Soigner l’atterrissage (ou mes 5 films préférés) • Par Fred Prémel


Créer ce qu’on appelle pour l’instant le « monde de demain ». 

Je dis « pour l’instant », car sauf naïveté mal placée ça va être difficile.
Probablement le combat le plus unique, le plus compliqué, le plus inaccessible. 

Ma génération s’est plainte que celle.s de ses parents et de ses grands-parents, baby-boomers ou soixante-huitards, ait cédé aux sirènes de la sur-consommation, sans rien voir venir, sans se protéger, sans « geste barrière ». 

Elles existaient, ces voix alertes, pourtant. Elles n’ont pas été entendues. 

Dès 1936, Chaplin tentait de retenir le mécanisme d’une machine huilée et puissante dans une société taylorisée, comme pour arrêter l’inéluctable (« Les Temps modernes », mon film préféré). 

J’aurais les boules, vraiment, si dans 30 ans mes propres enfants me disaient à leur tour que finalement, nous non plus n’avons rien vu venir, et qu’au moment de la plus grande alerte, ce lockdown qui nous aura tous mis knock-down (« Raging Bull », mon film préféré), nous n’ayons pas pris la mesure de notre responsabilité ni des raisons de leur confinement : qu’on les ait envoyés dans le mur. 

Je me vois leur expliquer en 2050 : On s’est pas rendu compte, parce qu’il faisait beau, parce qu’on était sidéré, parce qu’on se sentait inutile, parce qu’il fallait déjà faire l’école à la maison, parce qu’il fallait qu’on travaille un peu… Et puis, tous les jours à 20h on applaudissait, quand même !

Penser à « construire le monde de demain » finalement, c’est déjà renoncer à ne pas changer celui d’aujourd’hui. 

« Demain ne meurt jamais » (pas mon préféré, mais j’aime bien), on le sait, mais associer « demain » et « jamais » réside de la littérature nécrophile. 

Ni « demain », ni « jamais ».
Quand alors ?

Certes, on peut rêver que les pendules soient remises à zéro, et attendre en fixant leurs aiguilles.

Rêver que l’on protège chaque individu, chaque élève, chaque famille, chaque entreprise, chaque collectif, chaque région, chaque nation, chacune des singularités sociales et culturelles de notre monde !

Que chacun reparte sur un pied d’égalité !

Qu’on ait la force et le courage de changer ce qui n’allait pas, d’améliorer ce qui fonctionnait !

Croire que chacun saura « se réinventer » !

Promesse.s incantatoire.s.
Promesse.s illusoire.s, ou « L’évangile selon Saint-Macron».
Le film de Pasolini était bien, lui, peut-être même mon préféré.

Car les pendules ne seront pas remises à zéro si personne ne les force à remonter le temps.  

Le combat, même si ça paraît fou, c’est monter dans une voiture qui se nourrit aux déchets, créer une faille spatio-temporelle en reprenant Chuck Berry à la guitare et retourner dans un avenir qui aura changé en faisant super gaffe à l’atterrissage (« Retour vers le futur », mon film préféré). 

Ce n’est pas le monde de demain qu’il faut changer. S’en convaincre c’est déjà renoncer. 

L’enjeu n’est ni dans 4 semaines, ni dans 6 mois, ni dans 30 ans.

L’enjeu c’est maintenant, tout de suite. 

Ne rêvons pas. Faisons.  

Pour ne plus laisser dire en pré-générique : 

C’est l’histoire d’une société qui tombe, et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien…

Mais l’important c’est pas la chute. C’est l’atterrissage. (« La Haine », mon film préféré).

 

Fred Prémel
Producteur – Tita Productions