Solenn Gaillot : 13 ans, une vocation et plusieurs vies.


À 13 ans à peine, Solenn Gaillot a déjà vécu quelques vies. Ils sont peu à pouvoir mettre un visage sur son nom et pourtant nombreux à connaître sa voix. Une équation comme un casse-tête chinois, qui trouve à se résoudre dans une salle de doublage. Nous avons retrouvé Solenn chez AGM Factory, où, depuis plus d’un an, elle vient prêter sa voix à des personnages de tous les pays. Récit d’un conte de fées dont nous avons débusqué la princesse.

L’aventure commence par une représentation de théâtre amateur à la MJC de Bréquigny, où Solenn Gaillot prend des cours depuis qu’elle a 5 ans. Yann Legay, un chasseur de voix qui ne connaît pas le repos, remarque sur la scène une jeune fille pétulante qui semble réunir toutes les qualités d’une bonne comédienne de doublage : présence, dynamisme et une très bonne diction. Il lui propose de venir faire des essais de voix dans les locaux d’AGM : il ne s’y trompait pas. Solenn se plie avec fraîcheur et enthousiasme à l’exercice, ça fonctionne. « C’est assez simple avec les enfants, beaucoup plus qu’avec les adultes : ou bien ils pigent le truc et ça marche tout de suite, ou bien ils n’y arrivent pas. C’est binaire. C’est plus facile quand ils font du théâtre en amateur car ils sont déjà habitués à donner des intentions, à jouer, tout simplement », explique Yann Legay, le patron d’AGM Factory. « En fait, les enfants s’amusent, et si le casting est bien fait, ils ont à interpréter un personnage qui leur ressemble, qui a la même personnalité qu’eux. C’est d’ailleurs notre principale difficulté : faire en sorte que deux personnalités correspondent, quitte à tricher un peu. Dans L’extravagant voyage du jeune et prodigieux TS Spivet de Jean-Pierre Jeunet, Solenn a prêté sa voix au rôle-titre, c’est-à-dire à un garçon. »

C’est donc Solenn que l’on entend dans la version française de TS Spivet. Mais si cette expérience a été pour elle la plus marquante professionnellement – pour Jean-Pierre Jeunet dont elle voyait les films avec sa baby-sitter, pour la rencontre avec les doubleurs professionnels, pour les conseils et autres petits trucs qu’elle a glanés – ce n’était pas son premier fait de voix. Ceux qui ont vu ou reverront Wadjda, le film saoudien de Haifaa Al Mansour, La Chasse de Thomas Vinterberg, ou Les Femmes du Bus 678 de Mohamed Diab pourront opter pour la VF et chercher quel personnage Solenn a doublé. Dans le cas de Wadjda, ce ne sera pas difficile : c’est elle qui interprète cette jeune fille franche et volontaire. « C’est le film que j’ai préféré doubler. Je pense que Wadjda me ressemble assez. Et puis j’ai adoré l’histoire, j’aime beaucoup ce film ! » s’enthousiasme Solenn.

Derrière la table de mixage en revanche, le doublage de Wadjda a plutôt été une gageure. Selon Yann Legay, « doubler des films du Moyen-Orient, c’est un peu compliqué. Ce n’est pas du tout la même synchronisation qu’un film américain ou européen, pas la même culture, un jeu très marqué : c’est très déstabilisant. Je ne peux pas dire à l’avance si on va faire une belle VF au final, il y a trop d’inconnu. »

Solenn est évidemment loin de ces préoccupations techniques ; elle poursuit son rêve : « Depuis toute petite, je sais que je veux devenir actrice. Ça va faire huit ans que je fais du théâtre, c’est ma passion. J’aime beaucoup me mettre dans la peau d’un personnage, être dans plusieurs états d’âme, je pleure, je ris. Quand Yann m’a proposé de faire du doublage, c’était déjà un premier pas dans cette voie ; c’était énorme ! ». En plus d’avoir découvert sa vocation, Solenn a de l’ambition et de la mesure. Elle nous démontre que même à 13 ans, ce n’est pas incompatible : « Ce que je veux vraiment, c’est faire du cinéma. Je regarde souvent des films avec mes copines. J’aimerais bien savoir ce que ça fait d’être devant la caméra, comment ça se passe sur un tournage. Mais j’ai toujours en tête que c’est très difficile d’arriver dans ce métier, qu’il faut un plan A, un plan B, etc. J’étudie le chinois depuis trois ans au collège, cette culture m’intéresse beaucoup et c’est une langue de l’avenir, qui est parlée par énormément de gens et qui pourra me servir pour des options de travail. Peut-être que je me dirigerai vers la psychologie, ou comme mes parents vers le marketing, l’environnement. Mais tout ça, c’est vraiment des plans Z. Ce que je veux absolument, c’est devenir actrice ! ».

Bien engagée dans la voie du doublage, Solenn passe d’un rôle à un autre, poursuit son apprentissage avec parfois quelques défis techniques à relever : « Je parle très vite, alors de temps en temps il faut me reprendre, on peut me faire refaire la prise plusieurs fois. Mon seul vrai problème à mon avis, c’est la concentration : à un moment je lâche, ou quand je suis fatiguée, j’ai du mal à démarrer et les prises sont mauvaises. J’ai une voix plutôt légère et quand je dois faire une voix de garçon par exemple, je dois forcer dans les graves. Il peut m’arriver d’oublier et je reprends ma voix au milieu d’une phrase ! Par contre, quand je suis bien, je m’implique à fond et là ça marche ! » Yann Legay précise qu’il ne faut pas trop préparer ou faire travailler les comédiens de doublage avant une prise, de façon à conserver un maximum de spontanéité et à préserver l’instinct. « Des élisions, un mot un peu mangé, ce qu’on appelle des glissouilles dans le métier, ça fait partie de la vie, c’est ça qui va amener de la vérité et du réalisme dans l’adaptation. Il faut s’approcher le plus possible du quotidien. »

Encouragée par ses proches, et pouvant compter sur la disponibilité d’un papa devenu du jour au lendemain impresario, conseiller artistique et, accessoirement, chauffeur privé en plus de son métier de consultant, Solenn doublera bientôt une petite fille dans un film d’horreur réalisé par Marina de Van, The Dark Touch : une nouvelle expérience qui promet d’être marquante ! Nous attendrons enfin avec un peu plus d’impatience encore la diffusion de Dimitri d’Agnès Lecreux : Solenn se transformera pour l’occasion en suricate. « Il n’y a pas de hasard. Pili, c’est une pile électrique, toujours hyper dynamique, petite voix, toujours à fond ! » commente Yann Legay. Il connaît bien Solenn désormais, elle qui se définit comme « extrêmement bavarde, trop sensible, folle, inépuisable et explosive. » Solenn a, à n’en pas douter, de l’énergie et du talent à revendre, des vœux à réaliser et d’autres vies à vivre qui sont toutes un peu les siennes.

Gaell B. Lerays
Photo de Une : Solenn Gaillot en pleine action ! (Copyrignt Sidonie Waserman)