GÉRALDINE BELBEOC’H SUR LE FILM « LE CHIEN PERDU DE FRANÇOIS MITTERRAND » © YVES-MARIE GEFFROY
Après vingt-cinq ans de métier dans le maquillage artistique, au théâtre puis au cinéma, Géraldine Belbeoc’h continue de se définir comme une travailleuse de l’ombre, dont la préoccupation première est la lumière. Native de Douarnenez, elle a décidé il y a 12 ans d’y poursuivre sa carrière de chef maquilleuse, loin de la capitale, où tout a commencé.
– Films en Bretagne : comment devient-on chef maquilleuse Géraldine ?
Dans mon cas, c’est en passant par Paris. Je me suis formée là-bas, à l’école des techniques du maquillage artistique Christian Chauveau, au début des années 90. J’ai travaillé ensuite douze ans en région parisienne, pour le théâtre, la télévision et le cinéma, d’abord comme assistante. J’intervenais sur des séries comme Highlander ou Largo Winch, sur des courts et longs-métrage de fiction, et j’ai passé dix années à maquiller les comédiens de Groland, à qui il fallait parfois donner l’aspect d’un cadavre dans un frigo… J’ai beaucoup travaillé les effets spéciaux, simulé des brûlures, des impacts de balles, des visages ravagés, des peaux malades… Pour autant, mon premier long métrage en tant que chef maquilleuse, était un documentaire : Il était une fois Beyrouth de Jocelyn Saab. Une expérience inoubliable dans une ville qui venait de connaître la guerre civile.
MAQUILLAGE PAR GÉRALDINE BELBEOC’H POUR GROLAND
– En vingt-cinq ans de carrière votre métier a-t-il évolué ?
Beaucoup ! Le passage de la pellicule à la HD nécessite un travail bien plus précis, les détails sont plus visibles. En 35 mm, on pouvait mettre beaucoup de matières, le grain de la pellicule le permettait. Aujourd’hui il faut maquiller avec plus de finesse, et utiliser un matériel différent. Les prothèses par exemple ne sont plus en latex mais en silicone.
L’intention a aussi évolué. Il y a vingt ans, il s’agissait généralement d’embellir les comédiens. On me demande davantage aujourd’hui de coller au personnage ; de lui tirer les traits s’il est fatigué, de servir son jeu, d’être au plus juste de son état émotionnel.
– Vous avez quitté Paris il y a quatorze ans pour vous installer à Douarnenez. Cet éloignement avec votre réseau parisien a-t-il ralenti votre activité ?
Les premières années je faisais beaucoup d’allers-retours entre Paris et ici pour maintenir mon rythme de travail. Depuis 2010 c’est moins le cas, et je fais un film par an environ. Le cinéma en région Bretagne est dynamique, et lorsqu’une équipe parisienne vient tourner ici, il lui arrive de faire appel à moi. Ce fût le cas pour le court métrage Body de Léonor Sérraille, tourné à Brest. La réalisatrice m’a d’ailleurs à nouveau sollicitée pour Jeune femme, son premier long, qui a obtenu la Caméra d’or à Cannes.
– Quelle relation de travail entretenez-vous justement avec les réalisateurs ?
Avant de m’engager sur un film, je lis attentivement le scénario. C’est seulement après que le réalisateur me donne ses indications. Ce fût le cas pour Body où Léonor a été assez précise sur ce qu’elle voulait. Le personnage qu’interprète Nathalie Richard devait passer d’un état émotionnel à l’autre, et son visage se ternir ou s’empourprer suivant les séquences.
Sur Jeune femme, la comédienne Laetitia Dosch passe aussi par tous les états. Il lui a d’ailleurs été dit à Cannes qu’elle n’avait jamais la même tête, une satisfaction pour moi.
Durant le tournage, je lis les séquences du jour chaque matin. J’ai un cahier avec des petites étiquettes, et pour la séquence 127 par exemple, je dois connaître l’état du personnage. Je dois aussi savoir sur quelle durée l’histoire se déroule. J’échange d’ailleurs beaucoup avec la scripte pour les raccords : « Il est 5 heures du mat, elle a fait une nuit blanche… ».
Sur Jeune femme, le personnage principal s’ouvre au visage, et sa cicatrice évolue au cours du film, d’abord avec fils puis sans fils. L’histoire voudra qu’au stade du montage des séquences ont été réorganisées, et certains raccords ne fonctionnent plus. Le film n’en souffre pas, c’est avant tout la qualité de la réalisation et le talent de la comédienne qui comptent.
Mais pour en revenir à mes relations avec l’équipe, mon interlocuteur principal sur un tournage n’est pas le réalisateur, mais le chef opérateur.
– Comment ça ?
La lumière est primordiale dans mon métier, et je discute beaucoup avec les chefs opérateurs pour savoir si je peux me fier à mon oeil sur un plateau. Autrement dit je dois savoir si la lumière du film sera fidèle à ce que je vois. Ensuite, le secret est de se mettre dans l’axe de la caméra, pour savoir dans quelle lumière seront filmés les comédiens. À l’époque du 35 mm, tu regardais carrément dans l’oeilleton ! C’est très important pour les gros plan notamment. Avec Émilie Noblet, chef opératrice sur Body (filmé d’ailleurs en pellicule) et sur Jeune femme, nous avions une très bonne entente.
PHOTOGRAMME DU FILM JEUNE FEMME © BLUE MONDAY PRODUCTIONS
En loge, j’adapte mes éclairages en fonction de la lumière de la séquence. J’utilise des lampes aux couleurs plus ou moins chaudes pour être raccord. Lorsqu’il s’agit d’une séquence filmée à la lumière du jour, je maquille près d’une fenêtre si possible. L’idéal serait évidemment de maquiller sur le plateau, mais c’est un luxe que je n’ai eu qu’une seule fois en vingt-cinq ans, sur le film Select hotel, réalisé par Laurent Bouhnik.
– On imagine que les loges HMC (Habillage, Maquillage, Coiffure) sont tout de même un espace à part ?
Oui, c’est un lieu intime, où les liens sont très corporels. Personnellement je suis plutôt discrète, à l’écoute des comédiens. Il arrive qu’ils se confient, mais je ne les encourage jamais à le faire. C’est aussi là qu’ils se glissent dans la peau de leur personnage, et d’une certaine manière ils s’en remettent à nous pour les y aider. Il y a un rapport de confiance qui se crée entre les comédiens et l’équipe en loge. Laetitia Dosch par exemple, qui incarne Paula dans le film Jeune Femme, a beaucoup échangé avec nous sur son personnage, puis s’est fiée à notre travail.
– Qu’est-ce qui vous anime le plus dans ce métier ?
C’est un tout. Sur Jeune femme, je me suis sentie faire partie d’une équipe dynamique. Nous avions conscience de participer à un bon film. Il y avait une atmosphère très grisante et nous étions tous très concernés. Cela a duré cinq semaines, mais sur ce type de tournage, je ne compte pas mon temps. Techniquement j’aime beaucoup les effets, transformer les acteurs, mais la qualité du travail d’équipe est peut-être ce qui compte le plus pour moi.
Au niveau du résultat, je suis satisfaite quand mon intervention ne se voit pas. J’ai appris ça de Catherine Georges, dont j’ai été l’assistante durant quinze ans sur des films comme Les brigades du tigre ou encore Le passager, réalisés par Jérôme Cornuau.
Aujourd’hui, le pire compliment que l’on puisse me faire est de me dire que les acteurs étaient bien maquillés !
– Nous n’avons pas parlé d’argent…
On peut en parler. Une journée sur un film comme Highlander est payé environ 300 euros brut la journée. C’est à peu près trois fois moins sur un court métrage. Sur les longs métrages la paye se fait généralement à la semaine, et un salaire normal gravite autour de 1200 euros. C’est donc très variable mais je m’en contente. L’aventure humaine, elle, n’a pas de prix ; et entre un film à gros budget comme Malavita de Luc Besson, où il faut être avant tout efficace, et Jeune femme, ce qui est partagé humainement n’a pas du tout la même intensité.
Propos recueillis par Yves Mimaut
Découvrez sur KuB le court métrage Body de Léonor Séraille.
Une production Mezzanine Films, Les films du clan, avec la participation du CNC et avec le soutien de la Région Bretagne.