Ronan MAILLARD : De la musique des images, des images de la musique…


Compositeur de musique de film, Ronan Maillard s’est plongé dans cet univers vers l’âge de 10 ans, avec la découverte des films de Steven Spielberg et de la musique de John Williams. 

Passionné d’orchestration et d’une variété d’instruments, la musique de film est pour lui un terrain de jeu qui lui offre une grande liberté pour inventer, composer, orchestrer, jouer sans rester dans un style particulier. 

Administrateur du collège Auteur·ices, réalisateur·ices et compositeur·ices depuis octobre, nous sommes allés à sa rencontre pour le connaître un peu mieux. 


Films en Bretagne : Nous sommes ravi·es de voir un compositeur s’investir dans le CA, pouvez-vous nous parler de votre parcours  (quelle  formation musicale avez-vous ? Quels sont vos instruments de prédilection ? Comment avez-vous débuté votre carrière et commencé à composer des musiques de films ?

Ronan Maillard : J’ai commencé la musique à l’âge de 7 ans en étudiant le piano au conservatoire de Versailles. J’ai rapidement réalisé qu’interpréter des morceaux de répertoire ne me suffisait pas et que je cherchais peu à peu à m’évader des morceaux écrits, je commençais à composer et improviser de petites mélodies, avec quelques accords en-dessous… Ma rencontre avec le cinéma de Spielberg avec la musique de John Williams vers l’âge de 10 ans m’a donné envie de me plonger dans la composition de manière plus approfondie. J’ai commencé à étudier l’harmonie, jusqu’à entrer au CNSM de Paris en classes d’écriture, d’où je suis sorti avec 4 prix (Harmonie, contrepoint, fugue et polyphonie du XVIème s.). J’avais aussi suivi des cours de jazz et d’arrangement de chansons françaises au CNSM : j’aimais la musique classique bien sûr, mais j’ai toujours écouté beaucoup d’autres styles. Et c’est en entrant dans l’adolescence que j’ai alors réalisé que la musique de film était sans doute pour moi le genre musical le plus ouvert stylistiquement, sans me cantonner uniquement au répertoire « classique ». 

Ces études au CNSM ont été aussi l’occasion pour moi de découvrir l’orchestration, et j’ai su à ce moment que ce serait l’un de mes outils favoris pour composer. Mon père était altiste à l’orchestre Philharmonique de Radio-France et m’a emmené assez tôt assister à des concerts, des répétitions où j’avais pu découvrir la puissance expressive de l’orchestre. Mais avant de suivre un cours d’orchestration, je n’avais jamais appris à écrire pour une formations instrumentale aussi grande, et cela a été un déclic pour moi : j’aime donc une très grande variété d’instruments, avec une petite préférence pour les cordes, je l’avoue ! 

Ma première expérience dans le long-métrage a été d’écrire des arrangements de cordes pour la musique d’une comédie romantique . C’est grâce à mon professeur d’arrangement de chansons du CNSM que j’ai obtenu mon ticket d’entrée dans le long-métrage : il m’a proposé, 4 ans après la fin de mes études, de le remplacer pour un travail d’arrangement de cordes sur ce film. J’ai donc travaillé en collaboration avec le compositeur pour ajouter des cordes à ses parties de piano. Puis, j’ai poursuivi avec plusieurs autres longs pour lesquels j’ai arrangé, orchestré et dirigé la musique pour des formations instrumentales de tailles diverses. Parallèlement, je commençais à composer pour des court-métrages, et développais peu à peu mon réseau . Jusqu’au jour où l’on m’a proposé de composer les morceaux additionnels d’un long-métrage, jusqu’à me demander quelques mois plus tard de signer la musique originale de « Marguerite » de Xavier Giannoli, un film qui a beaucoup compté dans mon début de carrière en tant que compositeur.

 

Films en Bretagne :  Nous sommes curieux de la manière dont vous travaillez… À quel moment de la fabrication du film intervenez-vous ? Comment, d’une demande des réalisateurs, parvenez-vous à aboutir à une composition personnelle ? Vous travaillez à la fois pour le cinéma et la télévision, est-ce une manière chaque fois différente d’envisager la composition ?

Ronan Maillard : Il n’y a pas vraiment de règles, cela dépend des réalisateurs. Un compositeur est souvent amené à être assez souple dans sa manière de travailler, car l’approche peut différer sensiblement d’un projet à l’autre. Certains réalisateurs avec lesquels je travaille aiment entamer la réflexion sur la musique dès l’écriture du scénario. D’autres aiment diffuser le thème de leur film pendant le tournage pour aider les acteurs à sentir l’atmosphère d’une scène. Enfin, une grande partie du travail de composition se déroule tout de même pendant ou après le montage du film.
Pour composer la musique d’une scène, je dois arriver à capter plusieurs paramètres de la séquence : quelles sont les émotions qui s’expriment, celles qui manquent peut-être dans les images ou dans le jeu des acteurs (et que la musique pourrait ainsi suggérer), quel est le rythme global de la scène ? Tous ces éléments vont pouvoir me guider dans la direction à prendre pour composer : une mélodie, une atmosphère, un instrument en particulier, quel tempo, où mettre des silences ? Ce sont quelques questions parmi tant d’autres que je me pose en composant. Aussi, les décors, l’époque du film ou plus globalement la mise en scène sont autant de détails importants qui vont nourrir mon inspiration. 

Travailler pour le cinéma ou la télévision ne change pas grand chose dans ma manière d’aborder en soit la composition musicale : j’ai un film sous les yeux, des acteurs, une histoire… les deux médias partagent des problématiques de base assez semblables au départ. La différence se situe au niveau de la production et donc du budget alloué à la musique, qui est souvent un peu plus réduit à la télévision . C’est donc un paramètre important à prendre en considération, surtout lorsqu’on vous demande une musique orchestrale, qui coûte forcément beaucoup plus cher à produire qu’une musique avec très peu d’instruments, ou à dominante électronique. Là encore, le compositeur doit pouvoir s’adapter aux différentes conditions qui lui sont imposées.

 

Films en Bretagne : Dans votre travail, la relation avec le ou la cinéaste est importante. Vous venez de deux univers artistiques différents… Comment cela se traduit l’échange et le dialogue entre vous ? D’ailleurs, vous avez monté un groupe de travail  « Musique originale et cinéma » interne au collège ARC (auteur·ices, réalisateur·ices et compositeur·ices) ouvert aux compositeur·ices et aux cinéastes…quelles sont vos attentes par rapport à ce groupe et que souhaitez vous créer ? 

Ronan Maillard : Composer la musique d’un film implique pour le compositeur d’avoir une relation de confiance et de compréhension mutuelle avec le ou la réalisatrice, qui est bien souvent issu(e) d’un univers assez différent du sien. Certes, ce sont tous les deux des créateurs, mais avec des moyens d’expression très différents. J’entends parfois des réalisateurs-rices assez inquiet(e)s de ne pas savoir exprimer au compositeur leurs intentions, par manque de vocabulaire musical. Qu’ils/elles se rassurent ! La plupart des compositeurs n’ont pas besoin de mots techniques musicaux très savants pour saisir les directions des réalisateurs . C’est aussi le travail du musicien de savoir transformer les mots du metteur en scène en notes de musiques, en rythmes différents, etc. Pour ma part, je pense que les indications d’un réalisateur seront les plus claires et les plus précises possibles tant qu’il utilise un vocabulaire qui est le sien. A moi d’entrer dans son univers, de décrypter ses intentions, et de lui proposer une interprétation musicale de ses pensées. C’est un dialogue qui se construit et s’affine souvent au fur et à mesure que le travail de composition avance.

En tant que nouvel administrateur du collège ARC, il me tenait à cœur durant ce premier mandat de pouvoir lancer et voir aboutir quelques chantiers pour développer la visibilité de la musique de film au sein de Films en Bretagne. La création de ce groupe de travail s’est donc imposée à moi assez logiquement, car je souhaitais pouvoir m’entourer de tous ceux qui se sentent concernés par la musique de film et qui peuvent apporter à ce groupe leurs réflexions et leur expérience, afin que nous puissions avancer plus rapidement et plus intelligemment sur les besoins et les envies des compositeurs et des réalisateurs. Nous avons pu nous réunir avec 8 membres du collège Arc pour une première réunion le 14 décembre dernier. Cela a permis de jeter les bases des différents travaux sur lesquels nous allons avancer au plus vite. J’espère que ces projets permettront de simplifier les rencontres et le travail entre compositeurs et réalisateurs, et de faire connaitre à chacun les besoins de l’autre pour avancer. Si pour l’instant ce groupe est interne au collège ARC, il a pour vocation de s’ouvrir transversalement aux monteurs et aux producteurs qui sont d’autres interlocuteurs importants des compositeurs. Nous espérons donc voir grandir l’intérêt de ce groupe de travail auprès du collège des techniciens et celui des producteurs car leur expérience apportera beaucoup à nos réflexions. 

propos recueillis par Julie Huguel pour Films en Bretagne • janvier 2024