plus de place au fil des sessions. Ils vont grandir dans leurs rôles respectifs.”
Christian Campion
Photo de Une : Vassili Silovic lors du workshop de Limbourg en Flandres © Iulia Rugina
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