Séverine Vermersch : un désir nommé cinéma


Elle habite ‘’le marais de la joie’’. Ca sonne comme un titre de film, mais c’est un lieu-dit battu par les vents, au bout du Finistère. Depuis sa fenêtre, elle aperçoit le phare d’Eckmühl qui lui donne des nouvelles du large. Il y a dix ans, Séverine Vermersch a quitté Paris pour retrouver sa terre d’adoption qui est aussi sa terre de cinéma, comme elle le fut pour Jean Epstein, un de ses ‘’modèles’’. Son désir de cinéma s’est épanoui au contact d’un territoire et d’habitants qui sont, pour elle, ‘’bigger than life’’. La scénariste et réalisatrice vient de décrocher ‘’Brouillon d’un rêve’’, la très sélective bourse de la Scam, pour son projet de long métrage documentaire ‘’Dans leurs yeux’’. Ces yeux sont ceux des marins qui lui ont confié leurs images tournées en mer. 

– Quelle est la genèse de ‘’Dans leurs Yeux‘’ ?

Séverine Vermersch : Il y a quelques années, j’ai tourné A l’Ouest qui raconte le quotidien de marins embarqués à bord du Véronika, un chalutier de 24 mètres. C’est un documentaire que j’ai réalisé seule, en autarcie, sans production, mais je l’aime beaucoup. Faire un film enclenche toujours chez moi une frustration et déclenche donc un nouveau désir. A l’Ouest m’a permis d’aborder le monde des marins, d’approcher ce temps distendu de la vie sur un bateau, de côtoyer cette autre loi, celle des hommes entre eux sur la mer. J’ai aussi été frappée par leur rapport très fort à la mort. Tout cela m’avait énormément touchée, mais je n’étais pas sûre de l’avoir bien rendu.

Je savais que des marins avaient filmé leur vie à bord, leur travail, leurs gestes. Le fonds de la Cinémathèque de Bretagne me l’a confirmé. J’ai lancé un appel dans la presse et là, surprise !, c’est comme s’ils n’avaient attendu que cela : j’ai reçu une centaine d’heures de films ! Bien sûr, ils étaient attirés par la promesse d’avoir un DVD. Mais s’ils m’ont confié leurs images, c’est d’abord parce qu’ils les avaient tournées pour les montrer.

– Où en est la fabrication du film ?

J’ai fait une première sélection. Sur la centaine d’heures initiales, il m’en reste 60. En ce moment, je choisis la trentaine d’heures qui constituera ma matière de base. J’ai trouvé une méthode de travail qui permet d’associer un mot-clé à chaque rush. Dans les images, je cherche ce qui a rapport à la nostalgie – au sens philosophique du terme -,  à Ulysse, au départ et au retour, à l’isolement, aux femmes… Je veux organiser le film selon un système de résonances polyphoniques et non selon une structure linéaire. Je regarde donc toutes les images très attentivement. Aller trop vite, c’est risquer de passer à côté de séquences incroyables comme celle tournée par le commandant d’un gazier à Lagos. Les plans durent des heures sur ce fond de baie qui est triste à mourir. Tout à coup passent et repassent des pirogues, avec des hommes armés de kalachnikov . Ce sont des pirates !

De telles scènes vont poser problème dans le montage. Comment les amener dans le récit, comment raconter ce qui est peu lisible à l’image, comment ‘’dramatiser’’, leur donner un sens  ? Pour l’instant, je repère dans les films les grands thèmes que je veux évoquer. Ensuite, je réfléchirai aux enchaînements d’une image à l’autre, d’un personnage à l’autre, d’un film à l’autre, j’élaborerai la structure. Je pense pouvoir terminer le film fin 2015. Ce n’est pas uniquement un film d’archives. Il y a aussi du tournage. Je veux mettre ces marins face à leurs images. Il faudra trouver comment procéder pour que ce ne soit pas un documentaire alternant archives et entretiens. Je suis aussi confrontée à des questions techniques. Il y a tous les formats possibles : du 9 mm, du 8 mm, du super 8, de la vidéo, des images tournées avec des portables. Ces enjeux vont être intéressants à résoudre. J’ai encore beaucoup de pain sur la planche ! C’est un travail énorme et passionnant !

« Souvent on dit que le cinéma hollywoodien a été inventé pour filmer des femmes, leurs corps, cette fameuse histoire du désir au cinéma. Et un des aspects qui me plait dans mon projet, c’est justement que ce sont des hommes qui filment les hommes. Qui les regardent. Et il y a du désir dans ces images. Le pêcheur à la casquette rouge est à la barre de son chalutier. C’est un moment où il y a pas mal de mer, ce n’est pas si serein que ça en a l’air, et moi je le vois tel un Ulysse heureux de mener sa barque sur l’océan… J’aime qu’on se demande ce qu’il regarde. Pas de cinéma sans hors-champ. Le dernier, c’est David, un des marins qui m’a donné le plus de films. Dans cette image, il est à terre et il regarde tendrement la mer, la nostalgie à l’oeuvre !

Les autres images en noir et blanc sont une succession de portraits. C’est une scène extraite d’un film magnifique, des années 40, réalisé par le commandant de bord. Il filmait tout de la vie à bord, frontalement, sans chercher à magnifier : le travail, la dureté, le mal de mer. C’est fou la jeunesse de certains marins qui affrontaient des conditions terribles. »

– Avec ce film, vous revenez dans un circuit de production classique…

Oui, mais en douceur. J’ai constaté les limites du travail solitaire. Ne pas s’inscrire dans les circuits de production, c’est aussi refuser le rapport à l’autorité. La rébellion, ça me poursuit ! Ruer dans les brancards, c’est bien sympa, mais ça n’amène pas forcément très loin et, sauf exception, les films auto-produits sont moins vus. Dans leurs yeux est produit par Anne Sarkissian de Iloz productions qui m’a encouragée à écrire et à ne pas lâcher le morceau. Je suis contente de retrouver un cadre de production. Même si je trouve la relation aux producteurs compliquée. Je me souviens qu’un jour Chantal Akerman m’avait prévenue : ‘’Si tu veux faire des films librement, il faut te produire toi-même. Il n’y a pas d’autres solutions’’. 

]« C’est une photo de tournage de mon second documentaire pour l’école (le premier était sur un remorqueur dans le port d’Anvers… on ne se refait pas !). Ici, je filme un travesti au moment de son maquillage avant d’entrer en scène. Je filmais en 16mm avec une Paillard-Bolex. Je me souviens de cette tension que je ressentais, due à la fois au fait de saisir au mieux le moment de la « mutation » et la peur de gâcher de la pellicule. Quand on tourne en film, il vaut mieux être au bon moment au bon endroit. »

– Comment avez-vous rencontré Chantal Akerman ?

Je l’ai rencontrée lors de mes études de cinéma à l’Insas à Bruxelles. Une école formidable où l’on côtoyait des personnalités singulières et fortes venues de tous les pays, dont les Belges eux-mêmes qui comptent toujours beaucoup pour moi, avec ce « décalage », cette faculté du « petit pas de côté » qui manque souvent en France, je trouve. Bref, il y avait des mouvements de révolte récurrents au sein de l’école. J’étais de ceux qui pensaient que le cursus d’études n’était pas assez ouvert à la jeune création. Avec quelques camarades, j’ai donc fait venir Chantal Akerman. Nous lui avons demandé de nous faire un cours de direction d’acteurs, ce qui était un comble quand on connaît le cinéma d’Akerman et sa vision tellement personnelle de la direction d’acteurs !

Elle nous a fait travailler sur des extraits de films noirs américains des années 50, un genre qui la passionnait. C’est dans ce cadre qu’on s’est connues. Et comme j’essayais par tous les moyens de faire des films, – l’école ne me suffisait pas – , j’ai rencontré sa productrice et je me suis retrouvée à la régie sur Toute une nuit, un film que j’adore. C’était un tournage fauché, très dur, on a bossé comme des fous. Mais, là, j’ai vu de près une cinéaste furieusement obstinée, son combat solitaire et sa nécessité de filmer à tout prix.

Ensuite, j’ai travaillé auprès de Chantal à l’écriture, c’était à l’époque de Golden eighties, sa comédie musicale. En même temps, je commençais à réaliser mes propres films et j’ai tourné L’histoire d’une autre, mon premier court métrage de fiction, produit par l’ARC en Bretagne.

Puis la productrice de Chantal, Marylin Watelet, Paradise Films, a produit La valise de Flora, mon deuxième court métrage de fiction, tourné en 35 mm. L’histoire de deux gamines qui rêvent de partir… Encore une histoire de frustration dans le sens fort du terme : le voyage rêvé, le désir du départ et la difficulté du retour. C’est un film sous influence mais en même temps, il me ressemble.

– En entrant à l’Insas, vous saviez déjà que vous vouliez réaliser des films ou aviez-vous d’abord été tentée par un métier technique ? 

Je voulais réaliser à tout prix et si je suis entrée à l’Insas, c’est un peu grâce à Polanski ! C’est une histoire assez jolie. En 1977, il a tourné Tess à Locronan. A cette époque, j’étais en terminale, j’avais une caméra super 8, je filmais un peu tout et n’importe quoi et je me demandais comment faire des films. Je suis allée sur le tournage de Tess avec mon frère et un copain. J’ai lancé un défi, leur disant : ‘’ Vous allez voir, en un quart d’heure, je vais me faire embaucher sur le film ‘’. Je suis passée sous les barrières et me suis retrouvée au milieu de cette équipe de 200 personnes. J’ai abordé le premier assistant qui m’a dit : ‘’Vous êtes gentille, mais vous êtes dans le champ !’’ Et alors que je m’apprêtais à alpaguer Polanski qui passait près de moi, je l’entends dire : ‘’C’est qui ce garçon manqué ? Virez le moi ’’. Là, j’ai senti une haine monter en moi alors que Polanski était, – et est toujours -, un dieu. Ni une, ni deux, je retourne voir l’assistant qui, pour se débarrasser de moi, me propose de déjeuner avec Guislain Cloquet à la pause de midi. Cloquet était un grand directeur photo et un aussi grand pédagogue. Il m’a dit : ‘’Passez votre baccalauréat, tentez les concours des deux grands écoles européennes, l’Idhec et l’Insas, j’y enseigne et je veux vous y retrouver en tant qu’élève.’’ J’ai passé les deux concours, j’étais admissible dans les deux écoles. J’ai choisi l’Insas parce que j’avais envie de partir, d’être ailleurs.

– Et à Bruxelles, vous avez fait une autre rencontre déterminante…

Pendant mes études à l’Insas, j’ai beaucoup fréquenté la Cinémathèque de Bruxelles qui projetait trois films chaque soir. C’est là que j’ai découvert Jean Epstein. A 20 ans, en regardant Finis Terrae, j’ai réalisé que j’avais déjà vu ce film à Ouessant quand j’étais gamine. Je me suis aperçue que c’était un très grand film qui remuait en moi des souvenirs et des sensations. Je retrouvais ce que j’avais ressenti en arrivant ici en Bretagne, à 9 ans. Et rétrospectivement, je comprenais que mon désir de cinéma venait de là. J’ai immédiatement eu l’envie de réaliser un film sur Epstein qui raconterait aussi quelque chose sur moi et sur ma terre d’adoption, la Bretagne.

En 1990, j’ai tourné ce film Qui voit Ouessant. Je me reconnais dans la démarche de Jean Epstein. Il a le regard de celui qui vient d’ailleurs, et qui choisit sa terre de cinéma. Pour moi, le regard de l’étranger, de l’autre, est très important. Il voit quelque chose qui entre en résonance avec son histoire. Les films et les écrits de Epstein font écho très profondément en moi. Ce n’est pas facile à exprimer avec des mots. Mais si je fais des films, c’est parce que je reconnais quelque chose qui résonne en moi, avec mon regard sur le monde. Ce que je trouve ici a quelque chose à voir avec ma terre de cinéma. C’est pour cela que j’ai voulu tourner mon premier court métrage en Bretagne. Il y a quelque chose que j’aime profondément ici, et qui ne peut passer que par le fait de filmer.

– Epstein vous inspire t-il aussi d’un point de vue formel ?

Enormément ! Epstein a créé un genre, un style, une écriture sur le réel. Il a cette façon singulière de cadrer, avec deux tiers de ciel et un tiers de terre. Il trouve des points de vue incroyables. Pendant le tournage de Qui voit Ouessant, on s’est vraiment demandé comment il avait fait à l’époque pour fabriquer certaines images en pleine mer sous le niveau des vagues. Luc Drion, un ancien de l’INSAS aussi, – le directeur photo d’Océans, – un grand, récemment disparu – , était mon directeur photo, et on a passé ensemble des nuits à Ouessant au bar à essayer de comprendre comment Epstein avait filmé certaines scènes, les angles, les équivalences de focales, etc. Il y a une incroyable dimension poétique chez Epstein, dans sa manière de filmer, d’inscrire les gens dans les éléments, le vent, la mer, le ciel… Il a inventé un genre : la ’’lyrosophie’’. Je me reconnais tout à fait dans ce concept d’un art cinématographique à la fois poétique et structuré. Pour citer Epstein : ’’Tout art et tout film ne sont que du rêve organisé. Le film reste – et de là sa puissance – le plus semblable au songe originel, dont il garde la forme principalement visuelle’’. Le ’’songe originel’’…, c’est le cœur du cinéma pour moi.

En résumé, Epstein ne se contente pas de filmer, il théorise sa pratique de cinéaste dans ses écrits. A mon sens, on ne le fait pas assez. C’est important, cette mise en perspective. C’est extraordinaire la façon dont il parle de ce qu’il voit et de son travail de cinéaste. J’ai essayé de me débarrasser d’Epstein parce qu’à un moment, c’est énervant d’avoir des maîtres ! Mais en même temps, je ne peux pas, je reviens tout le temps à ses écrits. Il a extraordinairement pensé le rapport du cinéma du réel et du cinéma à la technique. Aujourd’hui, Epstein serait dans un de ces ’’laboratoires’’ qui pensent de nouvelles formes combinant le drame et la technique. Tout cela est passionnant et nourrissant. Alors pourquoi vouloir s’en débarrasser…

’’Qui voit Ouessant’’ a trouvé facilement son cadre de production ?

Non ! Qui voit Ouessant est encore une affaire de ténacité. A la fin des années 80, un film sur Epstein n’intéressait quasiment personne. J’avais déjà un producteur belge, avec qui je travaillais à un projet de fiction. Carré noir, une belle émission de documentaire de la RTBF à l’époque, a pré-acheté le film, mais paradoxalement on ne trouvait pas de partenaires en France, pas de fonds. Le producteur m’a fait comprendre que convaincre Marie Epstein, la sœur de Jean, de participer au film, pourrait débloquer la situation. J’ai rencontré cette vieille dame géniale qui m’a dit avec son accent polonais : ‘’Je ne veux pas être dans le film parce que je ne suis rien. C’est mon frère qui était tout ! ’’ Et pendant 3 ans, chaque semaine, je suis allée boire une bouteille de vodka avec Marie Epstein ! Elle vivait dans une chambre de bonne du 17ème arrondissement, ses murs étaient couverts de photos géantes de son frère. A chaque fois, je réitérais ma demande. Et un jour, j’ai reçu une superbe lettre : ’’Votre acharnement me fait penser à mon frère. J’accepte de vous aider et d’apparaître dans votre film.’’

« Ambroise Rouzic, un des personnages de Finis Terrae. Il a été goémonier toute sa vie. Il avait 16 ans quand il a tourné dans le film d’Epstein, et 92 quand je l’ai retrouvé pour mon film Qui voit Ouessant. J’aime beaucoup la façon dont il raconte le tournage et Epstein en confondant réel et fiction. À un moment, il explique en riant que, faute de figurants, il suivait son propre enterrement et il ajoute « mais y a pas de films véridiques vous savez bien! » 

– Comme Epstein, vous avez choisi la Bretagne comme terre d’adoption et de cinéma. Où êtes-vous née ?

Je suis née dans le Nord. J’ai grandi à Tourcoing et fréquenté des écoles où il y avait des enfants d’origine maghrébine, italienne, polonaise… J’ai vécu dans une région où le prolétariat était fortement représenté, tout en venant moi-même d’une famille bourgeoise mais située politiquement à gauche. Une grand-mère juive russe dont la famille avait fui les pogroms. Son mari, mon grand-père, un chti médecin et communiste. Bref, un joli creuset romanesque vibrant de paradoxes et de contradictions… Je suis contente d’avoir passé ma petite enfance dans le Nord. Ca m’a forgée.

J’avais 9 ans quand mes parents sont venus s’installer en pays bigouden. Arriver en Bretagne, c’est un beau choc, humain et esthétique. J’y ai un ancrage très fort. C’est ici que je suis revenue tourner mon premier film. Je suis d’ailleurs partie de l’Insas avant d’avoir mon diplôme pour réaliser ce premier court métrage. Le directeur m’avait prévenue : ‘’Si tu pars maintenant, tu es disqualifiée’’. J’avais trouvé de l’argent, je voulais faire ce film que j’ai tourné en pays bigouden, près de là où je vis maintenant et, du coup, j’ai arrêté l’école… Je ne voulais plus y retourner, j’ai enchaîné sur le second film.

– Et comment avez-vous fait vos gammes de scénariste et de formatrice ?

En Belgique, j’avais participé à un séminaire de scénario de jeunes auteurs européens, dirigé par Franck Daniel, un type qui avait en lui cette richesse ambivalente de ses origines et sa culture tchèques, – la vieille Europe – , plus le sens et l’efficacité de la narration à l’américaine. Il avait fui Prague avec Milos Forman. Il m’a beaucoup appris. En arrivant à Paris où j’ai vécu 15 ans, il fallait que je gagne ma vie. J’ai repris sa méthode qui s’appuie sur la conviction qu’il faut connaître le cinéma et la dramaturgie afin de trouver sa propre veine. Je m’y suis confrontée en écrivant des scénarios, pour moi et pour d’autres : Mon Amérique à MoiLa Vierge et la drogue, Fais-moi mal.

J’adore cette mécanique du scénario. Dans l’écriture de fiction, il y a quelque chose de la toute-puissance enfantine. On joue avec des destins et des personnages qui, à un moment, deviennent plus forts que nous, qui se mettent à exister et qui résistent aussi. C’est un intense plaisir intellectuel. Quand j’accompagne d’autres auteurs, je ne convoque pas seulement le cinéma. Etre cinéaste, c’est avoir en soi ce rayonnement nourri par la peinture, la littérature, la musique…

Pendant plusieurs années, j’ai mené des ateliers de scénario à la Sorbonne, puis à la Fémis où j’intervenais en scénario et réalisation. Après quoi, j’ai intégré l’équipe pédagogique. Grosse erreur ! Le travail qui consistait à organiser des rencontres avec de grands metteurs en scène était intéressant, mais la frustration de ne plus travailler pour moi était immense. J’ai donc quitté la Fémis au bout de cinq ans, juste après avoir mis en place, avec Arielle Pannetier, l’atelier de scénario qui a été une affaire passionnante. Ensuite, j’ai vécu de scrip doctoring, écrit des projets de télé pour Serge Moati, ainsi qu’un projet de fiction L’heure bleue, encore une histoire de marins !, et je suis revenue m’installer en Bretagne, à Penmarc’h, il y a dix ans.

En revenant ici, j’ai travaillé auprès des lycéens des options cinéma, à l’Université de Bretagne-Ouest, auprès d’organismes de diffusions du cinéma comme Cinéphare, et puis il y a eu cette belle rencontre avec l’équipe de Groupe Ouest. En fait, je retrouvais Antoine Le Bos, son fondateur, que j’avais connu, il y a longtemps. Et avec eux, j’ai retrouvé ce plaisir d’accompagner des auteurs. Tant que possible, je continuerai à travailler pour les autres, à apporter mon regard, mon amour du cinéma, à donner ce que je peux donner. Je pense vraiment que, lorsqu’on écrit un film, il ne faut pas rester seul.

« J’avais participé à un « marathon du scénario ». À partir d’une phrase, il fallait imaginer une histoire et écrire son traitement, en 48 heures non-stop. C’était drôle, on était tous dans un grand hangar, ça sentait la sueur et la concentration, il y avait un staff de premiers secours pour ceux qui flanchaient ! »

– Vous mettez en ligne des vidéos que vous tournez ici. C’est une autre façon de vous inscrire comme cinéaste sur ce territoire ? 

Ici, j’ai envie de filmer tout le temps. C’est comme une obsession. Je vois de vrais personnages, de la comédie, partout… Si l’on regarde bien, il y a un côté ’’bigger than life’’. Donc je filme au gré des rencontres, des situations. Il y a quelques années, j’ai fait une série de 37 petits sujets dans le style ‘’caméra de poche’’ ou ‘’mémoires instantanées’’, dans un café du pays bigouden. Les petites caméras sont géniales pour ça. Mais je veux faire davantage de films, revenir à la fiction, et pour ça, il faut se concentrer un peu ! Depuis que j’écris à nouveau pour moi, que je dépose des projets et reçois des aides, mon désir se met à résonner. C’est bon aussi de sortir de sa tanière !

Propos recueillis par Nathalie Marcault