La trentaine passée et déjà plus d’une décennie à faire la scripte sur les plateaux de tournage, Marilyne Brulé possède un joli CV construit au cinéma comme à la télévision. Un métier qu’elle a appris sur le terrain sans jamais mettre de côté son intérêt de cœur pour l’analyse filmique. 

 

Patience et humilité. S’il faut choisir deux mots pour caractériser la variété des tâches qui incombent à une scripte sur un plateau de tournage, Marilyne Brulé n’hésite pas vraiment longtemps. À défaut d’avoir fréquenté les cursus de la Fémis à Paris ou de l’Insas à Bruxelles, les deux principales filières francophones où l’on apprend le métier, la jeune Brestoise annonce tout à trac qu’elle est une véritable autodidacte arrivée quasiment par hasard à endosser un costume qui lui convient désormais à merveille. « Je suis l’ombre du réalisateur, détaille-t-elle en évoquant sa toute récente collaboration avec Edwin Baily, sur la série destinée à la télévision L’Accident qui a notamment été tournée à l’automne dernier du côté de Pléneuf-Val-André. »

Et puisqu’il faut donner du sens aux choses, à l’acceptation française du terme script-girl, Marilyne Brulé préfère sa “traduction anglaise”, continuity girl, la personne qui assure la continuité sur le tournage, une responsabilité dont elle ne connaissait aucune subtilité quand elle a pour la première fois assuré la fonction. Aujourd’hui elle la définit sans hésitation : « La scripte, c’est la personne toujours en recul qui recontextualise chaque séquence puisqu’on ne tourne pas les scènes dans l’ordre où l’on voit le film à l’écran… Je suis tout le temps dans l’histoire, jamais dans l’organisation. » Derrière les formules, ce sont de multiples opérations qui s’accumulent. De la préparation en amont, chez elle où elle peut, scénario en mains, s’amuser à faire la comédienne afin d’estimer sa durée séquence après séquence puis rédiger sa continuité, un grand tableau récapitulatif avec ses cases destinées aux principaux interlocuteurs de la scripte sur le plateau – habilleur, coiffeur, maquilleur et accessoiriste. Elle est la référente en matière de raccords et son document imprimé en plusieurs exemplaires doit permettre de répondre aux questions qui vont se poser pendant le tournage.

 

Au service de l’équipe mise en scène, la scripte est aussi la représentante du montage et note les détails de rythme, de raccords… Elle rédige en conséquence un rapport où pour chaque plan elle va aiguiller celui ou celle qui en aura la charge sur les prises préférées du réalisateur, en donner leur mémoire technique et suggérer les meilleures associations à faire quand une même scène a été tournée plusieurs fois. Elle établit aussi le rapport de production, qui fait le point sur chaque jour de tournage. C’est le rappel des tâches que la script-girl a assurées aux premiers temps du cinéma quand elle n’était encore que secrétaire de plateau.

Marilyne Brulé ne rechigne pas à ces travaux comme elle ne le fait jamais quand il s’agit de passer huit heures par jour, accolée avec le réalisateur devant le petit écran du moniteur de contrôle. « Je suis son alliée artistique. Je connais l’histoire par cœur pour l’avoir relue des dizaines de fois. Je suis celle qui a le recul, de la distance par rapport au reste de la fourmilière qui s’agite sur le plateau. Je ne reçois, ni ne donne aucun ordre. Et au lieu du comment qui intéresse le reste de l’équipe, seul le pourquoi me concerne. »

Le démarrage de ce cursus professionnel original s’amorce voici près de quinze ans, alors que Marilyne Brulé suit les cours d’arts du spectacle sur le campus de l’Université Rennes 2. « J’ai appris à faire toute seule lors d’un premier court métrage d’étudiants. Je n’avais aucune notion pratique de ce métier. J’étais attirée par l’image, mais un peu timide pour m’imposer. Il y avait peut-être aussi dans un coin de ma tête, le fait qu’une copine de mon père était scripte à la télé. » La voici directement plongée dans le bain à concevoir un découpage technique, plan par plan. Une autre façon d’entrer dans l’analyse de films, le sujet qui l’intéressait particulièrement sur les bancs universitaires et même depuis sa véritable découverte du cinéma à Brest, lors des séances proposées par Film et Culture quand elle était encore lycéenne à l’Harteloire. « Les différentes composantes du métier de scripte m’ont plu immédiatement. »

À ce démarrage non programmé s’ajoute très vite la constitution d’un carnet d’adresses professionnel susceptible d’accompagner des premiers pas. Là aussi le hasard a mis son grain de sel, aidé par une petite dose de culot. « J’avais à Rennes un colocataire qui connaissait Jacques Jousseaume qui cherchait, en tant que directeur de production, une scripte pour compléter son équipe sur un tournage dans le Finistère. Il a donné mon nom et fait valoir mon expérience qui n’était que celle du court métrage réalisé à la fac… C’était en 2002, j’ai été prise. Le film n’est jamais sorti mais le tournage s’est très bien passé. Dans l’équipe, outre Jacques, il y avait Pierre Souchar, Mado Le Fur, Gwendal Quistrebert, Léna Jaffré et Nicolas Leborgne… » On ne pouvait pas beaucoup mieux tomber en Bretagne pour se lancer. La néophyte n’y est toutefois pas allée sans biscuit : La script-girl de Sylvette Baudrot et Isabel Salvini, paru aux éditions de la Fémis, lui a servi de livre de chevet et elle l’avait appris par cœur.

À une époque où il n’y avait pas encore de scripte installée en Bretagne, ce type d’expérience structure déjà un curriculum vitae. Et voici Marilyne Brulé qui se retrouve dès 2003 sur la série des films du deuxième concours de scénarios Estran. Elle travaille sur quatre des cinq tournages. « Je n’ai pas pu faire le dernier parce que je passais à la même période les épreuves pour obtenir ma maîtrise en arts du spectacle. » Parallèlement elle ne cesse de fréquenter les tournages des étudiants de l’ESRA. Des films de copains et fauchés, avec un pied à Rennes et un autre en Finistère, son carnet de contacts trouve vite un bel équilibre.

La jeune femme associe naturellement ces premières rencontres à son parcours professionnel. Après l’aventure Estran, elle participe notamment au tournage de la série télévisée à gros budget Dolmen, grâce au régisseur Éric Lionnais, puis elle côtoie pour une première fois le réalisateur Edwin Baily dans la série Petits meurtres en famille, où elle est assistante-scripte. Tout semble s’enchaîner naturellement et son bagage s’enrichit encore quand, grâce à la mise en valeur de ses expériences sur la base TAF, la voici qui, en 2009, expérimente le tournage d’un premier long métrage de cinéma. Drift Away de Daniel Sicard n’a pas fait une très longue carrière en salle, mais Marilyne Brulé n’y a pas perdu son temps comme elle n’a jamais cessé de le faire depuis, mêlant courts et longs métrages, cinéma et télévision.

 

Demain, elle retrouvera l’ambiance familiale d’un court métrage de copains alors qu’elle vient de souffler quelques jours chez elle à Brest après avoir enchaîné sur près d’une année les tournages de série ou unitaires destinés à la télévision et accumulé de nouvelles compétences. « L’Accident par exemple est un défi permanent pour la scripte. Ce sont six épisodes de cinquante-deux minutes chacun, tourné en trois mois. On passe d’un coup de cent vingt à trois cents minutes, bonjour la continuité… Comme la scripte est la garante de l’histoire, je deviens une interlocutrice privilégiée des comédiens. Dans le cas de Bruno Solo qui tient le rôle principal de la série et qui est toujours à fond dans ses personnages, il est face au problème du nombre très important de rebondissements du scénario et à celui des milliers de prises. À chaque fois, on est amené à redéfinir dans quel contexte se déroule la scène à tourner. Ce besoin d’un référent chronologique c’est moi qui l’assure. C’est un sacré enjeu personnel. J’ai retrouvé sur le plateau Edwin Baily qui se bat beaucoup pour valoriser les techniciens en région et qui avait encore envie de travailler en ma compagnie. Nous avons passé onze semaines collés toute la journée. Et si je regarde en arrière, en dix ans, je suis passée à ses côtés de l’assistante-scripte à la scripte de plein exercice… »

 

Marilyne Brulé qui s’est un moment inquiétée de savoir comment elle allait faire son trou dans le métier sans passer par la case Paris rentre tout juste de Suisse. Elle a été sollicitée par Muriel Paradis la directrice de production au sein de la société GTV, qui produit L’Accident, et aussi la série Deux flics sur les docks – également destinée à France 2 – pour laquelle la scripte brestoise a travaillé au Havre une nouvelle fois en compagnie d’Edwin Baily. Pour le téléfilm coproduit par France 3 et La Télévision Suisse Romande leur duo n’a pas été reconstitué, preuve s’il en est besoin, que Marilyne Brulé a désormais acquis suffisamment de compétences et de reconnaissance pour voler de ses propres ailes hors de Bretagne.

Christian Campion

Photo de Une : Marilyne Brulé et le comédien Féodor Atkine sur le tournage de Fleur de Tonnerre © Estelle Chaigne

Filmographie non exhaustive

2016 – Altitudes de Pierre-Antoine Hiroz (Téléfilm) France 3 et RTS, production Elzevir films/ Idip films.
2016 – Deux Flics sur les Docks (épisodes Justices et Amours Mortes) d’Edwin Baily (série) France 2, GTV productions.
2016- L’Accident d’Edwin Baily (série 6x52min) France 3, GTV productions.
2015 – Fleur de Tonnerre de Stéphanie Pillonca-Kervern (sortie salles janvier 17), JPG Films.
2015 – Tu Tournes en rond dans la nuit et tu es dévoré par le feu de Jonathan Millet (CM), Les Films de l’Heure Bleue.
2015 – La Bataille des Vénètes de Gallien Chanalet Quercy (CM en 3D), LBK/Cow prod.
2014 – West Coast de Benjamin Weill (sortie salles avril 16), production Jerico.
2014 – Melody de Bernard Bellefroid, (sortie salles mai 15) Artemis productions/Samsa film/Liaison cinématographique/Mille et Une films.
2014 – Aboudi Lao de Clarisse Potoky (CM) Iloz productions.
2013 – Quand les branches s’entremellent, les racines s’embrassent de Marthe Sébille (CM) Iloz productions.
2013 – Du Grain à Moudre de Sonia Larue (CM) Carlito Films
2012 – Captif de Gwendal Quistrebert (CM) Back in Town.
2012 – From Boston de Sylvia Guillet (CM) Paris-Brest productions.
2012 -La Place du Maure de Lisa Diaz ; Duels de Gaël Naizet (CM / collection Braquages), Tita prod.
2012 – 9m² de Sandy Seneschal (CM) Sensito Films.
2011 – La Cité Rose de Julien Abraham (sortie salles mars 13) Agat films / Ex Nihilo.
2011 – Les Lendemains de Bénédicte Pagnot (sortie salles avril 13), Mille et Une Films.
2010 – En Boite de Mathieu Paquier (CM) La Luna Productions (ESTRAN)
2010 – Quidam de Gaël Naizet (CM) Paris Brest Productions.
2010 – Autopsie de Pauline Goasmat (CM) Utopie Films.
2010 – Le Vivier de Sylvia Guillet (CM) Paris Brest Productions.
2009 – Drift Away de Daniel Sicard (sortie salles décembre 12), Mille et Une Productions.
2009 – Marteau-Ciseaux de Christophe Lemoine (CM) L&A Prod.
2009 – Le + Produit de Gaël Naizet (CM) autoproduction.
2009 – Boucherie de Sandy Seneschal, Sensito Films (ESTRAN)
2009 – Ma Vie sans Moi de C. Joulia, Libris Films (ESTRAN)
2009 – Clichés de Nadine Naous, Seconde Peau de Pauline Dévi, ô Jeunesse de Sylvia Guillet, (CM collection Corps), Paris-Brest productions.
2009 – Mauvaise Graine de Bénédicte Pagnot (CM) .Mille et Une. Films.
2009 – L’Enfant Do de Sonia Larue (CM) Paris Brest Productions.
2009 – Out ! de Marie Baptiste Roches (CM) Ysé Productions.
2008 – Reflux de Pauline Goasmat (CM) Utopie films.
2008 – Mangoustan de Pauline Dévi (CM) Paris-Brest Productions.
2008 – La Cité Rose de Julien Abraham (CM) Kiciprod.
2007 – Une Sauterelle dans le Jardin de Marie-Baptiste Roches, Ysé productions (ESTRAN).
2007 – La Pluie et le beau Temps de B. Pagnot (CM) .Mille et Une. Films.
2007 – Clôture de Mickaël Ragot, Les films sauvages (ESTRAN)
2007 – Erémia Erèmia de Anthony Quéré et Olivier Broudeur, Aber Images (ESTRAN)
2007 – A la Droite de Dieu de Pauline Goasmat, Utopie films.
2006 – Petits Meurtres en Famille d’Edwin Baily (série 4×90 min) France 2, Escazal Films (assistante scripte).
2005 – Le Syndrome du Carambar de G Naizet (CM) Vivement Lundi !
2005 – Dans la peau, de Zoltan Horvath (CM) Nadasdy Film/Vivement lundi !
2004 – Dolmen de Didier Albert (série télévisée 6 × 90 min) TF1, Marathon Productions (assistante scripte).
2003 – Comptes pour Enfants de Gaël Naizet, Vivement Lundi! (ESTRAN)
2003 – Teresa, d’Emmanuelle Petit, Aber Images (ESTRAN)
2003 – Au Fond, sur le Parapet des Ponts…, de Kris, Spirale productions (ESTRAN)
2003 – Un Train peut en cacher un Autre, de K. Petithory, Pois Chiche Film (ESTRAN)
2002 – Douche Froide, de Nicolas Leborgne et Denis Rollier (CM) Spirale productions.