Thomas Mauceri à la recherche de Gil Scott-Heron


Après des études en Arts du Spectacle, Thomas Mauceri réalise notamment Le mouton noir en 2008où il questionne son métissage à travers la visite de salons de coiffure qui ont construit son identité, nous entrainant ainsi dans « un voyage capillaire », puis Un homme sans histoire en 2018 tourné en République Tchèque racontant l’histoire atypique et tragique de Vladimir Moravec, tour à tour soldat de la Wehrmacht, résistant en France, ouvrier typographe assigné à résidence…

Photo © Bertrand Basset

En 2007, Thomas se met en tête de réaliser un documentaire sur le grand musicien et poète américain Gil Scott-Heron, dont il découvre l’univers lors de ses études aux Etats-Unis en 2000. On dit de lui qu’il est le « parrain du rap » et qu’il a influencé les plus grands musiciens de hip-hop américain comme Eminem, Chuck D ou encore Mos Def… Il se fait connaitre dans les années 1970 et passe toute sa vie à défendre la cause des noirs américains, ses luttes politiques imprégnant sa musique et sa poésie.

Pendant 4 ans, Thomas tente de rencontrer le grand Gil, sans succès. A force de péripéties, le jour de la rencontre finit par arriver le 27 mai 2011 : il s’apprête à rencontrer enfin son personnage, à New York, ville qu’il chérit tant… Mais ce dernier est hospitalisé et meurt subitement. Il se retrouve dans la tourmente de devoir annoncer sa mort à tous.

Cette tragédie signe la fin du documentaire tel qu’il l’avait imaginé et qu’il portait depuis presque 4 ans. Mais c’est cette histoire incroyable qu’il finit par raconter dans son roman graphique A la recherche de Gil Scott-Heron, Le parrain du Rap paru le 12 mai 2022 aux éditions Les Arènes.

Thomas Mauceri est de ceux qui n’abandonne pas. Malgré tous les obstacles, il continue aussi de travailler sur son documentaire, qu’il a réécrit et qu’il porte maintenant depuis plus de 10 ans.

Une fin d’après-midi venteux, au café – un lieu que nous affectionnons particulièrement tous les deux – Thomas me conte tout le parcours de cette œuvre devenue protéiforme. L’histoire d’un désir indéfectible, viscérale, comme un élan de vie.

Gilbert « Gil » Scott-Heron (1ᵉʳ avril 1949 – 27 mai 2011) musicien, poète et romancier américain © jazzradio.fr


Peux-tu raconter comment sont nées l’idée et l’opportunité de faire de cette histoire un roman graphique ?

L’opportunité de faire ce roman graphique autour de Gil Scott-Heron arrive en 2015, 4 ans après la mort de Gil. A vrai dire, je n’ai jamais eu l’idée de raconter cette histoire-là et encore moins via le roman graphique au départ.

Après son décès et cette mésaventure dans laquelle je me suis retrouvée, j’étais sous le choc de ce qui venait de se passer. Ça m’a profondément marqué. Et le documentaire que j’avais imaginé – un road-movie pédestre dans la ville de New-York en parlant avec Gil Scott-Heron – n’est plus possible. Tout le travail que j’ai fait en amont, pendant près de 3 ans, est à foutre à la poubelle. A ce moment-là, je ne veux plus entendre parler du documentaire, je n’écoutais même plus sa musique.

J’ai mis un an à me dire que tout le travail que j’avais fait pouvait quand même servir.

Je décide donc de réécrire le film. Ça a pris du temps et en 2015 on dépose à l’avance sur recette du CNC. On passe l’oral avec mon producteur Jean-François Le Corre (Vivement Lundi !). J’ai la sensation d’une bonne prestation. A l’époque dans le jury il y avait notamment Françoise Nyssen, pas encore Ministre, Marie Darrieussecq… qui me font de très bons retours. Mais les résultats tombent et c’est négatif. Apparemment, il y a eu un long débat sur le film, qui était en ballotage avec un autre film. C’est une grande déception de ne pas l’avoir. A ce moment-là, ça fait 7 ans que je travaille sur ce film, autant dire que je suis dévasté.

Je dois me remettre au travail et faire autre chose pour avancer. J’intègre alors une formation « Écrire une fiction courte » dans le cadre du Groupe Ouest et du parcours de formation Estran 6 (un concours de court-métrage porté par Films en Bretagne). C’est là que je rencontre des auteur·es qui deviendront amis et compagnons de route par la suite : Laurianne Lagarde, Germain Huard, Claire Barrault, Bertrand Basset, Jean-Philippe Lecomte, Thomas Guentch…

Un midi, Alice Vial, une des formatrices, s’intéresse à ce que je fais en dehors de la formation. Sans vouloir rentrer dans le détail, je lui raconte brièvement l’histoire du film et ça aiguise sa curiosité et celle de quelques stagiaires, revenus de leur pause déjeuner. Je suis étonné de l’intérêt que ça suscite et je prends alors conscience que cette histoire ressemble aux histoires telles qu’on nous les enseigne à la formation. En fait, je suis le personnage d’une fiction qui a un but et à chaque fois il y a des obstacles auxquels je me heurte, et ça fait récit. Mais je ne pense pas à en faire quelque chose sur le moment.

Sébastien Piquet © Matso

Quelques semaines plus tard, Sébastien Piquet, un ami d’enfance qui vient de sortir une BD chez Dargaud, et qui connait mon histoire avec Gil, me contacte. Il me demande si je n’ai pas une histoire à raconter sur lui. Sur le coup, je botte en touche et puis le lendemain, ça fait tilt ! En fait, j’ai une histoire : la mienne.

On décide d’en faire quelque chose avec l’intention d’être publié. J’envoie donc une note d’intention – qui est le début du livre – avec quelques dessins de Seb à la revue XXI.

Au bout d’un mois je reçois un mail de Laurent Muller, directeur éditorial de la maison d’édition Les Arènes, qui est très intéressé par l’histoire qu’il a trouvé incroyable – il aime aussi la musique – il propose alors d’en faire un roman graphique.

En parallèle, le magazine XXI souhaite aussi publier le texte que je leur ai envoyé. En l’espace de 24h, j’avais un texte publié dans la revue et le projet du roman graphique.

La formation du Groupe Ouest m’a fait réfléchir, j’ai compris comment se raconte une histoire avec des rebondissements. S’il n’y avait pas eu ça, je n’aurais jamais eu l’idée de raconter cette histoire de cette manière-là.

 

Comment abordes-tu l’écriture de ce roman graphique, et comment l’écriture de ton documentaire nourrit celle-ci ?

Je signe le contrat pour le roman graphique en juillet 2015 mais, pour diverses raisons, je commence l’écriture qu’en 2017. J’écris tout en 3 jours… je suis surpris moi-même mais je pense que j’avais besoin d’expulser cette histoire. Je n’ai pas fait de plan, j’ai commencé par la fin en me demandant d’où était partie cette histoire, pourquoi je m’étais lancé dans le film…
Ça commence quand je pars étudier aux Etats-Unis. A partir de là, ça devient un fil rouge. Au départ, je ne pensais pas que je serais le personnage du début à la fin mais naturellement ça m’a semblé évident que c’était le meilleur moyen de parler de manière détournée de Gil Scott-Heron et de sa carrière.

Il y a des gens qui font des biographies et qui arrivent à faire parler leurs personnages et à les mettre scène, pour moi ce n’était pas possible. A certains moments je m’autorise à le faire dans le livre, mais parce que j’ai recoupé 3, 4 sources différentes qui m’ont raconté la même chose. Mais je ne me voyais pas faire une biographie classique parce que je ne me voyais pas faire parler quelqu’un dont, en plus, le travail était d’utiliser les mots. C’est encore plus compliqué ! Je n’ai pas la prétention de parler à la place de Gil Scott-Heron, c’est aussi pour ça que je me suis mis en scène, ça permet de faire un portrait en creux.

L’écriture du film – qui a nécessité un énorme travail – a complètement nourri l’écriture du livre. Il y a des éléments que je voulais voir dans le film que j’ai remis dans le roman. Dans le documentaire je voulais faire un parallèle entre le parcours de Gil Scott-Heron et l’histoire politique américaine en liant ça avec les élections, et ça se retrouve dans le livre. Je dis souvent que le roman graphique est le making off du film qui n’existe pas encore. Je raconte comment un film se fait, ça devient une histoire dans l’histoire.

En commençant par la fin (le fait que je me retrouve en plein cœur de la mort de Gil), j’espère susciter la curiosité de lecteurs potentiels. Il n’y a pas longtemps, je me suis demandé si ce n’était pas l’influence – inconsciente – de L’impasse de Brian De Palma, un de mes films préféré. C’est un film en forme de boucle et, ce qui est fort, c’est que malgré le fait qu’on connaisse la fin, il y a toujours cet espoir d’une autre fin, mais la mort d’Al Pacino est inéluctable… c’est hyper fort. Je tenais à faire de cette histoire une boucle, ça m’a semblé la meilleure manière de raconter toute la complexité et l’intensité de cette histoire.

 

Comment est née l’idée d’introduire des morceaux de Gil Scott-Heron dans le roman et d’en raconter l’histoire ?

Quand il y a eu ce premier jet, mon éditeur m’a dit qu’on perdait Gil et je me rendais bien compte qu’il y avait un déséquilibre. Pendant quelques semaines je ne savais pas comment faire. Là encore, la solution est venue du film et aussi d’une BD, Le Petit Livre Black music de Brüno et Bourhis sur la musique noire américaine, dans laquelle il y a des anecdotes sur une chanson, un artiste… l’idée du film était aussi de rythmer la narration avec des morceaux de Gil.

Donc, pour réintroduire Gil Scott-Heron, je décide d’intégrer l’histoire des morceaux en les sélectionnant en fonction de ce qu’ils racontent, de ce qu’ils représentent dans sa carrière, de ce qu’ils représentent en termes de musicalité. On va se permettre aussi plus de fantaisie en termes visuels. On fait, par exemple, des doubles pages sur des morceaux, on se permet d’exploser les cases. On chapitre le roman comme ça, et ça ramène Gil Scott-Heron dans la narration.

Quand j’ai cette idée, je me dis que si ça peut donner envie aux lecteurs d’écouter sa musique en lisant, de découvrir son travail, c’est génial. Je voulais qu’il y ait une interaction entre le lecteur et le livre, et qu’il ne soit pas passif. On peut écouter facilement ses chansons, à l’envie. D’un coup, cette solution narrative et esthétique permettait de répondre à tout un tas de problèmes, ça a été une vraie solution.

Gil scott heron dessin

 

Dans ce roman, il y a donc plusieurs temporalités : ton histoire présente, passée, celle de Gil, de l’histoire américaine… Cela donne à la fois l’impression d’une fluidité quand on lit – même s’il faut parfois se repérer – et d’un montage complexe quand on y réfléchit.
Comment as-tu appréhendé l’écriture de ces différentes temporalités ?

Cet entremêlement est venu naturellement, dès le départ. C’est rétrospectivement quand j’ai commencé les corrections et qu’il a fallu faire les ajustements que je me suis rendu compte que c’était complexe, et ça a été une vraie inquiétude. J’ai eu peur de perdre le lecteur avec les flash-back, les flash-back dans les flash-back… On est parfois à la fois dans les années 2000 et en 1970.

On a eu des discussions avec Sébastien Piquet, le dessinateur, car pour lui c’était parfois compliqué de s’adapter aux différentes époques. Par exemple, il y a eu la problématique de ma coupe de cheveux : quelle coiffure j’avais à quel moment ? La question s’est posée d’avoir une seule coiffure, ou plusieurs, selon les époques. On s’est dit que ce serait plus lisible s’il y avait changement de coiffure, pour marquer aussi le temps qui passe et mon évolution, ça donnait des repères.

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On en vient donc à ma prochaine question, comment s’est passée la collaboration avec Sébastien Piquet, le dessinateur ?

Déjà, on avait un océan entre nous (Sébastien Piquet travaille à Dreamworks et habitait aux États-Unis à l’époque), on était à distance et il y avait le décalage horaire, c’était compliqué de se caler, heureusement que je suis insomniaque et noctambule !

N’ayant jamais fait ça, au départ j’oubliais qu’il y avait du dessin, j’écrivais comme on écrit un documentaire. Sébastien et mon éditeur ont dû me rappeler qu’il fallait que je pense à l’image et à la case, et que des éléments allaient être représentés graphiquement. Ça fait partie des trucs que j’ai appris car c’est un support totalement différent, l’écriture n’est pas la même. J’ai intégré ça et après c’était plus simple.

On a beaucoup discuté de l’aspect visuel, de ce que l’on voit dans les cases. J’ai parfois donné des indications très précises liées par exemple à des points de vue, à de la mise en scène – qui ont marché et d’autres fois non. Par exemple, il y a un passage où je voulais que ce soit en « caméra subjective », ou encore un autre passage – celui où je passe l’oral seul au CNC – où je voulais que ce soit comme dans un duel de western pour qu’on ressente la tension, l’enjeux important de cette scène. Et il y a d’autres choses que Sébastien a apporté, avec tout son bagage de cinéma d’animation, notamment des moments plus oniriques et surtout son sens du rythme et du découpage. Il y a des endroits où je n’avais pas d’idées et où il avait le champ libre.

C’était des discussions de « mise en dessin », de mise en scène, en fait, et ça nous arrivait de débattre longtemps sur telle ou telle proposition. J’ai appris énormément avec lui.

 

Comment l’univers graphique s’est défini, et notamment le travail sur les couleurs ?

Pour définir l’univers graphique, Sébastien a fait des propositions et on a échangé. Je voulais une sècheresse dans le trait, quelque chose d’anguleux, de rugueux pour marquer la dureté de l’histoire par le dessin.

D’ailleurs, à la base, ça devait être du noir et blanc – peut-être que j’étais naïvement imprégné de l’image de romans graphiques comme ceux de Guy Delisle ou le chef d’œuvre d’Art Spiegelman, Maus ! – et c’est Sébastien qui a proposé de mettre de la couleur. Il a fait des tests de couleurs et, après ça, il ne voyait pas comment on pouvait continuer en noir et blanc. Effectivement, ça donnait quelque chose de plus incarné ! Il y a des teintes, parfois bleue-vertes, parfois plus jaune-ocres, ce qui donne une atmosphère, de la chaire à tout ça, de l’émotion. La couleur participe de la narration aussi, dans les changements d’époque, et dans les changements de ton. J’ai du mal à imaginer ce roman en noir et blanc maintenant !

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Que devient ton documentaire alors ? Ce travail sur ce roman, ton appréhension de cet univers graphique et de la couleur… ça ne te donne pas envie d’en faire un documentaire animé ?

C’est marrant parce que le producteur qui a repris la production du film, Sébastien Onomo, producteur chez Special Touch Studio, fait aussi des films d’animation ! Comme Jean-François Le Corre, en fait.

Pendant l’écriture du roman, j’ai continué à travailler sur le documentaire, notamment avec Anne Paschetta qui a co-écrit le film. Ce qui fait qu’en 2016, on dépose à la Région Bretagne une demande d’aide à la réalisation avec mon producteur Jean-François Le Corre, que l’on obtient. Puis on passe l’oral de l’avance sur recette du CNC pour la deuxième fois, qui est à nouveau un échec. Il faut dire que je fais une prestation catastrophique. Et comme à chaque fois, on se redemande si on continue et ce qu’on doit faire s’il s’agit de continuer.

On est au milieu de l’année 2016, juste avant les élections des Etats-Unis et j’ai l’intuition que Trump va être élu – même si personne n’est d’accord avec moi ! On décide de m’envoyer tourner aux Etats-Unis trois semaines avant les élections pour filmer ce moment, accompagné de Guillaume Kozakiewiez, un chef opérateur et réalisateur. Je relance tous mes contacts sur place, je suis tout excité de retourner là-bas, de tourner à nouveau – enfin !

On obtient notamment un entretien avec Brian Jackson qui a collaboré avec Gil Scott-Heron. Au départ, il ne voulait pas aborder certains sujets, comme les addictions de Gil, ou la politique, et finalement il a parlé de tout. C’était quelques jours après les élections de Trump, il avait besoin de parler politique, de se livrer… c’est un superbe entretien où il a raconté des choses assez fortes, notamment leur rupture amicale. On revient donc des Etats-Unis avec cet entretien, des images des élections, d’autres entretiens de gens qui ont travaillé avec Gil… On en fait un teaser, monté avec des images d’archives, pour démarcher des potentiels partenaires, car le problème qui s’est posé pendant toutes ces années, c’est qu’on avait aucune image à montrer.

Plus tard, Jean-François Le Corre me présente Sébastien Onomo, avec qui il y a une « rencontre d’univers », puisqu’il est spécialiste des cultures urbaines, du hip hop. Il confirme qu’il y a vraiment matière à en faire un long-métrage et, qu’en plus, il serait intéressé pour rentrer dans la production du film.

Donc avec Sébastien Onomo, on s’est replongé il n’y a pas longtemps dans le dossier de 2016, mais depuis beaucoup de choses ont changées à l’échelle des États-Unis, avec la fin de Trump, les émeutes raciales, et même au niveau mondial. Et puis, je ne suis plus la même personne non plus. Je n’ai plus le même rapport à ce film, il y a eu le livre.

On s’est dit qu’il fallait réécrire le dossier…encore !

Pendant tout ce temps, il était hors de question que je me mette en scène à l’écran. Ce que je me suis autorisé à faire dans le roman, il était hors de question pour moi de m’autoriser à le faire dans le film. Mais maintenant, je ne suis plus aussi catégorique. J’espère que c’est ce qui se passe dans le livre, c’est-à-dire que mon histoire permet de découvrir l’histoire de Gil Scott-Heron et les États-Unis, donc si c’est un artifice narratif qui permet d’explorer ce que j’ai envie d’explorer et de l’incarner, pourquoi ne pas le faire ? Mais pour l’instant on n’en est pas là.

Fin avril 2022, il m’a présenté un autre co-scénariste, qui écrit d’abord de la fiction mais aussi du documentaire. Il faut voir maintenant s’il accepte de travailler sur le projet.

 

Tu portes ce projet autour de Gil Scott-Heron depuis des années. Malgré les obstacles, tu persévères, quoiqu’il se passe, là où d’autres seraient passés à autre chose. Qu’est-ce qui fait que tu as continué et que tu continues encore aujourd’hui ?

C’est une question à 1 million de dollars ! Je n’ai pas vraiment de réponse…
Quand tu es pris dans quelque chose, tu ne te rends pas compte du temps qui passe. Et plus le temps passe, plus tu as du mal à lâcher le projet car tu accumules du travail dessus, de l’investissement. Et donc tu continues pour ne pas avoir fait ça pour rien. C’est une espèce d’engrenage. Mais il y a forcément d’autres explications parce que des projets qui ne se sont pas fait et que j’ai abandonné, il y en a plein.

Je crois que si je n’avais pas continué, c’est comme si Gil Scott-Heron était mort une deuxième fois. C’est l’histoire d’une rencontre ratée et d’un échec, et d’ajouter un échec à un échec, ce n’était pas possible. Quand tu travailles sur un projet comme celui-là, tu as l’impression que cette personne fait partie de ta vie, tu as l’impression de la connaitre. Ça aurait été un renoncement insupportable, il fallait que j’aille le plus loin possible.

Il y a quelque chose d’éminemment personnel, que je ne percevais pas au début, il aura fallu sa mort pour me rendre compte de ça. Ce rapport très intime que je pouvais avoir avec son œuvre, son parcours, est devenu très incarné.

Tous ces échecs que j’ai pu connaitre sur ce film, c’est ce qui m’a aussi appris mon travail. Ça m’a appris ce que ça signifie véritablement de produire un film, tous les guichets, tous les intermédiaires par lesquels il faut passer, à quel point c’est compliqué de convaincre des jurys différents.

Ça m’a aussi appris l’écriture, parce que quand tu dois réécrire pour la énième fois un film, au bout d’un moment tu comprends ce qui est efficace ou ce qui ne l’est pas. Et puis travailler avec une co-scénariste, l’écriture d’un article, puis d’un roman graphique… j’ai appris énormément… dans l’échec !

Propos recueillis par Lubna Beautemps
Mai 2022

 

À la recherche de Gil Scott Heron – le « parrain du rap »
Auteurs : Sébastien Piquet, Thomas Mauceri
228 Pages
Format 178 x 250 mm
Parution le 12 mai 2022
Edition Les Arènes