Quand il s’agit de film de commande, j’en connais qui font la moue et se détournent à priori, oubliant qu’Alain Resnais, avec le « Chant du Styrène », avait réussi un chef d’œuvre à partir d’une commande d’un groupe pétrochimique. Je les convie à assister à l’une des dernières séances du film d’Emmanuel Audrain : « Attention ! Hypothermie ».

Une femme à la mer, un chavirage, un naufrage. Trois situations où le froid dans l’eau devient immédiatement l’ennemi principal. Un film commandé et financé par la Région Bretagne pour sensibiliser pêcheurs, plaisanciers, amateurs de sports nautiques aux risques de l’accident en mer. Un film dont le réalisateur revendique pleinement la commande tant il ressent personnellement son sujet, ayant perdu en mer deux amis marins pêcheurs.
Dans son cas, on pourrait parler de « double-commande » et d’état d’urgence pour sauver des vies. Plutôt que de proposer un film à la télévision, Emmanuel Audrain a pensé son film dès le début pour campagne de sensibilisation, en direct avec le public. « J’ai vu des salles de cent cinquante personnes et à chaque séance le film provoque un débat, de nouveaux récits d’accidents, de nouvelles propositions surgissent et je saisis là combien la culture maritime est vivante en Bretagne. »
Des membres de la société de sauvetage en mer (SNSM) dont le patron déplore deux accidents mortels la saison dernière, quelque plaisanciers et pêcheurs… À Cancale, pour cette vingt-neuvième séance de sa tournée sur le littoral, le public est moins nombreux, sans doute à cause d’un important match de foot à la télé, ce qui ne paraît pas démobiliser l’ardeur du réalisateur-animateur.
Après avoir installé son vidéoprojecteur et les enceintes pour le son, il dispose sur scène plusieurs modèles de VFI, ces vêtements à flottabilité intégrée qui sont devenus un moyen reconnu de survie. Après la projection, on parlera de leur fonctionnement et de précautions concrètes pour améliorer la sécurité à bord d’un bateau.

Le film d’Emmanuel Audrain travaille quatre témoignages de rescapés : Catherine Collet passagère de l’Enez Sun qu’une déferlante projette à la mer, Florian Morin et Régis Bougeard à bord du P’tit Boudet – en pleine nuit, leur chalutier coule au large de Saint Guénolé – et Thierry Dubois, concurrent du 3e Vendée Globe qui a connu un chavirage au cours d’une tempête à proximité de l’Antarctique.
Chacun d’entre eux dessine la situation de son accident, chacun se souvient de sa perception du temps passé dans l’eau, un temps qui parait si long. Thierry Dubois :  » Pour l’instant, je m’accroche au peu qu’il y a. Y a un avion qui me cherche. Moi, je flotte. Bon. Ben voilà, pas de panique. J’attends. J’essaye de faire des choses pour aider à ma survie.  »
Du montage, assuré par Michèle Loncol, se dégage l’impression d’être invité à des confidences intimes autour de ces moments passés entre la vie et la mort, des paroles qui font surgir la fragilité d’une vie.

Attention ! Hypothermie, film de 36 minutes, est donc plus qu’un film de commande réussi. Un film qui aurait pu aussi bien emprunter à Roger Vercel le titre d’un de ses romans, comme Remorques ou En dérive. C’est un film de marins que l’on pourrait partager avec des spectateurs qui ne vont pas en mer et qui ne porteront jamais de VFI.
Ariel Nathan

Attention ! Hypothermie a obtenu une mention spéciale au 2e festival Pêcheurs du monde à Lorient.
Production : Anne-Marie Yvon, Le goût du large.
DVD disponible pour l’achat de l’Almanach du marin breton (édition 2010)