« Dans la stop motion, il y a une âme qui est là et qui est irremplaçable »


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Jean-Marc Ogier et Fabienne Collet © Jennifer Aujame


Ils chinent, sculptent, habillent, cherchent, animent. Ils donnent vie à la matière. Fabienne Collet et Jean-Marc Ogier sont respectivement décoratrice et chef décorateur dans le cinéma d’animation en volume. Cette année, leur travail est encore au programme de festivals prestigieux. Après la projection de Ce magnifique gâteau ! d’Emma De Swaef et de Marc James Roels, à la quinzaine des réalisateurs à Cannes, le film poursuit sa route au côté de Raymonde ou l’évasion verticale de Sarah Van Den Boom au festival international du film d’animation d’Annecy. L’occasion de revenir sur le métier de décorateur. « Artistes, inventeurs, techniciens, ils sont tout en UN ! » nous ont répondu Emma De Swaef et Marc James Roels.

On compte au moins une vingtaine d’années de collaboration entre vous : Fabienne Collet et Jean-Marc Ogier. Comment cette histoire a-t-elle commencé ?

JMO : Le court-métrage Le cyclope de la mer de Philippe Jullien marque le début de notre histoire avec Fabienne. C’était en 1998. Avant j’étais à mon compte. Je travaillais dans le théâtre, la publicité et le cinéma aussi. 

FC : Je participais à un atelier franco-portugais pour apprendre l’animation en dessin et volume animés pendant neuf mois. Nous nous sommes retrouvés à travailler dans les mêmes locaux. Et l’aventure a commencé !

JMO : Depuis on travaille essentiellement en volume. On fabrique les décors, les marionnettes, les accessoires. En Bretagne, nous collaborons avec les sociétés JPL Films et Vivement Lundi ! de façon alternative. Notre métier consiste à être au service d’un univers graphique et de l’histoire d’un réalisateur en essayant d’être le plus juste possible. On commence toujours par une phase de recherche. Chaque film est un projet différent qui nécessite une technique différente. On doit comprendre le réalisateur. Il nous donne des intentions. Nous lui faisons des propositions. Il n’y a pas deux films qui se ressemblent en terme de décors. Contrairement à la fiction, on n’est pas dans le réalisme. On doit tout créer, du sol jusqu’au ciel en passant par l’architecture et les objets. On a un univers à créer à chaque fois. C’est ce qui nous passionne.

FC : On travaille pour des films d’auteurs. C’est donc très créatif. On essaie de capter dès l’écriture l’essence du film. Il s’agit souvent d’histoires fortes pour le réalisateur. De son côté, il a déjà réalisé un travail sur des années parfois. Donc notre travail est d’être au service de cette histoire avec nos moyens techniques. D’une histoire, d’une culture à l’autre, d’un film à l’autre, l’approche est très différente. On a travaillé avec les belges Emma De Swaef et Marc James Roels, avec le colombien Carlos Gomez Salamanca pour son film Lupus, et des réalisateurs espagnols, argentins… Ça nous demande aussi une recherche documentée, un travail d’archivage. 

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Raymonde ou l'évasion verticale


Les films Le magnifique gâteau et Raymonde ou l’évasion verticale amènent à utiliser différents matériaux. Comment déterminer l’univers graphique d’un film ? 

JMO : Avec Sarah Van Den Boom dans son film Raymonde ou l’évasion verticale, il est apparu assez vite que les marionnettes et le décor auraient comme matériau la fibre naturelle. Tout est proche de la nature. Les animaux doivent être incarnés par la matière. 

FC : La réalisatrice Sarah Van Den Boom tenait beaucoup à cette fibre. Ces éléments naturels amènent une douceur. On a fait apparaître le côté ciselé de la matière pour qu’il y ait des brillances. Les accessoires sont aussi peints d’un vernis en contraste. Ainsi les éléments prennent vie par la lumière. 

JMO : Pour Emma & Marc dans le film Ce magnifique gâteau !, chaque élément est recouvert de tissus. Que ce soient les barreaux d’une chaise, les bougeoirs, une allumette, tout est tissu. Il y a un rapport unique à l’image avec la fibre du tissu. C’est aussi ce qui donne tout le caractère du film. Quand on est très proche d’elles, les fibres de la feutrine sont visibles. Les poils vibrent. Avec des plans très simples et le travail de la lumière, cela donne un aspect réaliste. Les personnages sont complètement incarnés. Et ça leur donne une présence incroyable.

FC : Que ce soit pour l’un ou pour l’autre film ces éléments étaient déjà déterminés par choix artistique. Le tissu ou la fibre ne sont pas des fantaisies. Ce sont des vrais choix artistiques pour les auteurs. Ce choix a du sens. L’univers graphique est fort quand il répond à l’histoire, à l’écriture. On va donc chiner plein de matières différentes. Par exemple, Emma De Swaef tenait vraiment à la matière naturelle. Elle est venue avec un carton de matériaux de fibres et de laines. On a composé avec ce qu’elle nous a proposé et nous avons complété. On s’est fait une armoire de tissus et de laines à l’atelier. Elle a été notre palette de matière et de couleur. Il y a eu très peu de colorisation en peinture et en patine. Parfois, pour certaines fibres nous avons fait des bains pour nuancer leur teinte.

L’eau est un élément commun à ces deux films. Vous l’avez traitée de deux manières différentes. Pourquoi ces choix ?

JMO : En effet, on s’est beaucoup posé la question. Il a fallu faire un choix. Travailler l’eau en Stop Motion ce n’est pas la même chose qu’en prise de vue réelle, ou qu’en 3D ! Dans Ce magnifique gâteau ! d’Emma & Marc nous avons travaillé l’eau en tissu. Pour Raymonde ou l’évasion verticale de Sarah Van Den Boom, c’était de la vrai eau ! Et puis au résultat c’était vraiment ce qu’il fallait faire. Dans le film ça fonctionne super bien. On a trouvé des solutions pour animer la marionnette dans l’eau. On a eu peur qu’elle se décompose ou qu’elle rouille. On a vaseliné les systèmes intérieurs en métaux qui articulent le squelette.

FC : Contrairement au film Ce magnifique gâteau !, on a donc aussi participé au tournage sur Raymonde ou l’évasion verticale. Il y avait beaucoup d’installations sur le tournage et notamment celui des bassins d’eau. Chaque film est une expérimentation.

 


L’évolution des techniques de tournage a-t-elle influencé votre métier ?

JMO : Au début on tournait avec du 35 mm. Je pense notamment aux films Le cyclope de la mer de Philippe Jullien, ou encore L’Homme aux Bras Ballants de Laurent Gorgiard. Pour les retours vidéos, on aurait dit des minitels :  le LVR ! C’était les premiers retours vidéos grâce à l’imagerie médicale sinon ça n’existait pas. On était déjà contents de travailler avec ça.

FC : Le 35 mm ça voulait dire trouver un chef opérateur qui travaille à la cellule. On allait toutes les semaines regarder les rushes avec l’angoisse d’une éventuelle mauvaise surprise.

JMO : Il y avait beaucoup moins de post-production parce que ça coûtait extrêmement cher. Ça se faisait sur pellicule. Quand il y avait un effet on payait à l’effet. Donc les effets spéciaux étaient faits en direct. On travaillait avec des vitres sans tain. Si l’on voulait faire un feu, on le faisait à côté et puis il était projeté. Maintenant, on peut ajouter des éléments de composition grâce au numérique. Donc c’est la manière de concevoir les décors qui a changé. On fabrique une partie du décor et puis on sait qu’à cet endroit-là on ne va pas faire cet élément parce qu’il sera ajouté en compositing. Ça facilite le travail des animateurs parce que ça leur libère de la place à des endroits.

FC : Avant certains animateurs devaient se plier en quatre pour animer la marionnette. Maintenant, on peut shooter l’élément une fois en plan fixe, et l’enlever. Il sera remis au compositing. Ce qui veut dire que l’animateur peut aller à cette place animer sa marionnette. L’image numérique a permis de faciliter l’action. Au moment du tournage, un logiciel comme Dragon amène du confort d’animation et de tournage.

JMO : Ces possibilités sur un tournage permettent un peu de légèreté. Malgré tout on fait en sorte de rester vigilant. Il ne faut pas se laisser emporter par cette machine. On perdrait des choses. Si ces films-là ont autant de caractère c’est parce qu’ils gardent le maximum d’informations au tournage. Je pense notamment à la lumière sur la matière.

Et puis, dans la Stop Motion, il y a une âme qui est là et qui est irremplaçable. Ça bouge. Ça vibre. C’est comme un instrument acoustique et un synthétiseur ! Aujourd’hui, certains films en 3D vont chercher des défauts pour retrouver du caractère comme pour créer du faux Stop Motion. On n’a pas du tout envie de lisser tout ça. Au contraire !

 

Propos recueillis par Jennifer Aujame


4.-Annecy-2018

Avec le soutien de la Région Bretagne et de Rennes Métropole, les forces vives du cinéma d’animation breton seront pour la septième année consécutive présentes à Annecy, du 12 au 15 juin 2018. Sous la bannière “Animation in Brittany” : les professionnels de l’animation – Stop motion, 2D et 3D -, les entreprises de production, les studios de tournage et de postproduction, les sociétés nouvelles technologies, les structures ressources et les collectivités partenaires… tous se rendent ensemble au Festival International du Film d’Animation, afin d’assurer la promotion du potentiel économique et créatif du secteur. Ils célèbreront dans le même temps la belle présence des films produits et/ou fabriqués en Bretagne en sélection officielle cette année.

En effet, pas moins de deux films en compétition officielle et quatre films sélectionnés hors compétition et en séances spéciales, seront sur les écrans annéciens.

Film de télévision en compétition 1 : Le Quatuor à cornes réalisé par Benjamin Botella et Arnaud Demuynck, coproduit par Vivement Lundi ! et La Boîte,… Productions.

Court métrage en compétition 2 : Raymonde ou l’évasion verticale, réalisé par Sarah Van Den Boom, coproduit par PAPY3D Productions et JPL Films.

Séance événement : Ce Magnifique gâteau ! d’Emma de Swaef et Marc James Roels (Coproduction Beast Animation, Vivement Lundi ! et Pedri Animation).

Long métrage hors compétition 4 : Un homme est mort d’Olivier Cossu (Coproduction Les Armateurs / ARTE France en coproduction associée avec Vivement Lundi !).

What the Fuck! (Midnight Specials) : Le Bien Chasser de Boris Belghiti, Dimitri Cohen-Tanugi, Maxime Paccalet, Pierre Razzeto dont la production exécutive s’est effectuée dans les studios rennais de Personne n’est parfait !

Pitch MIFA, section Créations interactives & transmédia : Cosmik Roger réalisé par Marc Mordelet.

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À l’occasion du festival d’Annecy, Films en Bretagne en partenariat avec l’Ecole Européenne Supérieure d’Art de Bretagne, lance une toute nouvelle formation à l’échelle européenne, entièrement dédiée aux métiers de la Stop Motion ! Via un parcours de 9 mois – conçu par et pour des professionnels de l’animation en volume – Start motion vise la professionnalisation de talents émergents, en formant à la polyvalence technique et à la collaboration au sein d’une équipe.

Lancement le mercredi 13 juin à 11h30
Terrasse Salle de Presse – MIFA – 1er étage

Informations en ligne à venir très prochainement !