Ronan Maillard, un – illustre – inconnu dans la maison


Passés les vœux de bonne année, comment ouvrir le plus joliment qui soit 2020 ?
En musique, naturellement ! Et pour incarner ce premier mouvement, nous avons trouvé opportun de favoriser la rencontre entre un homme et son territoire, un compositeur rennais de retour au pays après un long voyage et le monde de l’audiovisuel et du cinéma en Bretagne. Ronan Maillard est cette figure du compositeur encore trop peu connue dans la maison, dont le portrait ci-après, et les compositions, commenceront de révéler les traits et la mesure…

Rencontres de Films en Bretagne 2019. Pour la première fois, Ronan Maillard honorait de sa présence à la fois manifeste et discrète la croisette quinocéenne. Des Rencontres en reconnaissance pour défricher les premières pistes, lier connaissance avec les acteurs de la filière du cinéma et de l’audiovisuel en Bretagne. En être. Car si Ronan naît à Rennes, c’est en 2012 seulement qu’il revient s’y établir, après 35 ans passés en région parisienne. Il y a sept ans, le temps d’un cycle qui lui aura sans doute permis de se sentir à nouveau appartenir à ce territoire qu’il avait quitté tout petit, et de ressentir le désir d’y exercer son métier. D’y composer. Et pour ce qui est de composer avec les notes, les instruments et les émotions, Ronan sait y faire, fort d’une expérience dans la musique dont on peut dire sans coup férir qu’elle a duré une vie, toute sa vie jusqu’à aujourd’hui.

Ronan Maillard
© Gaell B. Lerays

 

Ronan Maillard est un enfant de la balle. La musique, il est tombé dedans quand il était petit ! Une référence à Astérix qui ne sera pas pour lui déplaire, lui qui dit admirer, entre autres talents, celui du compositeur Philippe Rombi qui orchestre ses aventures sur grand écran. D’autres talents, on peut en citer des exemples en passant, avec en tête Ennio Morricone qui à ses yeux représente « de la meilleure manière qui soit le métier de compositeur de musique pour le cinéma, capable d’écrire les plus belles orchestrations comme les partitions les plus modestes en apparence » ; John Williams, « un as de la musique d’orchestre et de la mélodie » dont il loue l’inventivité ; Alexandre Desplat pour la singularité de son écriture, et la nouveauté de ses propositions ; ou Nino Rota parce que « c’est la musique la plus humaine, la plus vivante qui soit !  »

Fils d’un altiste à l’Orchestre Philharmonique de Paris, Ronan grandit dans un bain musical, entre écoute de disques à la maison, sorties précoces au concert, solfège et pratique d’instrument. Tout cela dans les règles de l’art, à l’intérieur d’un cadre, qui jusqu’à l’adolescence est surtout une contrainte pour lui. Il choisit le piano, « pour ses possibilités harmoniques, et l’étendue du clavier », précise-t-il, un instrument qui lui permet justement de sortir de ce cadre. Il s’échappe en improvisant des morceaux qu’il enregistre sans les écrire, librement. « J’aimais improviser au piano, dès le début. Ce qui fait que j’ai mis du temps à maîtriser l’instrument comme on l’attend. Je faisais corps avec lui, différemment.»

Enfant sage, Ronan s’applique donc à faire ce qu’on lui demande pour jouer ailleurs et autrement des codes. Il a des facilités, et l’oreille musicale. Il le vérifiera en pratiquant plus tard tous les types d’instruments… mentalement. « Je suis un multi-instrumentiste, mais virtuellement. Mes recherches, mes lectures, la fréquentation des grands maîtres, mais aussi mes erreurs, m’ont permis de connaître à peu près tout ce qu’il est possible de demander aux instruments dont j’ai besoin pour composer. » C’est dans cet équilibre entre l’académisme de sa formation et une grande liberté créatrice et d’inspiration qu’il a trouvé, et trouve encore aujourd’hui sa voix, celle de ces nombreux instruments dont il joue donc sur le papier, sans lui-même en jouer¹.

 🔉ÉCOUTER « Dans la salle de bain »
Flûte, quatuor à cordes et piano.  Ronan Maillard. 2019.

Ronan maillard1

Vers 17 ans, à cet âge où l’on commence à interroger l’avenir et son orientation, il se met à travailler vraiment, il y voit son intérêt, enfin : « Je savais la carrière d’un pianiste professionnel soumise à la plus grande concurrence et à une compétition d’exception dont je n’ai pas l’esprit ! J’y ai donc renoncé, sans cependant tourner le dos à la musique comme métier. Quelques exemples autour de moi montraient que cette vie présentait bien des agréments, en contrepartie des efforts et du temps qu’il faut y consacrer. » En 1999, Ronan passe le concours du Conservatoire National de Paris et s’engage pour cinq années d’une formation musicale des plus rigoureuse, dont il augmentera encore la difficulté en s’inscrivant dans la classe d’écriture de musique polyphonique du 16e siècle, écriture normée à l’excès, d’une complexité extrême, et qui vise rien moins que la perfection. C’est, en termes de composition, là où il a sans doute gagné une assurance et une certaine audace pour la suite. Dès le début de ce parcours d’élite, Ronan se projette donc dans le domaine de l’écriture : « j’aime les défis, et les choses qui ne tombent pas sous le sens. Il y a une certaine ironie à entrer au conservatoire quand on cherche à sortir du cadre. Mais ce sont des années d’immersion totale dans la musique, avec cette liberté qui nous est offerte, paradoxale sans doute, de s’y consacrer entièrement. Et c’est inestimable. »

Si ces années ont été heureuses, Ronan est tout de même content quand il en sort. Il suit les conseils de son père qui l’engage  à composer, et pense aussitôt au cinéma comme territoire de conquête musicale :  « J’avais des facilités pour la composition mais la question se posait de donner un sens à cela : pour qui et pourquoi composer ? La musique contemporaine était loin de moi. Le cinéma m’a toujours intéressé et j’ai été très tôt sensible au fait qu’on puisse y raconter quelque chose avec la musique. J’adore la mélodie, et les émotions extrêmes dans les films. C’est ce vers quoi j’avais envie d’aller. J’avais aussi travaillé sur des films d’étudiants à la Fémis, un bon moyen pour rencontrer des gens dans le cinéma. L’expérience m’avait plu, nous partagions nos premières fois. Ce laboratoire m’a conforté dans mon choix. »

Ronan Maillard
© Caroline Dubois. Ronan Maillard en chef d'orchestre lors d'une séance d’enregistrement à Air Studios, Londres.

 

Tout en donnant des cours d’initiation à la composition au Conservatoire de Clamart où il a l’opportunité de se former aux rudiments de la direction d’orchestre, Ronan commence bientôt à intervenir sur des films en tant qu’arrangeur et/ou orchestrateur pour des compositeurs. En 2007, il apporte pour la première fois sa contribution à deux films, Ce soir je dors chez toi d’Olivier Baroux et Le Renard et l’Enfant de Luc Jacquet. Le pied désormais à l’étrier, Ronan enchaîne les collaborations avec des compositeurs aux univers très distincts, comme Martin Rappeneau, Sinclair ou encore Uksek, qui signent les bandes originales de films de Kad et Olivier, Valérie Donzelli, Xavier Giannoli, Jean-Paul Rappeneau, etc. Peu à peu, Ronan se voit confier la composition de projets de longs métrages, dont le plus reconnu à tous égards est sans doute Marguerite de Xavier Giannoli, en 2015, avec lequel il avait déjà collaboré sur Superstar. Il signe la composition, l’orchestration et assure la direction d’orchestre. Car Ronan sait jouer de toutes les cordes désormais : « ce que j’aime avant tout, c’est la composition. Ensuite, tout est imbriqué : l’arrangement et l’orchestration me permettent d’amener la composition où je veux. Et la direction d’orchestre est un moyen de vivre la musique de manière encore totalement différente, en étant entouré des instrumentistes. C’est l’un des plus beaux moments qu’il soit donné de vivre à un musicien ! »

 🔉ÉCOUTER  « La Photo de Mandelbos ».
Ronan Maillard. Extrait de la bande originale de Marguerite, de Xavier Giannoli. 2015. Extrait musical seul.

 

 

 

🎞ÉCOUTER & VOIR « La Photo de Mandelbos »
Ronan Maillard. Même musique à l’image. Montage final

Marguerite

 

Aujourd’hui, après une bonne dizaine d’années d’expériences très variées de composition pour l’image et des pas de côté dans la création musicale pour la chanson, le spectacle vivant ou des installations, cet amateur de grands sentiments pour grands écrans souhaite s’adonner complètement à ce qui est devenu une passion : la composition de musique de film pour le cinéma. « Tout m’intéresse, j’aime la diversité que permet mon activité. Je prends par exemple la publicité comme un exercice guidé, fonctionnel, mais qui demande aussi de la créativité à l’intérieur de son carcan. Cela me donne les moyens d’aider de jeunes réalisateurs sur des courts-métrages. Le spectacle vivant est encore une autre façon de penser la musique dans le temps et l’espace. J’ai aussi composé pour la télévision récemment, pour une mini-série sur Arte creative³, et c’est encore différent : la musique doit être travaillée de façon modulaire, arrangée en fonction des épisodes et pouvoir s’inscrire dans la durée. C’est galvanisant ! »

Avec la conscience des nombreuses opportunités qu’offre la Bretagne pour la composition de musique pour l’image, y compris pour le long métrage, c’est dorénavant dans sa ville et sa région d’origine que Ronan aimerait présenter sa démarche et développer son activité. Il a entamé sa première collaboration sur le territoire il y a à peine un an, avec la composition de la musique d’un court-métrage d’animation en 3D, commandé par le Festival du Film d’Animation de Rennes et que les festivaliers pourront voir projeté en avant-séances lors de sa prochaine édition. Travailler pour le cinéma d’animation enthousiasme tout autant Ronan que le cinéma documentaire ou de fiction. Ce qui compte pour lui c’est la singularité d’un univers, celle d’un créateur avec lequel engager un dialogue dans un langage hybride, un esperanto propre à chaque projet, fait de couleurs, de références, de mots, d’images et de sons. Des sensibilités et une synergie au service d’une œuvre, un film.

Gaell B. Lerays

 

¹ Sur le papier, c’est-à-dire sur les écrans. En tant qu’amateur d’informatique et en tant que compositeur, Ronan a très tôt adopté les outils numériques, les banques de sons, le temps gagné, une palette infinie de nouvelles nuances pour ses compositions.

² Clément, Reine de la nuit de Holy Fatma et Anne Flore Truchilo.

³ Un court-métrage réalisé par les élèves de l’école Creative Seeds de Cesson.