« Un théâtre sur la lune », immersion dans la fabrique de l’imaginaire


Theatre dans la lune
Les comédiens de « Ludwig, un roi sur la lune » lors d'une des représentations au Quartz (Brest) : Julien Perraudeau, Guillaume Drouadaine, Christelle Podeur, Christian Lizet, Jean-Claude Pouliquen, Rodolphe Burger, Tristan Cantin et Sylvain Robic © Maxime Moriceau.

Pour « Un Théâtre sur la lune », les réalisateurs Jean-François Ducrocq et Éric Chebassier ont filmé les comédiens de l’atelier Catalyse de Morlaix durant la création de leur dernier spectacle. Écrit par Frédéric Vossier et mis en scène par Madeleine Louarn, « Ludwig, un roi sur la lune » raconte l’histoire de Ludwig II de Bavière, célèbre pour son excentricité et destitué pour paranoïa. L’originalité de cette pièce est de mettre en scène des comédiens handicapés mentaux pour parler de la difficulté de trouver sa place. Au delà de faire découvrir les coulisses de cette création, le film transmet toute la force et la volonté de ces comédiens professionnels dirigés avec exigence et justesse par leur metteur en scène.

Jean-François Ducrocq est auteur et réalisateur de plusieurs reportages pour le magazine Thalassa. Il a également été rédacteur pour Les Inrockuptibles et collaborateur de Libération. En 2012, il est le rédacteur en chef invité du magazine du Théâtre de Lorient – Centre Dramatique national de Bretagne lorsqu’il rencontre Madeleine Louarn. Depuis trente ans, celle-ci met en scène des pièces de théâtre avec les comédiens de l’atelier Catalyse. « N’importe quelle personne a le droit d’avoir accès à un univers esthétique. La question du beau peut devenir celle de tous, quels que soient les individus, leur histoire, leurs déficiences » lui confie-t-elle. Il découvre en elle une approche et une sensibilité particulière, et c’est ce qui l’amène à vouloir tourner un documentaire sur la création d’un spectacle de cette compagnie.

Jean François va choisir de se tourner vers son ami Éric Chebassier pour co-réaliser ce film. Chef opérateur pour la télévision depuis 2002 et lui aussi réalisateur de documentaires, ils vont s’adresser à Armel Parisot (Point du jour) pour produire le film. C’est par son intermédiaire qu’ils rencontreront Adeline Le Dantec (Les 48° Rugissants) à Brest. Avec leurs producteurs, Éric et Jean-François reprennent l’écriture de leur film et affirment leur regard d’auteur. C’est pendant la première semaine de tournage à Morlaix, alors que la troupe apprend le texte de Ludwig, que les deux réalisateurs obtiennent l’aide à la production de la Région Bretagne.

Après cette semaine de travail, la troupe part à Aubervilliers jouer une pièce spécialement conçue pour les trente ans de Catalyse. « C’est là qu’Éric a pu les voir en représentation publique pour la première fois. Il n’y avait rien de plus important à ce moment-là, on savait qu’on était au bon endroit ». Si le spectacle représente l’aboutissement d’un long travail pour les comédiens de Catalyse, le film est avant tout nourri par la rencontre entre les réalisateurs et leurs protagonistes. « On faisait partie du processus de création. On infusait avec l’équipe du matin au soir, à rejouer le texte même en dehors des répétitions ».

Le texte de Frédéric Vossier reprend les motifs de l’exclusion que l’on retrouve dans les précédentes pièces interprétées par les comédiens de Catalyse. Ils amènent leurs différences et les mettent au service de la mise en scène. « On retrouve tous un peu de nous en eux. Ils ont cet espace de liberté où toute notre attention est portée vers eux » ajoute Jean-François. C’est cette attention spécifique au théâtre que le film parvient à faire ressentir au travers de ses focales ou de sa caméra portée toujours proche et en empathie avec ses personnages. Il ne tombe pas dans l’écueil du théâtre filmé, donne une véritable dimension à l’imaginaire et l’onirisme. « Hormis la création, nous voulions aussi filmer la fabrique de l’imaginaire, voir ce que le texte était en train de créer chez eux, comment il les travaillait chacun de leur côté». Ces plages où le récit de la pièce sort de son lit forment la sève du film. Le théâtre devient alors un acte individuel et chaque comédien, un acteur du film.

Durant un mois, Éric et Jean-François vont suivre tout le processus de création, en résidence avec la troupe, au Quartz à Brest. Ils vont se retrouver au plus prêt du travail de Madeleine Louarn et de la responsabilité qui est la sienne : « j’ai face à moi des gens qui sont vulnérables et qui ont une confiance totale en moi, je leur suis redevable de ça. Même s’ils n’ont pas forcément conscience de ce qu’ils sont en train de montrer, ils s’en remettent à moi. Ils s’abandonnent, ils sont dans ma main. La moindre des choses est que j’endosse la responsabilité des choix qui sont les miens dès lors qu’ils les concernent » avait-elle confié à Jean-François lors de leur première rencontre. En 2016, l’atelier Catalyse se voit invité à jouer au Festival d’Avignon. « Dès le début du tournage, nous savions que la pièce irait y jouer. Ce n’était pas un enjeu pour nous qui étions plus sur la création que sur la représentation finale » ajoute Éric. En juin 2016, France 3 Bretagne et les télévisions locales de Bretagne entrent en coproduction du film et les deux réalisateurs terminent leur tournage devant la scène de la Cité des Papes.

Le montage du film commence à Mellionnec en mars 2017. Durant dix semaines, Éric et Jean-François vont travailler avec Marie-Pomme Carteret pour extraire un récit de ces semaines d’immersion. Et c’est dans ces aller-retour entre la scène et le quotidien que le film est le plus juste. Dans ces moments de fiction individuelle que chaque comédien a initiée, qu’ils nous donnent une véritable leçon de théâtre.

Lors de l’avant première, le cinéma La salamandre de Morlaix a accueilli un public venu nombreux découvrir le film et rencontrer les comédiens qui se découvraient sur grand écran. Leur metteur en scène n’a pas manqué de saluer le travail d’Éric et Jean-François. « On entend vraiment le texte de Frédéric dans les scènes que vous avez tournées en pleine nature. Même si le film ne montre que 10% du travail, on voit bien comment les comédiens sont entourés. »

Car si le film fait la part belle aux six comédiens, il n’oublie pas de montrer la collaboration que représente la création d’un tel spectacle : musiciens, scénographes, dramaturge, costumière et lumières. « Au final, c’est une équipe de trente personnes qui fait décoller l’avion » nous confie Madeleine Louarn. Deux représentations ont eu lieu à Brest, la pièce continue sa tournée à Chateauvallon et Saint-Etienne et sera accompagnée par la projection du film au cinéma de ces villes. Après la diffusion du documentaire sur France 3 Bretagne, début février, ces deux créations poursuivent leur envol conjointement.

Maxime Moriceau


« Un théâtre sur la lune » un documentaire de Jean-François Ducrocq et Eric Chebassier
Une coproduction Les 48ème rugissants – Point du Jour – France Télévisions / France 3 Bretagne, et avec la participation des chaînes locales de Bretagne : TVR, Tébéo, TébéSud. Avec le soutien de la Région Bretagne, du CNC et de la Procirep-Angoa