Depuis juin 2009, TV Rennes 35, Tébéo (Brest) et Ty Télé (Lorient), les trois chaînes de télévisions locales bretonnes diffusées sur la TNT, expérimentent une plate-forme collaborative originale.

Avec le soutien de la Région Bretagne, via un contrats d’objectifs et de moyens (COM) de 590 K€ signé avec TV Rennes 35, les trois diffuseurs apprennent à travailler ensemble dans une unité de programmes commune et coproduisent Destinations Bretagne, fenêtre hebdomadaire de 90 minutes sur la création audiovisuelle régionale.
Alors que la signature d’un second COM avec la Région semble bien engagée, premier bilan d’étape avec Dominique Hannedouche, directeur général délégué de la chaîne rennaise, et Aurélie Rousseau, coordinatrice de l’unité régionale de production des chaînes locales de Bretagne.

Comment a fonctionné l’association des trois locales sur ce premier exercice ?
Dominique Hannedouche : Il fallait que les trois chaînes s’approprient cette unité de programmes. TV Rennes 35, la plus ancienne des trois, a porté et organisé la mise en place du projet mais n’a pas cherché à se retrouver dans une position hégémonique. L’important, c’était de créer une dynamique forte de travail en commun.
Aurélie Rousseau : Cela a été une année pendant laquelle nous avons appris à nous connaître et à réfléchir de manière globale tout en tenant compte des spécificités de chacun.
Qu’est-ce qui vous a fédéré ?
DH : Le fait que l’unité de programmes cherche à créer un vrai programme de complément à thématique régionale pour les trois chaînes a été essentiel. Nous fabriquons tous des programmes locaux, donc il était pertinent de soutenir des projets parlant du territoire régional.
AR : Un exemple concret de l’effet de la mutualisation. Nous sommes dans une logique de valorisation du territoire et les trois chaînes ont une audience littorale du fait de la géographie des départements où elles sont diffusées. Il nous a alors semblé pertinent de développer une thématique « voile ». Or, ce type de programme est souvent trop complexe et trop onéreux à produire pour une locale. La coproduction via l’unité de programmes a été la solution pour avoir accès à des documentaires sur cette thématique.
DH : Un des succès de l’unité de programmes a été de faire travailler les rédactions des trois chaînes ensemble. Nos équipes ont ainsi pu couvrir le Salon Nautique et le Salon de l’Agriculture à Paris, les élections régionales, la Fête de la Bretagne ou la montée du Stade Brestois en L1.
Nous avons même réussi à monter une opération interrégionale avec la chaîne Wéo dans le Nord-Pas-de-Calais en retransmettant la captation du match de Pro A Rennes Volley 35/Tourcoing. L’audience potentielle était de 8 millions de spectateurs et nous cette retransmission a été pour nous l’occasion d’un gros « buzz ».
Le COM était en partie financé par le fonds langue bretonne du Conseil régional. Comment avez-vous travaillé sur les programmes en breton ?
AR : Nous avons lancé un appel à projets en février et il faut dire que nous avons été étonnés du faible nombre de retours.
DH : C’est une problématique complexe. Nous aimerions que les programmes en breton soient diffusés dans des cases non spécifiques car nous pensons que c’est la meilleur solution pour éviter une forme de « ghettoïsation » de la langue. Nous devons donc trouver des programmes diffusables n’importe où dans la grille et c’est une vraie gageure pour les créateurs et les producteurs.
Une locale peut difficilement investir dans une série de fiction en langue bretonne. En associant les trois chaînes, nous avons pu investir dans des développements et des projets de sitcom intéressants commencent à émerger.
AR : Nous avons souhaité nous positionner comme « déclencheur » en investissant dans le soutien à des développements de projets ou à des pilotes.
Initiative particulièrement intéressante de cette première année : la re-diffusion d’œuvres du patrimoine audiovisuel comme le téléfilm Rêve de Siam ou le film Plogoff, des pierres contre des fusils. Envisagez-vous le développement de cette programmation patrimoniale ?
DH : C’est une question qui va de pair avec notre réflexion sur la VOD. Quand nous avons cherché à acheter des programmes, nous avions des listes de films mais pas de réelle visibilité du patrimoine breton. Pas d’extraits en ligne, par exemple, pour faciliter le travail de programmation. À quand un portail breton permettant une plus grande « lisibilité » du potentiel de diffusion ?
Combien de projets avez-vous reçu et comment avez-vous perçu leur qualité ?
AR : La qualité était plutôt bonne et, globalement, nous avons eu le sentiment que, du fait d’un investissement en numéraire de la plate-forme, les projets qui nous étaient envoyés étaient bien travaillés.
Quels manques avez-vous pointé dans les programmes que vous souhaiteriez diffuser ?
AR : Il est un peu trop tôt pour répondre à cette question. Notre objectif premier est avant tout d’être à l’écoute des projets et désirs de films naissants.
Nous pouvons sentir chez les auteurs et les producteurs, une crainte d’un effet pervers de la création de l’unité de programmes : la focalisation sur des films avec un contenu breton consensuel et qui écarterait de nombreux projets plus « exotiques » qui, jusqu’ici, pouvaient s’appuyer sur TV Rennes 35. Que répondez-vous à cette crainte ?
DH : Il nous faudra réfléchir à accompagner des programmes qui ne concernent pas uniquement la région dans leurs sujets.
Nous avons, par exemple, un rôle essentiel à jouer dans le soutien au premier film et nous aimerions pouvoir développer cette ligne éditoriale avec le groupement.
AR : Pour démarrer, il nous fallait une base claire et solide avant de passer à une phase 2 plus ouverte éditorialement.
Quel bilan de cette première année ?
DH : Nous avons l’ambition de créer un modèle breton de télévision locale et je crois que nous sommes dans la bonne voie parce que la Région a fait confiance aux chaînes et qu’elles gèrent leurs programmes elles-mêmes.
AR : La Région Bretagne nous soutient pour construire ENSEMBLE (Dominique Hannedouche insiste sur ce mot) ce modèle. Or, c’est un pari initial difficile quand on connaît les différences de taille ou de culture des trois chaînes.
Lors d’un récent séminaire de bilan, Olivier Clech, le directeur de Tébéo, a souligné la valeur ajoutée du groupement et de l’unité de programmes.
Comment se présente la 2e phase de fonctionnement du groupement ?
DH : Nous nous engageons dans la création d’une structure commune, une SAS à capital variable. La Région Bretagne n’a pas souhaité entrer au capital de cette SAS aux côtés des trois télévisions locales et préfère le mode de soutien via un contrat d’objectifs et de moyens pluriannuel.
Pour exister, cette SAS doit être éditrice de programmes et nous réfléchissons à la création d’une chaîne « Best of » qui pourrait s’appeler Destinations Bretagne.
Le principe de cette phase 2 est acté par la Région Bretagne et la proposition d’un COM d’un million d’Euros devrait être présenté au vote régional mi-septembre.
Au niveau organisationnel, Aurélie Rousseau et Jacqueline Irlande (TV Rennes 35) consacrent 3/4 de leur temps au travail éditorial. Dans la phase 2, nous souhaitons qu’il y ait également une coordination éditoriale à Brest pour renforcer le rôle de Tébéo dans le groupement.
Quelles nouveautés dans les programmes ?
DH : Nous cherchons à développer la thématique « sport » qui fédère les chaînes et les audiences.
Nous souhaitons également renforcer la fiction sur nos antennes et favoriser la recherche de concepts faisant appel à des modes de tournage innovants. Une série de fiction tournée avec des téléphones mobiles est en cours de développement en association avec le Groupe Ouest. Des contacts existent aussi avec le Pôle Images et Réseaux et Orange Lab sur ces questions spécifiques.
Propos recueillis par Jean-François Le Corre

Bilan synthétique des investissements de l’unité de programmes :
Montant total des investissements : apports dans la co-production : 272 400 + apports dans la co-production de projets en langue bretonne : 108 800 €
Achats de films sur catalogues (15€ / mn) :
– 17 documentaires
– 2 téléfilms
– une série de programmes courts
– 4 courts métrages de fiction
Coproductions :
Droits de 150€ / mn pour les documentaires
Droits forfaitaire de 2500 € pour un court métrage de fiction
Droits forfaitaire de 5000 € pour un court métrage d’animation
Répartition des investissements par genres et formats sur le premier exercice :
– 18 documentaires de 52′ (dont un projet en gallo) produits par 14 sociétés différentes
– 6 documentaires de 26′ produits par 6 sociétés différentes
– 8 courts métrages de fiction produits par 5 sociétés différentes
– 1 convention de développement sur un projet de fiction
– 3 courts métrages d’animation produits par 2 sociétés différentes
– 1 pilote de série d’animation (financé au titre de la langue bretonne)
– 3 captations produites par deux sociétés différentes
– 1 magazine 8 x 26′
– 1 webdocumentaire
– 2 programmes courts en langue bretonne produit par 2 sociétés différentes
– 1 développement de fiction en langue bretonne

10 contrats ont été signées avec des sociétés qui ne sont pas implantées en Bretagne.

Image : extrait de l’habillage de Destinations Bretagne